De la part de François T. :
Monsieur (ou, après tout, Madame bien cachée? Mais on pense que non),
On dirait que vous aimez la littérature qui a du coffre (on se souvient, enfin les vieux se souviennent, de « La littérature à l’estomac »). Même si votre liseuse de blogs estime (dirait-on) que vous en manquez sous le pied.
On ne peut pas avoir de tout partout.
Des souvenirs et des idées. Encore que.
double dans le miroir
Je vous offre donc un florilège du soir, pour le fond de coffre, le fond de cale, le journal mis sous la fuite d’huile, mon propre florilège pour enrichir le volume documentaire de votre assureur, probablement, à l’époque, cette mutuelle qui ne cachait pas ses origines fraternelles en collant des triangles sur tous les pare brises des profs et complices.
Il y avait même des groupements de campeurs universitaires
où l’on s’éclairait avec « Histoire de la Folie », se douchait avec « Mythologies », se couchait avec l’Intégrale de Baudrillard, vous souvenez-vous ?
Pire, toujours voir pire : on observait aussi des groupements de campeurs universitaires et naturistes : GCUN, le tout avec un macaron également triangulaire sur la 4 L. La 4L mise à nu par ses célibataires même (dans le grand choix entre Duchamp et Matisse, vous êtes très Duchamp, savez-vous? C’est pour cette facétieuse facilité qu’on vous aime).
Ayant lu (plutôt vu) ce qui précède dans le fil des « S.P.O. », je suppose que vous allez sortir de vos collections ( « Charme et campagne » ?) une photo avec ce qu’il faut de sous-entendus montrés par du sous-vêtu…
pour une fois : de la pas vêtue du tout ? « Osez« , dit une commentatrice!)
( et même si l’un de vos commentateurs, hypocrite ou maladif, s’élève contre vos visuels usages des jambes de jeunes femmes).
Car des nues, tombées ou pas, les musées les
plus cons passés ne sont-ils pleins?
On se demandait à quoi servait le triangle des GCUN : cache-texte pour Messieurs au moment de retrouver l’extérieur, le monde du textile,
texte/il ? Symbolique à trois côtés lourdement colorée de tautologie naturelle pour Mesdames ?
Et quoi pour Mesdemoiselles, effervescentes plus qu’évanescentes dans le con-texte de ces années ?
Le triangle universitaire du naturiste campeur, d’ailleurs diversement situé (certains le portant gravé sur l’épaule droite), répétait-il, dans sa simplicité crue, les composantes de « l’Union de la Gauche » ou la marque de la sainte trinité ?
Voici l’une des questions à quoi s’affrontaient les bons esprits, menant la 4 L d’une poigne ferme, changement de vitesse rond et anguleux dans la main, sur la départementale en pente, la D215 bis, Ardèche ou Lozère,
voie raide ,
voie raide,
et sinueuse (car les campings d’universitaires naturistes ne se livrent pas sans effort, au terme de chemins spiraloides).
Bref, associer triangle et 4L relève, j’en conviens, d’une forme anachronique de loufoquerie, surtout sur fond de macaron (à peu près la seule chose de cette histoire qui ait pris de la valeur dans la durée- les initiés apprécieront).
Donc, puisqu’YDIT veut, puisqu’YDIT cite-plus ou moins licite ! -eh bien YDIT reçoit : triade, salve triple, trois mots, collant noir du texte gros sur fausse-pudeur rose des fesses naturistes, triangle d’auteurs tripoteurs baladés dans le triporteur (ah, pourquoi n’avez-vous pas plutôt demandé des extraits de Dary Cowl ?).
Donc : des textes-ils pour les textiles ?
1. MARCEL GAUCHET :
L’organisation en vue de l’avenir, c’est encore la mise en place et le déploiement d’un type de pouvoir profondément original. La nature spécifique et l’expansion des bureaucraties occidentales ne sont pas intelligibles hors du lien congénital qu’elles entretiennent avec la gestion du changement. S’il est besoin d’une instance administrative prenant en charge jusque dans le fin détail la régulation de l’existence collective, c’est à la mesure de la puissance politiquement instituée que la société se reconnaît à l’égard d’elle-même et à laquelle il s’agit de procurer un instrument. A ce titre, l’Etat démocratique est nécessairement un Etat bureaucratique – historiquement,
l’Etat administratif ne pouvait s’épanouir qu’en Etat représentatif.
Il a pour fonction de donner force et consistance pratique au pouvoir de la collectivité de se produire tout entière, pouvoir qui n’a de sens que dans la durée. Sa légitimité profonde, de ce point de vue, c’est d’être l’instance même de l’avenir, le point de l’espace social où se rassemble et se matérialise la capacité souveraine à s’instituer de part en part-mais pas dans l’instant, dans l’extension du temps, par la ferme conscience du but visé, dans l’interaction éclatée, ouverte et fort peu au fait de son enjeu dernier d’une multiplicité de demandes sociales et d’un enchevêtrement de réponses organisationnelles et législatrices.
(« Le désenchantement du monde », Folio-Essais, 2010, p.352-353)
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2. SAN ANTONIO :
Le San-Antonio, c’est le signe d’une époque épique et cholestérolée ! On le trouve partout : dans les pharmacies, dans les clandés, dans les casernes, dans les presbytères, chez les presbytes, dans le mess, à la messe, à Metz (Toul et Verdun, les trois éméchés) et même chez certains libraires ! Il est pour la main tendue au-dessus des parties (à condition qu’elles en soient pas placées trop bas). La main tendue par-dessus les frontières. Le dénominateur pas si commun que ça ! Il veut la paix, le pain, la liberté ; le pet de lapin en liberté. Il aime, quoi ! Qui ? Mais les hommes du monde entier et les femmes de mon dentier ! Oui, surtout les nanas, en amour c’est
comme lors des naufrages : les femmes et les enfants d’abord. On garde la capitaine pour la bonne douche ! Tout aimer, voilà le secret. Etre amoureux du grain de café qu’on moud le matin, de l’oiseau qui s’oublie sur votre chapeau, du facteur qui vous apporte votre feuille d’impôt, du proviseur qui vous balance du lycée, de l’adjudant qui vous fait ramper dans la boue. Aimer la boue ! Aimer la m…Ne vous gênez pas, y en aura pour tout le monde ! Aimer, aimer ! Le voilà le secret ! Qu’on se le dise.
Vous allez penser que je parle de moi avec assez de verve, mais je veux bien qu’un autre me le serve ! Edmond Rostand, tenez ! Et puis, s’aimer soi-même, surtout si l’on est son genre ! Les petits Cadums entretiennent la santé ! Flûte, où en étais-je ?
Ah oui : la plage cuhaltière, avec Béru en chaussettes. L’aurore qui point. Et le petit port de Santa Nanatépénar endormi.
(« Ménage tes méninges », Fleuve Noir, 1969, p.126-127)
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3. FRANCIS PONGE :
Mais comment rendre ce dessein possible ? Je considère l’état actuel des sciences : des bibliothèques entières sur chaque partie de chacune d’elles…
Faudrait-il donc que je commence par les lire, et les apprendre ? Plusieurs vies n’y suffiraient pas.
Au milieu de l’énorme étendue et quantité de connaissances
acquises par chaque science, du nombre accru des sciences, nous sommes perdus.
Le meilleur parti à prendre est donc de considérer toutes choses comme inconnues, et de se promener ou de s’étendre sous bois ou sur l’herbe, et de reprendre tout au début.
(« Le parti pris des choses », ‘Poésies-Gallimard’, 1967, p.177)
Et toc, YDITBLOG, débrouillez-vous avec ça, sans rancune !…François T.
FIN
Fin Fond du COFFRE…
ET UN dernier retour vers YDIT-PARLE, dans le ton…en forme de clin d’œil,

…pour les déçus de la
D 215 bis, les nostalgiques aigus du macaron, baigneurs d’Ardèche ou Lozère…
Car la fermeture du coffre, qui claque, ouvre un autre pan de la mémoire. C’est l’interminable du vivant, même caché.
Donc, à nouveau, Ydit parle.
Il regarde F.,toujours vive dans son attention jolie et ses yeux clairs. La scène manquerait en intensité dramatique, sans doute, si deux images par horreur sauvées du naufrage n’introduisaient pas le chant quasi homérique du ridicule, dont périrent tant de héros.
Ydit, habillé de rouge et de noir, lui parle :
« Oublier, c’est oublier le regret aussi, oublier la nostalgie de ce qui n’a jamais pu être, et qui aurait changé le monde intime. Je veux l’oubli de ce caramel joli lové sur la langue d’une aïeule :la présence de T. ou M. sous les arbres au bord de la rivière, en cet été-là de l’Ardèche nue.
On était encore dans le millénaire d’avant,

Photo de photo Bettina Rheims, expo Rose Selavy, Bibli nationale
femme cent/sans tête,
et dans la scène rieuse des espérances partagées : politique, poésie, amours, on voulait tout mettre à nu, remettre à neuf. Avec deux ou trois autres, on dormait au fond de la gorge, et dans la journée- pas du tout « bateau ivre» , on parcourait l’étroitesse du fleuve et des torses sur de brefs kayaks.
La règle de tous, au bord de l’eau, visait à la si rude simplicité du nu intégral.
Chemises et jean’s remisés dans le coffre de la voiture, on escamotait la difficulté de la vie en se regardant les unes

expo art contemporain I.M.A.
les autres les aspérités des corps.
Aujourd’hui, se mettre à nu, peignoir bleu ou pas, exige qu’on pose sans tricher la question du primat de la représentation sur le désir. En ce temps-là, non : élans privés de réflexion lourde. Pique-nique lumineux sur les aiguilles de pin, tendres aperçus vers les cachettes du désir à l’occasion d’un buste levé pour trouver le pain, échappées indiscrètes et profuses mais déclarées banales à l’octroi du désir.
Belle illusion, agréable modalité de fuite.
Tu te mettais nue au soleil, tu lisais Gramsci juste vêtue d’un chapeau. Certes, une approche différenciée des réalités secrètes de l’humanité nous oblige à un constat cruel : le soleil ne brille pas de même sur toutes les chairs ( et d’ailleurs, elles ne rougissent pas de même non plus sous l’accident de la parole)
Tu croyais rendre hommage au simple amour de la nature, tu ramassais
des fourmis dans les plis, du gravier sur les pieds, des rillettes sur la tête, du sable de vestale dans l’étable,
bref quand tu avais soigné les coups de soleil ravaudant l’intime, y avait plus qu’à rêver d’une caresse de glaçons, pour les garçons,
de Biafine, pour les filles – et soda brun pour tout le monde. »
Enfin- habillé de linge bleu et de bavardage naïf – l’oublieur proclame son oubli de cette image : M. ou T. marchant fastueusement et simplement nue, sous les arbres,près de l’eau, sans une défiance sur le visage, sorte de Mélusine désarmée, de Nadja
sans poète, et puis leur nuit sur le sable, seulement à parler, seulement àparler des paroles, nus dans le frais venu avec minuit,on frissonnait un peu, on se laissait couler sur la main ouverte un filet de sable gris,
et -ensuite, ensuite- la parole perdue, la si longue difficulté, des années durant, toutes ces années, longtemps, des années, l’effort pour renoncer malgré tout à cette promesse de l’autre, à ce silence de l’évidence, à cette immédiate nudité sans gestes jamais retrouvée, jamais tenue, jamais revenue dans les temps suivants, à cette histoire aussitôt finie sous les arbres dépouillés, avec l’aube et plus rien jamais que le souvenir de l’amour simple, rien que lui,
Jamais revenu.
Tournant le dos à l’étonnement de son auditrice ( qui pourrait s’habituer à tout, et peut-être le trouve séduisant soudain ,dénudé de son passé),
Ydit conclut :
« Cela, la disparition d’un matin quand tout s’habille de nuit sur le corps, et la blessure de chaque soir , j’aurais déjà dû l’oublier depuis, mais ce soir, c’est dit : j’oublie. »