Didier JOUAULT ,  » YDIT » : Tonton, vous nous apporteriez l’addiction ? (séance 4/4)

Rappel : YDIT enchaîne plusieurs séquences publiques d’omission au « Musée du septennat », Château-Chinon, Nièvre. Avec un diverticule  au musée municipal de Clamecy.

Une lectrice écrit : « Ainsi, la formation n’avait pas que des côtés ennuyeux », et un lecteur : « On vous reconnaît ! »…Aussi :

«  Déjà tout ce temps, et encore tout ce Rien ? »

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Voici donc la séquence 31.

Les trois précédentes donnent le début – évidemment, puisque celle-ci apporte The End.

Séquence Publique d’Oubli  numéro 31

   Thème du dîner (fortes nourritures terrestres)  : Le Secrétaire-en-Premier se présenterait-il  à la prochaine Présidence de France ?

Les rustres finauds de la Vieille Maison Sociale, cet été là,  clôturaient le séminaire de formation par un dîner républicain. Que la presse locale (confinée en bout de table) amplifierait, et que recopierait la presse du Monde et de  l’Humanité.spo-31-stage-ps

Ydit, invité genre tabouret, petit gentil, tandis qu’on prenait place, songeait à Irma, qui l’attendait sans doute pour une dernière séquence privée sans omissions.

Car, en effet, oui, après tout, stages et siestes,

tout-la-rendait-songeuse

Tout la rendait songeuse…Il y avait de quoi

hommes et futurs, parcours et silences tout la rendait songeuse, la suave  Irma-la-délicate.

Il y avait de quoi.

 

Ydit dans le musée achève son récit : Séducteur, placide mais pétillant, rusé, amusé, Le Secrétaire champion du multicolore se lance, vers l’après-dessert, dans un très long récit de ses déambulations électorales dans le Morvan.

Lui debout, les autres assis à table, dans la meilleure tradition des Provinces,  le Secrétaire évoque la terre, qui elle ne ment pas :

« C’était le plein hiver, neige et verglas, vrai climat de vraies terres de France. La voiture du Conseil Général était tombée en panne. Il faisait grand vent, reçu de face, on devait compter moins dix dans les cols. Impossible d’arrêter un voyageur, tous redoutaient nos verglas raides comme un marchandage de programme. Deux heures, peut-être davantage , nous avions glissé dans le glacial, et seul mon bon chauffeur comme guide. 4-4-le-nez-pret-de-se-detacherMes doigts sentaient venir les engelures et ma nuque la glaciation. Mes yeux pleuraient de froid, je sentais mon nez prêt de se détacher, les joues se fendillaient , voyez comment nos pays sont durs, hein, et l’on prétend que la vie politique est douillette. »

Silence.

Les mains pâles règnent  sur le plan de table ébloui- gélé. (rares tintements de verres, les convives du coin en profitent pour finir le Saint-Pourçain, cracher dans son mouchoir). Un compagnon de route, silencieux, mimant une écoute radieuse, émiette son pain. Il pense qu’avoir fait tout cela  dans sa vie, sauveur de déportés, ministre, réprimeur d’Algériens, sénateur, King des Oublis, député, encore  ministre,tout ça, et même candidat pour la France, et finir dans une congère comme un crabe à marée basse? Cassé comme un stalactite mal sauvé du stalag? Les maires locaux boivent du petit lait et du bon rouge et se resservent du Salers. Toujours ça de pris, en plus c’est du bon. Le Salers.

Le Secrétaire-chef  4-5-king-size-noir-badge-cartespoursuit le récit avec la même pugnacité que sa carrière :

« Nous apercevons enfin  une ferme, des paysans nous reçoivent, nous assoient près du feu, vous connaissez leur goût  de l’accueil, hein?…Ils offrent le couvert, et déjà m’appellent …« Monsieur le Président » (rires de tous sauf les maires du coin pour lesquels il l’est déjà, président, du conseil général).

Les convives apprécient. Quand même, quel  humour, non?

LUI regarde chacun de la tablée : on devine que Le Secrétaire-Chef laisse  savourer le symbole  et l’oracle : épreuves, les  parcours du froid et de l’oubli,  près de la fin tant et tant de fois, et revenu des neiges …mais oui, présage,  « Président » pour finir, vous allez voir !

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Avec l’aimable autorisation de André MAYNET, et des remerciements

La France comme une jeune fille prête à tous les entrechats espère  son dady jazzie.

Ydit dans le musée parle aux tableaux  qui tous représentent Le Président imagé dans son pouvoir. Des lampions éteints circulent parfois dans la tête comme dans des salles sonores où nul esprit ne vient plus frapper ni marcher.

Depuis que cet homme-là n’est plus ici, les fauves ont leur museau de guimauve.

Ydit  raconte : « Ce soir-là, encore, dans le dîner du village vacances, -qu’on trouverait désormais lui aussi désert comme une folie poussée à la raison,4-7-la-vieille-batisse-accueillait-les-stagiaires– Ydit avait place tout au bout de la très longue table. Déjà, il observait ce geste familier de Le futur Le  Président, rituel intime et public revu lors d’interviews à la télé : comme une manie, la main gauche s’attardait parfois au fond de sa poche. La face cachée de la poche du Président, c’est un authentique souci de mémorialiste. LUI,  un homme si distancié, capable de tous les masques, on lui devinait comme une impulsion forte, pour un geste bref ; glisser la main dans la poche, y toucher un objet, puis repartir dans les  réparties, rebondir dans les retournements : une patte de lapin en pure céramique de la Nièvre ? Une dent de lait secrète  trouvée à la  Mazarine? 4-8-face-cachee-de-la-pocheUn cachet d’OubliEs pour épurer la mémoire un peu lourde de certains épisodes  un peu glauques?  Un poème de Du Bouchet ? Un caillou longtemps poli portant le mot sacré, la parole perdue enfin retrouvée ? »

Ydit poursuit son monologue, immobilisé dans le musée qu’immobilise l’absence de visiteur : du dernier bout de table où on lui avait trouvé un quart de place, il entendait mal. Il y avait eu des photos du dîner, elles ont été  perdues.

Ydit : « Le Secrétaire-chef, on s’en doutait, n’en dirait pas davantage sur la candidature.  Cela faisait bientôt plus d’une heure qu’il parlait. Lui encore debout, disert et drôle, pas fatigué, alerte comme un chasseur chez Maupassant, pieds sur les bûches. Les convives repus, n’osant bouger, sentant passer le Futur. Les maires du canton, invités comme des cousins de la République, arrondis comme des coussins d’Empire, avaient cessé d’écouter. Longue habitude de l’attente si le Monsieur parle. Les Maîtres locaux de la Vieille Maison Sociale tentaient une fois encore de déchiffrer l’augure, en éparpillant les miettes de tarte aux myrtilles, en dépiautant les mégots de Gitanes, en observant les restes figés dans l’assiette de Le Secrétaire-chef : malingres augures pour malingres devins.

On a les pythies qu’ on peut. Leur destin était si violemment lié au sien (assis à sa droite, d’ailleurs, un futur premier ministre qui ne le savait pas encore et n’osait en rêver ; en face une intelligente qui se croyait déjà ministre et ne serait jamais rien qu’elle-même  : définitivement si peu de choses.)

Aux tables annexes, vers les fonds marins de la salle commune,…

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Exposition BOCAJ, »Tout un monde », Espace Dominique Bagouet, juin-septembre 2016, MONTPELLIER

…les stagiaires ne ménageaient pas leur critique : c’était long et pas si bon. Elles avaient le tort de leur jeunesse : d’où qu’elle vienne, la parole de l’hauteur permet de passer le temps.

Il fallait un peu d’imagination pour savoir cette vérité : il y avait dans le verbe de cet homme-là une substance qu’on ne retrouverait plus.

Elles font des signes à Ydit, sans prendre garde à l’appareil photo…ouvert par erreur, photos gâchées.

Malgré tout, l’évocation de la soirée auprès du feu avec les ruraux du Morvan, méandres légers imités de Chardonne, moins guillerets que Dekobra, plus légers que Bove, on sentait que ça retenait de moins en moins l’assistance. Il y avait de l’évaporation dans la vigilance, de la passoire dans l’attention. Le Secrétaire avait alterné hauteur de vues ( « Ainsi en France… »)et familiarité du ton ( « Hein », clin d’oeil), un peu comme un grand’père revenu du front où il était infirmier. Il y avait dans l’action  de cet homme-là ces profondeurs qu’on ne retrouverait plus. C’était un avaleur de temps, magistère de la nuance, lavis en beiges, scènes d’avenir en sépia de passé.

Ydit reprend : « Soudain, au milieu de l’ennui  gagnant un peu, le rendez-vous d’adieu avec  Irma s’était imposé dans la conscience brumeuse d’après paroles et vin claret. Elle  avait  attendu, comme  suspendue, dans la chambre du séminaire,

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comme dans la fin silencieuse d’une catacombe sans visiteur

si longtemps seule, tout l’interminable repas-discours, pour d’aimables adieux d‘amoureuse temporaire, plongée dans le flux incertain du rien à venir.

Le car partirait à l’aube, pour la gare, si bientôt. Irma oubliée, Irma effacée. 4-10-tout-la-rendait-songeuse-elle-seffacait-deja-dans-lattenteElle avait fini par s’endormir dans le poids de la solitude, sans amertume ni regret. Elle était une belle personne,Irma. Ydit avoue qu’il avait, à la fin du dîner, gravi les premières marches du  bâtiment où logeaient les stagiaires. La réveiller. Se parler l’un l’autre. Puis un sursaut tout de même, à l’instant de frapper : indignement  trop tard. Même lointaines, les militants ont leurs limites. Il avait ensuite marché dans la nuit, seul. »

Dans le musée du silence, dans l’espace qu’on dirait construit pour l’apothéose des « OubliEs » tant les souvenirs errent comme des esprits de la forêt délaissés par des traverseurs de désert, tant la mémoire franchit des portes sur l’absence, maintenant Ydit  se tait.

La lumière a changé, le musée va fermer.

Ydit ne dit plus mot.    4-11-les-portes-vitrees-donnent-sur-le-vide

Il traverse les espaces en écoutant  à l’intérieur de lui-même les vivats colorés que la foule adressait : « Tiens bon, Tonton ! »

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A la sortie, derrière le musée, un attroupement, rapidement dissipé grâce aux forces locales de l’ordre républicain.

C’était une amicale d’anciens électeurs et nouveaux éleveurs du canton de Monsauche venus voir d’un peu plus près dans le blanc des yeux cet Ydit, ce type qu’on dit qu’y dit.

On ne se méfie jamais assez, surtout quand on défend la réputation de l’Histoire, de ces baladins sans foi et trop diseurs, car on ignore  de quoi  ils sont capables de se souvenir. On dirait pas.

Ydit est capable au moins- et c’est le pire-  de se souvenir de cette pas si moindre lâcheté d’un aurevoir  massacré, alors qu’Irma lentement trouvait le sommeil,

au revoir oublié   4-13-irma-partant-vers-rien  juste  parce qu’on écoutait en tout bout de table le soliloque  neigeux d’un baladin du langage qui -on s’en doutait, finirait tout de même dans pas si longtemps par être candidat.

Et pas qu’une fois.4-14-irma-lecart-du-petit-matin

 

Bien sûr, grignoter les tartes aux myrtilles d’une Histoire même pas sortie du four…

Mais, l’amie de peau et de sieste, négligée dans la nuit et son aube : tant de gestes et de mots qui n’ont pas engendré leur destin.

Tout ce rien contre tout ce bien.

Ydit n’en est pas fier.

Il y a de ces petits mais graves moments sales qui  sans aucun doute valent

la peine d’un  long « OUBLIeS »

Didier JOUAULT

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Didier JOUAULT  » YDIT » : Tonton, vous nous apporteriez l’addiction ? (séance 3/4) Séquence Publique d’Oubli numéro 30

 

Tonton, vous nous apporteriez l’addiction ? (séance 3/4)

Séquence Publique d’Oubli numéro 30

 

Rappel : YDIT enchaîne plusieurs séquences publiques d’omission au « Musée du septennat », Château-Chinon, Nièvre.parcours-et-affichette

 

 

Depuis tout ce temps, on en est là : Germaine lève les épaules dans le silence du musée de Le Président, et siffle son désaccord : « Et reprendre pour de vrai la visite, des fois, YDIT,  on pourrait, peut-être, parce qu’on est quand même ici surtout  pour YDIT parlant face au silence du Président, oui, ou je me trompe? Sinon, vous tous ici, dites-le nous carrément, on passe à autre chose »

Ydit s’adresse  aux cadeaux anciens et  solennels qui règnent sur les étagères, parle aux animaux déguisés en souvenirs plus féroces  que nature, fait signe aux admirables bustes bruns (taillés d’un geste clair dans les plus opaques des bois.)29-10-fm-grands-fauves

 

 

« On va voir, dit Germaine, jamais très loin, on va voir que toutes ces histoires ne sont pas sans rapport avec le musée de Le Président, j’espère ? »

 

En cet instant, comme le détour des couloirs le conduisait encore à passer devant le guichet, YDIT ne peut manquer d’apercevoir encore la jeune fille (qui ne se nomme pas Violaine). Elle a quitté sa chaise, on la dirait plongée dans de profonds souvenirs d’un temps où le Président coupait les roses pour les offrir à des lavandières, des portières, des actuaires (non, pas des actuaires)

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avec l’aimable autorisation d’André MAYNET

 

« On va voir,

 

dit Germaine, jamais très loin, on va voir que toutes ces histoires ne sont pas sans rapport avec le musée de Le Président, j’espère ?

Pourtant, elle peut pas l’y avoir connu, à lui, elle ? exprime le vieux gardien nivernais, sans qu’on sache s’il désigne la jeune fille ou Germaine.

Y a pu grand monde à part vous, ajoute le quadra, qui vient ici.

C’est qu’on s’intéresse plus à l’Histoire dit le Vieux. Y a jamais personne. Pourtant, au moins avec LUI, quand il était là, au moins y avait quelqu’un, c’est sûr, ça sentait la présence.

Ydit s’enquiert, non pas de l’odeur indéfinissable de la présence, mais : le Président a-t-il visité son propre musée comme on visite sa concession à perpétuité, pour éprouver la fraîcheur de la terre ?

La jeune fille, émergeant comme d’un pays lointain, reprend place comme elle peut dans la fenêtre, dévêtue par le bain d’oubliEs : il-a-visite-le-musee« IL visitait même déjà quand il était le président pas de la France ».

     « Bon, susurre Germaine, regardant la fille d’un ton citrique (il faut dire qu’elle s’exagère !) avec des formules comme ça, on risque pas de s’y retrouver ? Puis, votre président, vous n’allez pas nous en faire un Napoléon du Morvan, un Petit caporal qui se roule, sans amasser de mousse, un Titanic sans Iceberg, un Saint Rap’h sans citron ?

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Univers Charles LOUPOT, musée de Clamecy ( Nièvre )

Pourquoi pas un retour des cendres et un tombeau à sept boules de cristal aux Invalides ? »

Le gardien, observant Ydit regarder sa montre : « Vous avez le temps, on ferme pas tout de suite, et pis si vous voulez rester un peu plus, pour une fois qu’on peut s’amuser à parler ? »

Non, dit Germaine, c’est pas ça, c’est qu’il a rendez-vous ici avec Vassilika

Celle qu’une fois déjà qu’elle est pas venue un soir, dans une S.P.O. ?

Celle, oui, soupire Germaine. Au fait, Ydit,  votre copine Vassilika, elle devrait pas être arrivée ?

Comme l’histoire est bien faite, un dong-dang discret vibre dans l’absence muséale, et dans la paume. Texto.  Vassiliki : « Mais que faites-vous Ydit ? Je suis à l’intérieur du musée, près du guichet, comme convenu. Je ne vous vois pas? »………..Chacun cherche son Vassilika,galerie-fevrier-2011-6 mais personne, sauf à croire que l’estimable s’est déguisée en ce qui devient comme une vignette de copiste en tête de chapitre : la jeune fille à la fenêtre ?

On échange des messages tonitruants bien que silencieux. On finit par comprendre que, en effet, Vassilika est à l’accueil du musée du Président.musee-de-saran

 

Celle-là, encore un peu, dit l’aimable Germaine, heureusement que c’est votre copine, mais pour un peu c’était carrément assise au Plomb du Cantal qu’elle était, chez Pompidou.

YDIT : « Bon, les amis (si je peux me permettre ?) ma crainte est qu’on s’égare, comme pour une randonnée sans IGN, ou un gendarme tout aussi sans IGN idem. »

 

31-jeune-fille-a-la-fenetre-4-dapres-amalia-ferrer« Ou un récit sans costume d ’époque ? » demande la jeune fille, qui en sait long sur le sujet du costume bien qu’elle ne le montre guère.

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D’après Amalia Ferrer, recadrage

Selon l’insistance croisée du guichetier, de la guichetière et du petit tonton, et non sans goûter au plaisir malin de rompre le silence dans cette Trappe aux doigts de rose, YDIT reprend le récit pourquoi il est au fond ici : la belle Irma, et le Secrétaire-Chef.

« Mouais, pense Germaine, pour reprendre, encore faut-il avoir commencé ? »

Le récit que donne Ydit se teinte de couleurs  vingtième siècle, c’est déjà loin : peut-être est-il encore possible cependant de le comprendre ?

     Récit :    -« Toi, au moins, tu as de quoi t’occuper, soupire Thierry M. ( devenu bien ensuite secrétaire d’été aux affaires graves). D’un geste du menton, Thierry désigne la silhouette d’une jeune femme apparue dans la fenêtre en face. Encore, ou déjà femme et fenêtre ? « Nous, ajoute-t-il en s’asseyant sur le bord du billard (car il a lu Mac Orlan ,Yvan Audouard ou Cendrars, qu’il interprète façon Ventura pour faire viril) Nous, à part attendre le  Patron… »

Comprenons, recentre Ydit : dj-trentenaire-stage-ps-1-rectifiee« En des temps lointains et moins troubles, Ydit avait accepté d’offrir ses heures, surtout l’été, pour la formation de futurs cadres, élus, responsables et autre badernes et balivernes de La Vieille Maison Sociale.  Une semaine en village vacances privatisé. Conférence du matin : une vedette de la Vieille Maison Sociale (beaucoup sont devenues Excellences Sociales, espèce politiquement bisexuelle). Travaux le jour.  Séductions du soir, entre copains-copines fait pas  des manières : programme commun. »

Les empaillés de vitrine qu’Ydit exhorte sereinement  dans les salles allées du musée paraissent comprendre l’économie secrète de cette fable à plusieurs temps mélés. les-oublies-sont-en-vitrine      Ydit  raconte : « Selon les faciles et imprudents usages de ces temps aimables ( mi années 70 : Ydit existait déjà, qui le croirait ?)–  il arrivait assez vite qu’entre animateur et « stagiaires » ……………..dj-table-stagiairees-ps-cantal       ………….on ne finît pas tout à fait seul ses nuits. »

Non, ne marmonnez rien, Germaine, ainsi était ce temps : léger quoique grave, porteur d’avenirs autant que de passés, autant dire exceptionnel.

Tendresses câlines entre deux projets de société. Union de la gauche et sans gaucherie. Réajustements de l’univers parmi les draps froissés – c’est ainsi que le stage mitonnait son progrès comme on réchauffe la gamelle du futur pour manger chaud la fin des injustices. Avec pas trop de gratin.

Le soir, dîner fini, on préparait des aubes qui dansent »le-soir-on-preparait-levolution-sociale           Dans la Vieille Maison Sociale (moins rigoureuse que le sibérien Parti Frère où l’immorale conduit assez vite au bal du sous-sol ) la formation des militants se voulait participative et réciproque. Heuristique et heureuse.  Après son topo du matin, proféré avec l’aisance des lendemains qui pensent, l’orateur (futur roi de l’Europe) jouait au volley-ball avec des bibliothécaires de Château-Chinon. Il succombait à l’éclat bref d’un peau ventrale jetée sous les yeux par l’envol étiré d’un smatch vigoureux, bien que social-démocrate. A l’issue du déjeuner – diner-de-stagiaires-il-y-en-a-une-qui-necoute-pascantine du village vacances d’avant les terreurs actives du tout-veggy : poulet/frites : vinasse locale-  on allait prendre le café dans le bistrot du bled. On disait le bled parce qu’on venait d’une ville où l’on serait élu.

Troisième jour : chaleur, ombre fumeuse des platanes, ambiance  laborieuse et bavarde… Marchant tout près d’Ydit, retour de café, bras dessus bras dessous en camarades, douce dans l’oreille, IRMA disait à voix basse : « Ydit, tu viens me voir pendant la sieste, avant le reprise ? »

Debout dans le silence du musée de Le Président, face aux présents du passé, Ydit à nouveau se tait. Il savoure la surprise, telle qu’elle fut en ces temps d’il y a quarante ans ou presque.entre-les-defenses-des-elephnats Dans l’errance facile que permet le silence de Le  Président,  Ydit change de salle comme de scène, comme de visage. C’est le coeur même des OUBLIeS.

Ydit : «Trois jours ensuite,  on arrivait au terme du séminaire. Demain, très tôt, La belle Irma, découverte avec délices de sieste en sieste,  devrait prendre le car très matinal conduisant les stagiaires vers la gare. Elle en était songeuse.  Ydit, lui, avec les autres animateurs d’ateliers, resterait un peu : comptes rendus. On était sérieux »

Maintenant, s’arrêtant, Ydit regarde sans nostalgie le buste rude offert en cadeau jadis à Le Président.les-cadeaux-noirs-de-la-republique

  « La belle Irma, future élue, n’était pas du fameux repas prévu ce soir : le village vacances avait été construit dans le canton terre d’élection de Le Secrétaire, chef de La Vieille Maison. Seulement parlementaire, maire, président de conseil général, rien que ça, Le Secrétaire-Chef  consentait à un  dîner avec «l’équipe» du séminaire : parleurs s’espérant futurs ministres ( beaucoup  le devinrent), modestes fonctionnaires  conférenciers se voyant  Conseillers d’Etat ( et ce fut fait), humbles animateurs dénués d’ambition politique, tel Ydit…Tout le dessus-de-panier régional de La Vieille Maison Sociale avait aussi été convié. On ne néglige pas ses « locaux ».

Le déjà mais encore futur Le Président montrait la qualité multicolore de son éloquence.

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exposition des  » cadeaux  » du Président, musée de Clamecy

Thème du dîner ( terrine de pays, truites au lard, fromages d’ailleurs, tarte d’été, rouge léger dans le ton)  :

Le Secrétaire-chef  allait -il de nouveau se présenter à la prochaine Présidence de la France, comme chacun le souhaitait (et , ici, activement le préparait) ?

Au fond certains se demandaient si les malins de la Vieille Maison Sociale n’avaient pas implanté le «séminaire militant» ici précisément pour que précisément le Secrétaire-Chef pût discourir vers le vaste monde entier depuis le pré-carré de son canton, à l’occasion du repas final (Ydit, naguère, ne posait bien ici-même la question : peut-on s’adresser au monde depuis un Jaccuzi ?).

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Le peintre africain, lui aussi, avait l’amour du flou

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Annonce de candidature que la presse locale, rangée dans un tiroir en bout de table, amplifierait

 

 

 

Ydit, invité genre tabouret de troisième couteau,petit gentil, frais grognard goguenard, tandis qu’on prenait place, Ydit  songeait à Irma, qui l’attendait sans doute, avec l’infinie patience des amantes,  pour une dernière séquence privée, sans omissions.tout-la-rendait-songeuse

 

 

Car, en effet, oui, après tout, stages et siestes, mots et programmes, hommes et futurs,  tout la rendait songeuse.

Il y avait de quoi, faut dire.

 


A suivre :

Le dîner des tons,  Séquence publique  31,  visite du musée de Le Président, ou :

que reste-t-il de nos atours ?


Didier JOUAULT


Par défaut

Didier JOUAULT (  » YDIT » ) : Tonton, vous nous apporteriez l’addiction ? (séance 2/4)

 

 

Tonton, vous nous apporteriez l’addiction ? (SPO 29 : séance 2/4)


Rappel : YDIT enchaîne plusieurs séquences publiques d’omission au « Musée du septennat », Château-Chinon, Nièvre.

Une lectrice écrit : « Pour qu’il y ait une séquence publique d’oubli, il faut deux conditions : du public et de l’oubli ». Certes. Voici donc la séquence 29. La 28 donne le début.


 

                                      Séquence Publique d’Oubli  numéro 29

On aurait pu un autre titre :

« Le temps du Morvan fit-il  le vent des heureux ? »

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portrait du musée

 

YDIT raconte :

« C’est pour quoi, pour  une visite ? ».

Ayant déliané ses jambes d’Indienne, le jeune guichetière va-t-elle suivre de loin (et des yeux) cette déambulation férocement solitaire dans le musée de

«Le PRESIDENT » ?

A ce moment de la séquence d’oubli, le système des personnages ressemble à une canne d’octogénaire ou à un traité de philosophie : ça aide à marcher, mais pas vite. Rien ne démarre.

 

     Ydit raconte à nouveau  que -avec l’hôte de ces lieux (même fantomatique, lacunaire, en bonne voie pour l’oubli),  il escomptait voir dans les salles du musée sinon la horde d’écoliers impatients d’en finir (mais ce sont les vacances scolaires, comme toujours), au moins quelques Allemands qui portent  au fond du portefeuille une photo écornée sur laquelle Le Président tient la main de Le Chancelier, à Verdun ; ou une meute d’ anciens combattants du maquis voisin- habillés en tricolore et pinard, comme en 14, pour lutter contre les terroristes –29-2-president-et-chancelier-verdun

… ou même jusqu’à ceux qui forment  depuis Ferry l’ultime réserve avant la faim du néant : la goguette guillerette et sautillante sur ses baskets des retraités de l’Enseignement Laïque, Moderne et Républicain.

     Ydit, à l’étage, fait face à un miroir offert en catimini à Le Président lors d’une visite clandestine à Venise, en compagnie anonyme d’on ne sait trop qui (mais certaines histoires des filles de famille gagnent à survivre dans l’obscur mémoriel) :

      » N’oublions pas qu’il s’agit d’oublier, ici- et ailleurs. Du reste (mais quel reste de tout ceci ?), choisir un musée pour oublier, c’est un pied-de-nez facile, efficace : on trouve au moins quelques baladeuses près des murs, des jeunes épouses catholiques vitre-des-oublies de capitaines en mission africaine (et non pas l’inverse !). Ce sont des visiteuses solitaires mais lumineuses acceptant par ennui un brin d’écoute et une cueillette de mots. On trouve encore un gardien à peine alcoolique, malgré la solitude du gardien à l’heure du désert. Il est soudain réveillé par l’inquiétude d’un silence que rompt le pas perdu d’un marcheur insistant. Et il il accepte de faire les photos du passage entre deux songes d’une nuit d’été, comme s’il donnait un pourboire aux fantômes de l’Histoire.  »

 Le vieux à la caisse (agacé qu’Ydit ne se lance pas ): « Je ne vais pas vous accompagner, allez-y … »

Le quadra demi-solde surgi d’une  cour : « Il  a mal aux jambes, l’Ancien… »

L’ostentatoire femme à la fenêtre (pour cette fois pas vue de dos) 29-3-mariee-fenetre-photo-de-walid-obaid achève son  placide mouvement d’accueil – telle une mariée soudain rhabillée par ses visiteurs même, et qui prend du champ :  elle tend un bréviaire de visite pour le sanctuaire, (incomplet  le chœur n’y est pas)  puis regagne  la fenêtre, et le regard  en biais de l’oublieur qui n’oublie pas ses images pieuses. Elle ne pipe mot.

 

D’autres visiteurs, naguère, sont pris au piège de la commémoration comme des palombes dans les arbres d’une bergerie landaise, et choisissent un musée  en grandeur nature pour ce président même  : on ne peut pas tous arpenter un espace unique, pour un homme si multiple.29-4-soustons-memorial-mitterrand  Au moins, sur ces landes, y – a -t – il la compensation de la plage aux mains de sable, des toros tournant à vide dans l’arène de pique, de baigneuses en short arrondies au gâteau basque.

      Ici, non. Rien de rien. Dans le Musée de Le Président, on ne regrette rien, toutes les salles de tous les trois étages sont toutes désertes. On a beau courir, on a beau frémir de présence escomptée,  on a beau chercher, tel un hamster décagé, ou un crapaud sans pustules, même les toilettes (surdimensionnées à la taille d’un bus pour Allemands) : rien qui soit vivant de près ou de loin (si l’on exclut, comme il convient, les araignées, les ombres de lézards pris par l’urgence, les reflets d’oiseaux dans les vitres sales).29-5-des-grains-doublies-dans-la-roue-des-memoires

L’histoire tourne en farine dans les moulins de l’oubli, comme des grains dispersés par les dents des plus simples des machines.

      En signe de repli- mais pas d’abandon- Ydit retire le badge à ruban bleu qui, avec ses grosses lunettes rouges, est la marque visuelle ( et tricolore) de son activité d’OubliEs. Dans le musée, maintenant,il habite en noir et blanc, personne pour lui tirer le portrait comme on tire des cartes pour une voyance. Toutefois, toujours prémuni d’une nudité complète (image disponible, mais proposée seulement sur demande expresse), il dépose ici ou là sa modeste  carte des «OUBLIeS», 29-6-musee-sept-visiteur-n-et-bcomme un galiériste pastille de rouge le tableau déjà vendu, afin de le protéger d’importuns désirs.

Au milieu d’escaliers usés par l’ennui de ne porter nul pied,  Ydit  s’assied. Il regarde le vide, écoute l’absence, état propice au soliloque.

     Seul à seul (et sans tête -à-tête ), confiné à l’espace de l‘anecdote au lieu de parcourir le  champ de l’Histoire, YDIT raconte l’envers d’aujourd’hui : une rencontre. Une autre histoire, plus vivante qu’ici.
« Après tout, l’Histoire se pèle comme un avocat bien mûr, ou se ramasse comme une poire blète, certes, dit-il, mais la vie des hommes se construit à l’inverse de noisettes qu’on sort avec force de leur gangue. Si l’on déambule , si l’on parle, si l’on s’assied sur une marche, si on bavarde avec le  silence, c’est pour inventer la rencontre. Si l’on s’assied, c’est pour partir.« 

    Ydit , visitant, mais immobile29-7-terrasse-aux-verres-vides (car l’état d’homme permet les deux)  raconte :

     Ce fut à Uzés, au café «le Suisse d’Alger», où il buvait une citronnade (la mauresque  est trop dangereuse, encore une femme qui sort du cadre).

     Deux femmes sont venues lui parler, avec cette parfaite gentillesse des touristes légères dans les lumières d’août : « Pardon de vous déranger, disait-l ’une un peu essoufflée  par la chaleur (ou par le bonheur de voir YDIT de près ?)   mais Fustelle, …euh c’est elle Fustelle…

  • Bonjour Mademoiselle…Fustelle ?
  • Moi, c’est Coulanges, (elle sourit, sans perceptions obscures ) , c’est Coulanges , et on se dit que vous ressemblez beaucoup à Ydit, qu’est-ce que vous en dites ? On dit qu’Ydit ne dit pas qu’il est Ydit quand il fait l’Ydit ?

Deux Anglais de la table voisine s’interrogent soudain ( regard anxieux) sur leur remise à niveau en Français : faire l’Ydit ? L’Idiot ? L’Indien ? L’Indhi ?

     « Surtout, continue la jeune femme, on voudrait pas vous déranger, nous deux,  est-ce que c’est bien vous quand même, vous savez, tout le monde le connaît, l’YDIT, on l’a pas vu à la télé mais presque,  ce type qui publie qu’il oublie, mais n’oublie pas de publier ses «OubliEs »?..29-12-tandis-quelle-attend-loin-des-lumieres Remarquez, on ne veut pas insister ? 

D’ailleurs, si vous voulez des photos de passantes, sans souci, nous on peut ! Les images : comme vous les voulez.»

29-8-photo-artistes-en-folie-femme-passant-une-fenetre-voilee-coloree

La Mauresque est trop dangereuse, encore une femme qui sort du cadre (photo : « Artistes en folie »)

 

     Si bien amorcée, la conversation d’été continua, et plus si affinités.

Fustelle et Coulanges  dirent qu’elles acceptaient volontiers une figuration en pointillé  dans les « Oublies», pourvu qu’on pense à elles , et même plutôt trois fois qu’une, tant qu’on y est, les photos, attestant une fois encore la puissance dédoublée des réseaux sociaux et des terrasses à l’ombre.

Dans le frais  pointillé de la terrasse on rêvait ensemble, mais côte-à-côte, à de bonnes farces photographiques : omissions-nu-n-et-b-mpt

« ces images où l‘indiscernabilité du faux et du vrai remet en cause la notion même de « possible » »

     « Comment avez-vous dit ? » demande Ydit, assourdi par la formule. On perçoit même, chez les Anglais voisins, comme un mouvement de buste et d’oreilles pour essayer de se remettre en selle pour leur cavalière écoute.

     Ydit se tourne vers eux : « C’est une autre histoire,  murmure-t-il, exotique et comme improbable, une histoire légère et tout entière  glissée dans celle du Musée de Le Président comme on glisse une pièce dans la main du livreur. Ou dans la machine à sous du destin.29-8-suisse-dalger      Pour dédoubler les « OubliEs ». Une de ces histoires pétillantes ou plates, mais un peu entre deux eaux. Donc, messieurs les Anglais, tirez les premiers un trait sur les détails de ce qu’il advint, à Uzès, entre Fustelle, Ydit, et Coulanges. Fin de l’aparté.

Car ici, comprenez-vous, ici on n’oublie que les mauvais souvenirs. »


     Fin de l’histoire dans l’histoire.


     Ydit , ensuite, dans le musée, se redresse,  reprend la route. Chez le Président, au fond du  musée, l’incertain de l’Histoire gomme les rudesses des amitiés douteuses, des complicités anciennes, des fausses rencontres sur les  terrasses de l’été : ne se laissent à voir que les surfaces endolories de vitrines abandonnées.

Ou les étagères ployant sous leur propre plénitude. On marche, quand on visite la vie, on rêve, on oublie.

     Facétieux, pourtant, et sachant ce qui réjouit le solitaire, le parcours fléché soudain passe encore  une fois par le hall confiné dans l’absence. Il n’y a pas que des croûtes sur les murs.

     Le Président, lui aussi, eût aimé cette rêveuse à sa fenêtre, présente pour endurcir le visiteur dans les épreuves. 29-7-jeune-fille-a-la-fenetre-2-photo-jitka-samajovaPrière de ne pas toucher, rappelle-t-elle, avec le grand sérieux des amateurs.

-Enfin, dira Germaine ( jamais si loin) , Germaine serrant son reproche dans la main comme un écolier sa gomme, ou un geôlier sa chaine, enfin, c’est incroyable, tout de même, il ne peut pas y avoir une séquence publique d’oubliEs, sans qu’on tombe sur une fille presque nue ? C’est agaçant !

– Non , répondra Ydit, Non, c’est dans le cahier des charges, alors on ne peut pas.

     Germaine, levant les épaules et sifflant son désaccord : «Et reprendre la visite, on pourrait, peut-être, parce qu’on est quand même ici surtout pour Ydit parlant au silence du Président, ou je me trompe ? Sinon, dites -le nous carrément, on change de serveur et on passe à autre chose ? »

 


La visite : on pourrait.

A suivre : « Tonton, vous nous préparez l’addiction, S.P.O.30,  séquence 3 sur 4 » …Ici-même.


 

Didier JOUAULT

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