Didier Jouault pour Yditblog : La Fiat enlace un soupir d’été Séquence Publique d’Omission 47 (Estivales esquives II )

Estivales esquives  II

La Fiat enlace un soupir de l’été.

L’homme serre la main du machiniste : « Je salue mon pote Albert et j’arrive ! Mais les trains d’abord, non ? « 

YDIT : Germaine vous a dit ?
– Oui, elle m’a même posté votre photo par Instagram, elle est OK Germaine.
(Ydit aurait pu entendre « elle est toquée », avec l’accent d’ici et la liaison, mais chacun connaît le vrai bon sens de Germaine).
Le collègue de Germaine serre chaleureusement la main. »Germaine m’a passé votre photo »
– Alors, comme ça, c’est vous l’YDIT ? Heureusement que j’avais la photo, je vous aurais pas reconnu.SPO 40 025
– Je ne voudrais pas vous faire perdre trop de temps…
– Rien à craindre, j’ai juste un train dans chaque sens toutes les deux heures, mais en décalé. On fait les photos avec votre Iphone ?
– Vous croyez qu’il y aura du monde ?
– Avec cette chaleur… Bon, mais c’est l’heure, de toute façon, non ?

YDIT, alors, dit que c’était le dernier jour ensemble, après les mois de travail commun. On avait remisé les volumes de la connaissance : Gaffiot, alambics du chimiste, eau toujours trop fraîche de la piscine en bout du terrain de sport dont les pavés de béton se disjointaient en chaque fin d’année. bibli zone interdite Gros lycée, petite ville, carte postale banale de provinces pour débutants.

Tout près, la forêt, des lignes boueuses déjà pleines de vin, et les auberges discrètes où s’esquissent d’un regard les affaires et les amours.
Des repères plantent leurs pieux dans la mémoire : le gros tronc en quittant la ville pour l’autoroute, une courbe un peu sèche sur le chemin de retour vers Paris,le week-end. Et l’ancien pavillon de chasse que nous aurions préféré, même à trois ou quatre, plutôt que les studios en ville. Mais la marquise était sortie à cinq heures.

Le chef de gare  » La mémoire est une mafia de Naples qui ne traite pas les dépôts d’ordures, mais touche les chèques du temps. »
YDIT : Drôle de formule!
– Pourtant c’est vous qui l’avez dit, en ajoutant : »Dans les ruelles sales du souvenir, des chats sans queue ni tête disputent les restes à des rats gluants… » Germaine m’a passé le lien. Il y avait d’ailleurs une faute d’orthographe. On pourrait trouver plus drôle que des rats et la mafia, pour l’été, n’est-ce-pas ?

YDIT : Les formules, il en faut.
– Comme des horaires : ça structure le temps et parcourt l’espace.
YDIT :

Cette fois aussi, l’été. Nous étions tous quatre, les débutants parisiens, devenus les amis de T., peu à peu, au hasard de minuscules bistrots de village comme le « Singe vert » SPO terrasse aux verres videstenu près du passage à niveaux par un voyageur silencieux revenu de toutes les poésies. L'équipe, pause, 1978Entre deux jours de cours, quand on ne pouvait rentrer à Paris, on déchiffrait d’étroites routes dans la Forêt d’Orient, dormant pour une nuit derrière la façade rouge et blanche du « Lion d’or et des Templiers ». L’enseigne portait un léopard tenant une croix pattée. De la fenêtre, le matin, tôt, on apercevait des lacs et les grilles du parc autour de l’ancienne commanderie. maurice pacteD’abord, c’était pour prendre l’air loin du lycée, des familles honorables avec enfants sages, des collègues au radoub qui avaient construit le pavillon. Puis, au fil des mois, il advint qu’on n’y dormit pas seul.

Ce début juillet, quelques-uns dont Ydit avaient joué au dîner de fin d’année, une première. On avait traîné longtemps dans la tiédeur de la terrasse près des vignes, « Au cerf apaisé », ironie du programme, et dans le suspens aimable des amitiés précaires, des amours temporaires. table de fete 3On scrutait la fumée des cigarettes qu’on fumait à l’époque en respirant l’essence rapeuse du danger. On avait repris des cafés, pesé encore les joies frêles et faciles des amitiés de métier. On écoutait les peu-dire de la parole complice.

La nuit était venue depuis longtemps, il ne faisait pas frais, on existait sans savoir qu’on allait mourir, ce n’était ni Flaubert ni Maupassant, plutôt Eluard ou Truffaut, ou encore rien de tout cela : les quatre Parisiens de T.
Il y avait, assez loin dans un coin, le banquet finissant des Amis du Temple,

ça buvait sec, le patron n’était pas pressé de fermer.

Au retour, dans le coupé italien blanc qu’Ydit avait acheté pour l’un de ces riens qui valent beaucoup, il avait installé Catherine en unique passagère. Pour une fois sans le doggy-bag qu’elle exfiltrait si souvent de la cantine, par paresse de s’inventer les menus du soir dans le studio de T. partagé avec Martine, la philosophe.

Elle était fatiguée, belle, paisible. Toujours belle et lointaine, sereine et forte dans ses 25 ou 28 ans, croyait-on.

C’était une saveur très douce de conduire une femme jolie dans un coupé et dans la nuit, avec l’amitié en réserve et rien d’autre, sans attente et sans espérance que celle de l’aurore tapie à l’extrémité de la route.spo femme urbaine grande ville fenetre dos Chacun rentrait chez soi, Paris, chez l’autre dont on partageait les jours : c’est pour cela que la vie est possible, c’est quand il y a l’autre devant les roues, et qu’il attend.

On galopait sur l’asphalte chaude de la mémoire, et c’était comme si des jungles et des brousses tendres poussaient dans la nuit, singes verts et cerfs apaisés.

Il était bien plus de deux heures du matin. On sentait le vent des retours de mer après bataille. L’humeur faussement féroce des corsaires, des barbares.

Ydit conduisait intensément vite sur l’autoroute. L’horloge de la vitesse vers la mort comptait jusqu’à 240. Il y avait de la marge, toutes les vitres baissées, des griffes d’air brossaient les cheveux. Sans y penser, on se serait vus en James Dean ou en Maryline dans le rétroviseur. Mais on n’avait pas l’âge des rétroviseurs.

A un moment, voix faible, sans crier malgré le bruit, comme dans un livre de Duras qu’on lisait en ces temps, les phares blessant le noir, comme dans un recueil de photos noir et blanc, à voix maintenant forte  et contenue, celle du prieur au chapitre :
– Tu vas très très vite, non, Ydit ?
– Oui, environ 180…C’est trop, tu crois ?

Après un silence, un suspens de saveur, répons de chantre dans la cathédrale déserte :

Non, dit-elle, non, jamais trop. Silence. Jamais trop, jamais trop, j’aime ça, j’aime tant ça…

 

Puis, à la rentrée suivante, on n’avait pas retrouvé les présences fines de Catherine, ni sa boite rouge pour les doggy bag.


Chez elle, en Val d’Aoste, paysages de gouffres et de lacets, sur sa terre d’avant le concours à Paris, un soir, dans un soupir las de l’été, rentrant trop tard sans doute, retour d’un fête de « L’Unita« , piment du vin et rouge des saucisses, ce soir d’été, la petite Fiat rouge du cousin n’avait pas compris à temps l’impérieuse exigence du virage.

L’homme de gare : « Hé bien , c’est pas rigolo, cette année, vos Estivales ? Et la prochaine ? »
YDIT : OubliEs des heures goûteuses IMG_9315au Centre Kulture.

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