DirGé … Séquence Publique d’Omission n° 58 : la DirGé ment sur les remords.
Revenant du bar, elle s’étire un peu et fredonne : « J’ai la mémoire qui flanche, je me souviens plus très bien… ». Avec son accent, les souvenirs se mettent à ronfler comme des feux ayant perdu leur voie dans un vieux poêle sans des cartes.
Retour de ses campagnes, Ydit regarde les voyageuses voyager. C’est une occupation à part, entière.
« C’est le métier qui rentre, dit en passant la cousine SNCF de Germaine des Gares, qui range sa poinçonneuse couleur Lilas. Elle précise : Habituez vous à nos mécaniques du dialogue, par exemple, moi avec mon laser rouge à voyeurer les non-billets virtuels, on dirait Star Warf, vous croyez pas ? Puis, pour la voyageuse : c’est toujours vous qui venez de Russie pour les Renseignements sur Ydit ?
J’ai vu votre photo en noir et en blanc sur le réseau. Même dos tourné on vous reconnait comme une équipe de la Stasi mise à pied du Mur après un stage raté de persuasion en sous-sol. «
La slave esclave de son propre dur désir de parler ne dit cependant mot. « Yes, dit Germaine joyeuse, des fois parler c’est comme payer, sauf qu’on n’a pas de carte de crédit. » Elle s’amuse toute seule de son débit.
Et vous, au fait, Monsieur D’Ydit ?
C’est souvent le cas : Ydit aimerait savoir de quoi on parle, mais on parle sans le savoir. Puis, aujourd’hui, à tant dire, l’inquiète amie de quais caquète trop sa quête…Ydit aspire au repos.
» Pourquoi ce silence ? », murmure pensivement la Russe en regardant Ydit quitter la salle des pas perdus.
Ydit raconte : « C’est à cause de la nouvelle DirGé nommée hier..
Il dit la voir qui parcourt le couloir de la puissance. Cela conduit depuis chez l’Excellence vers le seuil imprécis des obscurs devoirs. La nouvelle DirGé, c’est à elle de faire ce qu’on dit.
Il y a quelques semaines, ajoute Ydit, on avait déjeuné ensemble, après vingt ou trente années privées de rencontre. On n’avait pas laissé aux vieux souvenirs le temps d’éblouir le présent avec l’inutile éclat des étoiles mortes. On ne parlait que maintenant et futurs.
Avouons sans regret : longtemps auparavant on avait en vérité failli.
A l’époque, la DirGé c’était l’une d’un trio léger.
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Jules et Jim sans Jules et avec Laureen, juste dans les commencements du récit, et sans déjà les mélanges des corps. En ce temps, paraissait usuel tout ce qui étonne aujourd’hui les dames de la SNCF. La DirGé venait parfois dormir dans la grande longère où le trio passait discrètement les fins de semaine.
C’était l’amie décolle de Laureen, celle qui osait les envols et connaît la rudesse des retours à terre.
Elle fumait des Gauloises bleues en écoutant les chanteurs blanchis parler de cigarettes qui priaient. Difficile de mieux effacer les frontières du désir, surtout quand elle attendait son tour sans rien dire devant la salle de bains.
Ils dînaient aussi tous trois dans sa petite maison de la Ville des Sciences, en banlieue parisienne. On se perdait pour y arriver, Ydit s’égarait dans la conversation, on s’attardait au retour.
Un soir, il avait plu. C’était le printemps, mais cela n’expliquait rien. Laureen travaillait ailleurs. On peut simuler l’oubli de qui entreprit ce premier geste. Ce n’était jamais que le dernier d’une ancienne attente. Si Germaine, ou la Russe, ou telle autre regardant à sa fenêtre n’eût pas été chassée par Ydit, elle aurait dit : « C’est pas dur à deviner qui c’était qui commença. » Elle se serait trompée.
Il faisait froid, Paris était loin, aucune maison n’était vide. En acceptant les médiocres contingences du réel voisin, la chambre et son passage, on gâcherait la surprise des premières découvertes, toujours un peu tremblées. Il ne fallait pas, dès son début, bousculer l’avenir du récit dans le figé de l’accompli.
Ydit raconte : » Ce n’est pas urgent, avait dit à l’époque la nouvelle DirGé, je pars demain à l’aube pour Columbia. Parcourons à distance l’espace de la patience, Veux-tu ? Je préfère découvrir sans hâte comment tu te sers de ton sourire devant ma nudité. «
En cet instant de la nuit, sans doute, Ydit voulait bien tout.
Ydit, rieur : » Tu boiras le vin nouveau de l’absence comme si c’était un thé au Sahara? » Comme souvent, ainsi qu’il arrive ici-même, elle ne reconnut pas les allusions, parce qu’elle parlait mieux d’autres langages.
Selon Ydit, quelques semaines passèrent, le temps d’un cycle de cours donnés par la future nouvelle DirGé. C’était joli, on arrivait sans risque vers l’été. Il y aurait du soleil dans les fenêtres et des amours dans les jardins.
Au retour d’Amérique, un petit groupe dînait dans la maison de banlieue. Laureen à son tour colloquait ailleurs, et l’hôtesse raccompagnait Ydit.
« Peut-être pourrais-je passer un moment ici encore, » avait-il dit, avant ton voyage nous n’avons pas pu… »
Elle souriait, faussement penaude et vraiment gaie : aux Amériques, mais Ydit connaît cela, elle n’avait pas vu la raison de résister à un collègue, un Mexicain basané, à moins que ce ne fût un Canadien saumoné, ou un Bulgare hagard ? On sait ce que c’est. Bref, rien à regretter sauf que…
…il serait impératif à présent d’attendre que le résultat fût effacé. Ensuite, on verrait. Probablement ?
Tous deux éclatèrent de rire, elle lui offrit un dernier Talisker, promit sans risque, et ils trinquèrent à l’abstinence.
Ydit raconte : « En ces jours des années 80, les temps s’effaçaient les uns les autres, la gravité n’avait pas atteint son poids d’aujourd’hui. On allait, on venait, légers comme des lièvres au matin ignorant le chasseur. D’autres désirs, quelques voyages, la rencontre nouvelle, cela suffisait à composer le futur. »
Après l’été, un homme habitait maintenant la maison de banlieue, dégustait le Talisker, ne prenait pas son tour devant la salle de bains. Le trio se fit double binôme, on n’en parla plus, on fit des promenades. Laureen sut-elle jamais qu’il n’y eut cette fois rien à savoir ?
Longtemps après, comme elle devenait la nouvelle DirGé, en omettant regrets et remords,
on parla des affaires de DirGé : à quoi servent donc les moulures du pouvoir si l’on n’y peut lire soi-même les reflets de l’avenir dans les vitrines ? Elle répondait : l’action. Comment y croire ?
Au dessert, si l’on en croit Ydit : » Mmm… attention toutefois, un bon remords, ou un vrai regret, au fond est-ce un mauvais souvenir à oublier ? Il faudrait tout de même voir à ne pas tricher avec l’Omission ».
Puis, rapide, elle partit pour présider sa réunion.

Encore une fois merci à André Maynet
Merci aussi à Benoit Desmoriane pour sa jeune fille tremblée
Didier Jouault, pour Yditblog
