Yditblog S.P.O. 71 – Ephémères rides – Piqures de langue, la saveur de l’été c’est avant / n° 1-

Séquence d’été première, SPO numéro 71, le coût de l’éphémère.


Bah, qu’est ce que vous faites là, Germaine?

Elle a surgi au bord du quai, près d’une table de bistrot fragile où tarit un gobelet. Elle peut s’assoir, elle demande? Et puis après tout, non, une fille des quais ça marche. C’est pas là pour mariner. short clerpetit-marin-2

 

 

 

     YDIT lui dit ( c’est pour ça qu’il s’dit Ydit) qu’on la penserait en silence, ailleurs, vouée à l’absence, à la méditation devant ses folles locos locales, ou la révision estivale des intervalles entre les traverses.

 

 

 

     –Yeah, murmure la femme en rouge-rails, c’est la saison des wagons, mais si je vous laisse tout seul avec le vieux V3 ricanant, ça va finir par vous dégrader le jovial. Ou avec la Russe qui fait la danse du scalp tendance bouleaux de la Volga, ou vin rare de Crimée, tout est bon chez ces gens là, vas-y vaste plaine avec dents de mammouths dans le permafrost…
verre jitkasamajova …et je ne parle même pas des autres,  votre Voltaire, déjà que c’est pas un très bon comédien, avec ses trucs et ses tics, un peu comme vous, sauf que vous…vous auriez pu engager un pro pour la réplique…

Même si vous reconnaissez que je vous fais de l’usage, en tant que Germaine-des-rails. Inkedlino-Germaine, tu vas pas ...     Sans parler du symbole, le train, le rail pour nulle part et pourtant l’indéfectible voie du récit, les brumes tendres de la loco, la générale sans mécano, le contrôle dans tous ses états plus ou moins généraux, et pas si généreux, le bazar de la mairie, bref, je résume, l’humanité de la bête, tout ça.

     Un vrai cinéma, n’est-ce-pas ? »P1220520P1220526

     YDIT marque une espèce de lassitude, ou d’étonnement : la parole  est sortie de l’écurie ?Germaine :  » Alors, cet été, comme les précédents, vous aurez la parole légère et l’OubliE facile? Un peu comme des « chouchous » vendus sur la plage par un gros homme à gros ventre qui porte un panier d’osier,  et dans le panier des beignets, et sur les beignets du sucre glace fondu par la chaleur, et dans les beignets des confitures abricot ou fraise, à l’époque on ignorait la pâte au chocolat? Et le gros homme arpentait la plage en criant : « mes beignets, pour les enfants, mes chouchous pour les belles dames », on recevait ça dans un carré de papier sulfurisé …Et donc, les saveurs de l’avoir été ?

 


     YDIT : les mots sacré de la tribu sont des barrages de verre pour les éphémérides. Allez, Germaine, admettez que ce genre de formule n’a pas pris une ride?

     YDIT raconte que : « On allait souvent promener des humeurs  d’âme et des états de rire dans les petites maisons ouvrières de la  » Villa du Pré », au Pré Saint Gervais.P1220485      Ydit raconte qu’il habitait au numéro 1 d’une rue,  un immeuble presqu’insalubre. Il a depuis été détruit. Désormais la rue commence au 3. Sur place, les vitrines invitent à partir, non sans provisions pour les orages et compagnies pour les déroutes ».P1220434P1220431

     –Drôle de début, ce début d’une rue qui n’a plus de début?

 

 

     YDIT continue : « De plus, sur les plaques de ville, la rue  s’ensourçait  dans le 19ème arrondissement, puis continuait dans la ville du Pré Saint Gervais.  On ne savait jamais où on habitait, ni d’où on venait, ni si on y allait. « 

     -C’est comme pour les trains, donc?

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     « -Bref, le collège, c’était au Pré-Saint-Gervais. Au bazar de la mairie on achetait au printemps les papillons légers comme des oublis cuits d’un rayon de mémoire. Sur les poignets des filles, quand on en trouvait, se posaient de frêles décalcomanies que le premier frottement d’elles renvoyait à leur ombre originelle. On aimait qu’elle ne lavent pas leurs mains. »ephemère sur la peau de Virginie

     Trois jeunes filles d’un âge à se baigner avec leur mère sortent de la boutique où elles ont essayé des maillots de bain en laine pour l’été, des masques pour la plongée en plastique, des palmes violettes pour décorer ou descendre les gorges. Deux écoutent, pouffent en cachant leur rire, l’une accepte de photographier cette scène primitive puis  toutes s’éloignent. monsieur-prevot-culture-sens-moral-culture-patriotisme-      Un homme surgit, fort et habillé surtout d’un brassard orange. Que fait Ydit à parler seul et se faire tirer la SPO devant le hall de la halle?

     Ydit : « Le chemin entre le collège et l’immeuble crasseux passait devant la mairie. Parfois, il attendait un bus. La mère avait préparé des goûters emballés de papier brun que la margarine transperçait. P1220379

 

Il arrivait qu’il jette le paquet dans la bouche d’égout, près de l’arrêt.

 

Une vieille femme avait dit : « Et hop, direct pour les rats, on voit bien que c’est pas toi qui gagne ton pain, petit con« . C’était une ville où les vieilles gardaient longtemps le mordant de la vie. »

L’homme au brassard s’éloigne. Ydit ne bouge.

     « Quand j’habitais ici, j’allais au collège à pied, c’était loin, j’aimais ce parcours entre les arbres et les petites maisons où vivaient alors des un peu moins pauvres. Souvent les parents travaillaient à Paris, le père de Patrick était taxi, celui d’Henry  tailleur au sentier.P1220448      P1220502 La mère de Pierrot, c’était La Poste. Les garçons de la bande usaient en abondance de l’espace abandonné. On y faisait des boums, des parties, des séances de  bavardage. Quand on avait de la bière et de la limonade, on brassait les imaginaires avec panache. On regardait les photos des grandes soeurs.les voisines ont bien grandi       En général, on était seuls après le collège : on sortait les images cachées sous les armoires, on se débrouillait avec. Lorsqu’on était parvenu (surtout Roland) à disperser les réticences des filles, on les attendait à la sortie de leur collège, trop voisin de celui des garçons, s’agaçait le directeur : regrettable promiscuité source de toutes les tentations. On aurait mieux été inspirés de faire nos devoirs…

     YDIT raconte que pendant les boums, il parlait peu et dansait encore moins.la boum avec la soeur 1967  Les plus jeunes, coiffées comme il fallait pour une boum, semblaient à vrai dire venues là plutôt par appel du devoir que sous la pression d’une imparable (et d’ailleurs improbable) concupiscence (encore un mot que sa propre lourdeur condamne) boum 65    Germaine s’étonne qu’il ait pu être timide?

     Les garçons de la bande disputaient s’il valait mieux du rock ou des slows, selon leur usage de la musique. Les demoiselles se dégroupaient volontiers si la face B jouait l’appel à la tendresse, approximative mais durable, des cavaliers.

     Patrick venait lui parler dans son coin, ou Roland, puis c’était Henry : Ydit ne voulait-il pas ? Pourtant, les filles …  boom boom The animals    Pour cacher l’odeur des cigarettes anglaises – ou allemandes, fournies par on ne sait trop qui – on allait naïvement ouvrir les fenêtres devant lesquelles rêvaient les plus têtues des grandes sœurs, ironiques dans leur affection de façade. Mais, chacun le savait, les grandes sœurs en connaissent davantage que personne quant à l’ouverture des fenêtres, ou à l’emploi du temps vespéral des garçons.SPO nue fenbetre n e b nattes
Jeudi – la boum allait finir- Ydit n’avait pas dansé, pas fumé, rien dit, resté assis. Pénétré de son étrangeté, il affichait le regard lointain des Hugo cherchant l’esprit, mais se demandait, comme souvent, ce que, au fond, il faisait là.

     Moue nettement sotte, illusion de dégoût sans racine, et  vers  les garçons de la bande, un peu cinéma un peu guignol, d’un geste comme si on était dans du Godard raté,  YDIT avait dit :

 » Vous savez, moi, tous ces trucs éphémères…« 

     -« Qu’est ce que ça veut dire ce machin ? « , avait grogné Henry. Patrick :« Eh ben, tu sais, moi, ces mots là, je suis pas un intello comme toi, donc… ». Pierrot : »Ah bah tiens, on le verra ton éphétruc quand tu seras chez moi! »..Une sœur à nattes :  » C’est un peu un spécial, votre pote, sa façon de parler ».

Un orage d’inimitié sans l’ombrelle de l’ironie.

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     Ydit avait tenté de faire surgir entre ses doigts des papillons, des libellules, afin d’expliquer l’Ephemère. Mais l’atmosphère de la « Villa du Pré » manquait de zones humides ou de grands lys blancs dans la vallée. P1220453

     Plus tard, il l’avait admis : la distance du langage, pour jamais, écarte comme des pinces d’équarisseur  ou des mâchoires de four à filer l’aluminium.

     Il faut des années pour inventer ensuite le terrain où mûrit ce fruit exotique, parfois grimpant, parfois grinçant sur la langue : le mot commun. C’est « La Saveur du Réel » de REVERDY :   « Il marchait sur un pied sans savoir où il poserait l’autre. Au tournant de la rue le vent balayait la poussière et sa bouche avide engouffrait tout l’espace. »( « Plupart du temps », Poésie Gallimard 1989)

     Et la mémoire du corps, la seule qui prolifère en vieillissant, n’oublie pas la distance définitive mise entre les simples mots de la tribu et les paroles prononcées dans le masque fermé sur sa propre fissure, la faille du comédien qui sait trop de trop de textes. Qui dit trop de trop de mots. Qui ne sait oublier assez. Les amours de toujours.

 

L’ « éphémère » avait cette fois là été  jeté comme un fétu de paille entre les jambes des chevaux, sur la place de Sienne.

     Il avait fallu  faire l’imbécile des jours entiers, ensuite, faire  l’Idiot pendant des heures,  pour que, enfin, Patrick, ou Roland, ou Henry, et surtout Pierrot dont l’appartement valait tant, invite à nouveau ce petit prétentieux d’Ydit à venir à la boum, ce petit abruti capable de ne pas danser avec les filles, le convie à se débrouiller avec les images. Encore heureux qu’il ait sa réserve de cigarettes allemandes, l’YDIT, et qu’il soit un copain de la Villa du Pré.

Sinon, rien.

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didier jouault,   pour    YDITBLOG   71


 

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