Séquence d’été , S.P.O. numéro 75, si tu passes la cinquième, c’est sûr, t’es mûr, c’est le Certif.
Carte postale : Québec, larges paysages de l’Histoire inachevée. Ici la langue a vécu privée de ses attaches. En cette fin d’été, les OubliEs sont fabriquées avec l’accent de l’ailleurs. On parcourt la mémoire comme on envoie des convois de secours vers les pays en famine. Pour le principe, en somme.

André du Bouchet :
« L’absence qui me tient lieu de souffle
recommence à tomber sur les papiers
comme de la neige.
La nuit apparaît.
J’écris aussi loin que possible de moi »
( Poèmes et Proses, Mercure de France, 1995)
Cependant, les paroles finissant l’été jouent encore en piqué dans les plis de drapures, comme les célèbres moustiques du Quebec dans les carrés de mousseline,
et les souvenirs trainent au sol en piquant du nez vers : la «VILLA du Pré»
DONC : gripures de langue : Séquence d’été sixième,(tout de même?) S.P.O. numéro 75 ( déjà!), « On n’a même pas raté le Certif. »
Quelqu’un dit ( est-ce l’hôtesse ?) :
–« Vous avez raison , Ydit, aux guichets de la mémoire les sourires les plus durs ne sont pas les plus purs. »
–« Et inversement ?« s’amuse Germaine, un peu ricanante cette fois. « Pendant qu’on y est, au Québec, pourquoi ne pas forcer avec l’exotisme fraichissant. On pourrait dire… »
–« …les comptoirs de la mémoire livrent au trappeur estival des peaux de souvenir en forme de castor épuisé ? », murmure Vieux Vaticinant Voltaire, ce personnage dit V3.
Tous rient de bon cœur, même Vassiliki, l’étrange et belle Russe rusée sans race aux incertaines intentions. (On n’est même pas tout à fait sûr, au fond, qu’elle soit réellement Russe, mais peu importent les identités : les noms de famille, le souvenir les mélange et la mémoire les découpe).
Ils sont tous là, dans la maison sur jardin, regroupés comme pour un stage d’été de la Ligue Française des Souvenirs : Germaine-des rails, fidèle compagne d’exactitude; V3-le-décapant tous usages, prose et vers à tous les ages et visages; Vassiliki venue de si là-bas-loin-Les-Organes, pour tenter un rapport, sur le père, ses relations, les services.
D’autres n’ont pu rejoindre à temps cette université d’été pour la Défense des OubliES : des ouvriers voisins de table cherchant un téléphone, un homme son chien son silence, une gardeuse de brebis n’osant lever son tablier devant le jacuzzi où trempe Ydit, le vendeur de Shakespeare and C° toujours cherchant un chèque, le vieux Marcel assis en rond sur le bois du sauna…sans parler des mouvements d’ombres : la mère Jeanne, le cabinet de l’Excellence, C. qui décide les adieux, Arsène arpentant son lopin de peurs. Les silhouettes bavardes et legères des SPO.
Sans l’odeur propre à l’air d’été, on pourrait croire une soirée un peu moite à la Maupassant : deux chiens près du feu, les dames se sont retirées, cigares, parole, alcools circulent. Ne reste plus qu’à écrire. Passer le Certif.
YDIT raconte :
« Il y avait le Certif, c’était sérieux. Les « Garçons du Pré » en parlaient longuement, assis les pieds au soleil dans cette partie du monde où les impasses remplacent les ruisseaux, et les marrons tombés les écrevisses fraîches. Les Gars de la Villa ne pouvaient tout de même pas consacrer tout leur temps à rigoler en caricaturant le Directeur, à remonter les chaussettes avant que passent les filles du collège, ou à tricher au baby-foot tandis qu’un Parrain attendait en vain une sortie de piscine pour débaucher son regard.
Le Certif, c’était l’Épreuve, » Pire que la communion, parce que tu peux pas faire semblant de savoir même si tu peux faire semblant de prier », disait le petit Pierrot.
Quelquefois, devant la porte du collège, ils se demandaient s’il n’allait pas finalement falloir apprendre des trucs, « Comme on a fait pour l’entrée en Sixième? » s’inquiétait Henri.
Ils s’étaient donc mis à réviser. On les voyait poser le cartable sur le trottoir devant l’une ou l’autre des bâtisses où revenaient leurs mères, et se raconter des histoires. Mais ça ne durait pas : le chien de Jacques passait dans la rue et ils initiaient ensemble une méthode garantie de dressage pour le faire ressembler, surtout de profil, à la prof d’Espagnol (qui continuait à s’arracher le larynx pour tousser les consonnes étranges). Venait aussi le temps des glaces fraise-pistache, un cornet pour trois, « Dépêche toi de ma la passer, déjà que c’est cher, si en plus ça coule ». Le grand livre des contes, manuel d’arithmétique, en gardait une trace bicolore à jamais poisseuse, mais goûteuse.
Par instants, ils se mettaient à rêver :
« Et si on ratait le Certif, qu’est ce qu’on ferait ? On deviendrait des boulangers sans levain, des charcutiers sans cochon, des curés sans paresse, euh , pardon, des curés sans paroisse? ». Écoutant Ydit perdre ainsi son temps au milieu de l’impossible (comme d’habitude !) les Garçons de la Villa levaient les yeux au ciel, renouaient leurs lacets, quittaient le mur devant chez Jacques. « Un Certif, c’est l’Épreuve, d’accord, mais nous on est au Collège, pas en » Fin d’Etudes », ça se rate pas , le Certif. » psalmodiait Jacques. Et : « On n’est plus en 14-18 » ajoutait Patrick, mais personne ne comprenait.
-« Dans cinquante ans, on se dira : et si on avait raté le Certif ? » ajoutait finement l’une des sœurs, qui mêlait son épi à la moisson locale. Dans cinquante ans ? On cherchera la chaleur.
Ç’avait été le jour J, à la date prévue cette fois.
Tout avait ressemblé à ce qu’on imaginait : la dictée, cinq lignes de Pagnol, et le jury avait un peu trafiqué le texte pour éviter l’accord du participe passé avec Être sans savoir.
« ils ont été l’été « ? »Tété l’été »? « Tété les taies »?
En calcul : une opération plus facile que de rendre la monnaie aux poivrots chez le bistrot de la mère Jeanne, au rez-de-chaussée de l’immeuble familial, rue du Belvédère, « les poivrots ils voient toujours double ».
Et pour l’Histoire, ce qui importe davantage. On était mi-juin 1964, la presse racontait une fois encore les heures de juin 44, depuis des semaines.
Question du Certif : Que s’est il passé en juin 44 ? Qui étaient les divers acteurs?
« -Il aurait vraiment fallu être débile pour répondre Jeanne d’Arc et Alain Delon. »
Aussi, on n’avait pas raté le Certif.
On n’avait pas raté, ensemble, les étés singuliers de la Villa. A chacun, seul, d’avaler les aigus de ses OubliEs. Le Certif ? Autorisation de décollage. Plus tard, bien plus tard, on pourrait prendre des avions où les hôtesses distribuent des bonbons à goût de faux sucre peu avant le crash. Mais d’ici là :
Pouvait se poursuivre dans l’aimable dédale de La Villa ces conversations sans doute incertaines, mais solidement inscrites dans le parcours de souvenirs grâce auquel on pouvait commencer d’être.
« Le Certif, c’est lointain » raconte Ydit. V3 -qui ne retient jamais une salve de Lumières- pense que « tout ça, le Certif, l’été avec les Garçons de la Villa, c’est une bonne leçon pour les » OUBLIeS » : pas de spectacle sans accessoires, pas de récit sans accessoire. »
« L’été c’est lointain », répète Ydit : là, dans la mousse des torrents bientôt quittés, paillettent les fibres de mémoire, on les retrouve aussi au passage des ours fatigués, des ponts, des frontières. L’été ? C’est piqure.
Quant l’été s’achève, alors s’arrête le récit long. Voici donc la fin des to des épinettes (menue larve capable de détruire d’entières plantations de pins, variété « Épinettes ». L’agronome du Parc dit : « Rien à faire d’autre que de laisser faire, les tourneuses tuent les vieux arbres, il n’y a plus de feuilles à ronger, elles disparaissent, leur espèce semble disparaître, les jeunes arbres poussent, vite, bien…et reviennent les tourneuses des Epinettes grignotant l’arbre vif. Cycle de trente ou quarante ans. »)
Les quatre font silence.
Mais : « L’été c’est poèmes, on avait dit » : Germaine consulte ses notes :
Jean Louis Chrétien :
« lentement les mots glissent
tombent dans l’air soyeux
vêtements qu’on enlève
je me tais dans ta voix
porté par l’imminence
où les regards se croisent
sans appui
vastes envols d’ombres
grappes de silence
un seul grain
rend le passé même ivre « .
(Nocturne, La Différence, 1990)
« Et c’est ainsi que ça se termine cette histoire de votre été des piqures de langue, avec ce petit cadeau de fin de stage pas sage, Ydit, pour une fois qu’on n’a pas oublié… »
…murmure Vassiliki interrompant la prise de notes pour le toujours immanquable rapport sur.
Mais quel rapport ?
Didier Jouault pour Yditblog n° 75