Yditblog S.P.O. 78 ( 101) : La pas là Tyne n’est plus princesse en son royaume?

    Séquence Publique d’OubliEs n° 78/ 101. le désir est un rail qu’on aspire aussi par les oreilles. Proverbe malin.


  Ydit est debout sur une estrade. La salle est encore vide. Cependant il commence :

 

 

« C’est ainsi que OUBLIeS s’arrondissent dans le four de la mémoire : un goût de lumière sur la peau d’un stage théâtre (lire spo 76 et 77), voici que renaît l’été de jadis ».

Comme dit Germaine-des-rails, poussant les ultimes voyageurs vers les portillons de nulle part, dans une logique impérativement ferroviaire : « L’été c’est tous les ans. Mais sans doute, ce ne sont pas de tels débuts  de souvenirs qui vont faire bonne fin. »

Ydit cependant continue dans sa tenue d’orateur grec (étiquette au cou) :

 

 

    « Donc, l’OubliE, celui-là, quarante ans  passés depuis : Il advenait ( coup de soleil dans un ciel trop serein) que Tyne viendrait pour un très peu de jours ( et jamais assez de nuits) dans la maison prêtée par une amie très complice. Dans la région, voici la fin du printemps. Des jeunes femmes gagnaient des tournois de volley, dans l’air roux des merguez, dans l’arrosage de rosés de Touraine.

 

 

Germaine : « On s’y attendait, doux et rusé, roux et rosé, la tension du volé, ça m’aurait étonné qu’il n’y ait pas un regard pour traverser le passage à niveau  des fantasmes sans attendre le signal ! »

Une  auditrice, glissée en secret derrière un rideau de théâtre vide, aimerait parler mais se tait.

     Ydit s’est habitué aux impertinences ferroviaires et au silence des passantes.

Il raconte : « La campagne était encore ainsi en ce temps. On épuisait l’énergie et les envies des mains à conduire les vieux quatre roues laissés pour compte sur place et pendant l’hiver, jusqu’au train, pas grand ni vif. »

 

 

     » L’attente, dans laquelle on se glissait comme un Grec privé de son double et de son casque en lumière de Troie, l’attente aux yeux de velours et pattes de crocodile, c’était le premier mode impératif de la rencontre. Patience en arpentage. »

 

 

     « Le quai inquiet ( substance durable connue de Germaine ) caquetait de coquets okey, chaque fois qu’une de ces locomotives à teint d’épinard trouvait encore et le bon rail et la force de s’arrêter avant le kiosque. Ydit raconte qu’il espérait l’arrivée de Tyne, mais doutait encore,  d’elle autant que des aiguillages du désert imaginés par l’horizon. Car Tyne n’en faisait qu’à sa fête. »

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     YDIT : « Naguère, dans un amphithéâtre à couleur de saxophone, ou dans une bibliothèque flottant sur l’herbe fumée par d’autres, ou dans un souterrain oublié servant de cafeteria, elle avait regardé ses mains, Tyne, en observant ce livre qu’elles tenaient, et  lui avait soudain dit, un peu méprisante » : « Vous connaissez Hamadou Kourouma? ».

 

 

Déjà là, très debout, inédite, savante,

Parlant doux, voulant tout, si vive et si lente

« Plus tard – mais pas si longtemps après (signe d’époque)- lorsque Tyne quittait l’appartement où vibraient encore les vertes ondes laissées par leurs jeux délicats et puissants (parlant doux, voulant tout, si vive et si lente )- il lui offrait des volumes à peau jaune sur des hommes noirs, ceux qu’elle lui avait appris à lire entre le soleil du balcon et la promenade au phare. »

 

 

Des récits magiques de pouvoirs secrets, de colonisés mimant le blanc dit vaincu mais encore assis dans sa royauté de négoce et de conseils, des rites hérités.

 

 

Alors que Tyne savonnait sa douche, Ydit posait à son tour les romans sur la table de verre du salon. Cadeaux. Concurrence de noms, compétitions d’éditeurs. Tyne sortait humide sur son pied de fleur sêche. Elle regardait la pile, riait, refusait d’ouvrir ce livre autant que d’accepter l’éponge d’un peignoir : rapprochement  jugé douteux du dodu et du dos donné.

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Elle ajustait sur l’œil ses lentilles, regardait le titre, disait : « Je suis en retard pour le séminaire, tu ferais mieux de me l’offrir une autre fois ». Elle reposait, sur la pile, comme un poulain, à peine né, sur la paille.

 

 

     Chacun le sait, en Français courant, « une autre fois » en ce cas veut dire » je reviendrai », et parfois  » n’y comptez pas« .

     La Russe au grand cœur et aux micros menus comme des chances de survie aux mains des « services » s’étonne, une fois encore, de ces langues latines où le même peut exprimer le contraire, ou l’inverse, même.

 

 

    On s’y perd, c’est mauvais ( très mauvais) pour les futurs rapports.

   V3, le Vaticinant Vieillard dit Voltaire, habituel comparse et même « baron » des Séquences Publiques ( s’ils n’étaient là, tous trois, quel public ?), V3 est en voyage dans les Antilles. Sous prétexte de vacances il doit y mener quelques bonnes affaires.

     « Pour une fois, tant mieux, dit Germaine : il n’aurait pas admis que le même fût le contraire, c’est même contraire à la Lumière. Et le train de Tyne? » (Elle ricane, elle ajoute à voix basse : connaissant Ydit, elle n’avait pas un train de sénateur, Tyne!) (s’apercevant d’un amphigouri probable : enfin je veux dire la vitesse)

     Ydit raconte : « Il avait accueilli Tyne dans la vieille gare. Sans frémir ni faiblir sur les solennités des premières fois. C’était la province. »

 

 

     Tyne posait ici des yeux de parisienne qui découvrirait que Balzac écrivit à Saché ou que Montaigne n’habitait pas rue Clovis.

    Ydit : « Dans la vaste maison d’amie la viande froide  pouvait attendre ou le cornichon s’étioler, et le claret de bourgogne fraichissait dans le puits. On avait le temps. Nulle impatience de cette présence venue tendre la main à la solitude. Les premières fois du temps sont toujours trop bienveillantes. »

 

 

    « Dans les rues  royales, l’Histoire sonnait le rythme. Ydit avait lu des livres, des guides. La veille, il avait parcouru dans le bon sens, puis en désordre, un chemin de pierres et de culture. Bruissant intérieurement des récits à construire sur les yeux de Tyne. Il savait pour elle des mots séducteurs d’intelligence.

   Il aurait voulu que la ville fût son accueil de princesse en voyage : parures de vestiges, habits de pierre taillée. »

 

 

IL disait en marchant : Ici, avait vécu… Ailleurs, était passé… Encore là, on lisait dans la façon  du tuffeau le vieux métier des compagnons maçons, et …

 

 

     Après ce coin, à l’angle nord de la place ensoleillée, on savait que …

    Tyne n’écoutait pas le suc des mots, et ne voyait dans la lumière des façades que les ombres des rideaux. Elle sursautait les trottoirs, libellule légère et presqu’immatérielle, on aurait dit un Gavroche de l’Empire-Badinguet repeint en couleurs par Courbet, origine du monde en moins.

 

 

     Ydit montrait une fenêtre, commentait une notice, et Tyne déjà partait devant, parlant seule des métamorphoses de la langue tentées par les écrivains africains au lendemain des Indépendances.

     Elle récitait avec gourmandise des proverbes à goût de manioc, des sentences à l’odeur d’éléphant  :« Il y a de l’eau et il y a le milieu de l’eau« , disait on en Côte d’Ivoire. Et au Mali ; « Tout a une fin, sauf la banane qui en a deux ». Ydit écoutait , retenant le sourire

Elle demandait  ensuite si on y allait, dans la maison,enfin ? Ydit préferait qu’on s’arrêtât déjeuner. Tyne répondait par cette sentence du Niger : « La beauté ne se mange pas avec les doigts ».

Rillons place Plumereau : Tyne contestait  maintenant que la narration des temps de la colonisation fût encore le noyau éditorial dur de « Présence africaine », en dépit de Sembene Ousmane, bien entendu. livres afrique

Salade de fruits sorbet aux amandes, rue aux Juifs, « Et comment cet imbécile fat de Laféburye osait-il inclure M’Bnengé dans sa collection « Nouveau Continent/monde noir » au motif qu’il dirige le séminaire à la Sorbonne et dîne à l’ambassade du Sénégal? »

En terrasse,  masquant à peine les jambes droites de Tyne, la table ronde était trop étroite, pour qu’on pût couper le débit comme un opinel le pain bis. Vous le savez bien , Germaine, qu’on ne coupe le souffle du temps qu’avec l’absence du désir?

Pressée mais tendue, Tyne traversait les souvenirs de la ville. Elle regardait  vers le futur incertain de la nuit qu’on sentait venir, pourvu qu’on insiste, Tyne toute noire de mots elle peaufine, elle diafane, elle efface le geste en elle avant qu’il s’installe en caresse.

Tout de mème on parvint à la maison pour le meilleur.

Dans la chambre lumineuse, rieuse, Tyne disait « Ydit, au Bénin, il y a un proverbe pour les éleveurs : » Ne te laisse pas lécher par ce ce qui peut t’avaler… »

 

 

InkedTyne, Verdon , nu à la chaussure nouée sepia_LI

 

Le lendemain, il avait encore fait beau.

 

« Pendant le café, Tyne s’amusait :

« Tu devrais méditer la sentence congolaise : « C’est parce qu’il a dormi trop longtemps que le serpent a perdu ses pattes,Ydit,… »

Puis, plus sérieuse : « Je n’écoutais pas beaucoup ce  que tu disais, hier, pendant tes récits de la ville », dira Tyne, assise en tailleur sur les mollets ronds que la table matinale couvre d’une loupe polie.

Ajoutant que, malgré tout, en dépit des heures joyeuses (et vespérales) de l’appartement parisien, où les jeux de pattes sont aussi jolis, ici dans la maison vide de la campagne, l’anxiété formée par cette première longueur d’une tout entière nuit, et d’un éveil en partage, et des miettes de vie dans le petit déjeuner, les plis délicats de l’amour, les éveils…

« En bref, dit Germaine, elle pleurait les mots noirs au rythme des peurs bleues, votre amoureuse? Et donc, cette nuit, à part les anxiétés de jeune fille ? Les aiguillages  furent au point ? »

YDIT : Impossible, Germaine : les S P O ne servent qu’à l’évocation  des ratages.

Et l’indifférence bavarde, le silence blafard, de Tyne quand la ville tendait la tendresse de l’Histoire en cadeau de première nuit, son mutisme du cœur, alors que les murmures des sculptures réinventaient le souvenir pour elle, son glissement prolixe au-delà des signes de la réalité passée, la fermeture des écoutes …ce furent des « OUBLIeS » à saveur un peu amère, un peu acide.

Mais ce n’était qu’une première apparition de la si aimable Tyne sur le décor des nuits et la scène des éveils.

Germaine : « Au fond, Ydit, vous préférez les femmes qui vous écoutent  ? »

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Yditblog S.P.O. 77 (post 100), Tout peut s’oublier, qui s’enfuit déjà / n’as-tu pas en fouillant les recoins de ton âme/ se couche contre terre et sans faire aucun bruit/ ah la la quelle baraque de frites sans sel, ni mayonnaise, la mémoire.

Séquence Publique d’oubliEs N° 77/post100 – et centième publication sur YditBlog.


Rappel : Ydit raconte   ( SPO 76, 30 septembre 2018 )   les cataclysmes de la mémoire quand elle tente de se mêlerplaque Sarah B              …au jeu du corps, au cours d’un navire-atelier-théatre.

     « -On croirait des gamins qui se partagent les billes mais ne savent même plus où est le sac », dit Germaine-des-rails, la fidèle horlogère des allers-retours à voie unique, la gardeuse de quais Ouest et  Largo.

     Ydit : « Germaine, mais au fait personne ne sait quel est votre véritable prénom, Germaine, vous incarnez la précision de l’horaire  et la force de la machine. Cette fois, c’est maintenant l’après midi de l’atelier, dans la pièce municipale et sans auteur, les amateurs se mettent en scène et en danger … »

     Sur la notion de danger, on perçoit que V3 – le vaticinant vieux Voltaire dit V3, aimerait interrompre, évidemment sans aller jusqu’à citer le « Paradoxe » de Diderot, on n’est tout de même pas là pour faire l’échelle à des petits rigolos. Ydit profère un geste large, comme on tire une cartouche de fusée un  soir de feu d’artifices, et Les Autres apprécient le feutrage du silence ainsi imposé.

     « -Les autres, soit dit au passage cher Ydit, reprend Germaine, pour vous écouter c’est toujours aussi rare qu’une émotion vraie dans le cœur de V3 ou qu’une parole sans arrière-pensée chez notre Russe des Organes, Vassiliki…

    …On ne peut pas dire ( elle montre l’ampleur du dégât des gars, des débats des bas, elle montre) que depuis trois ans votre public se soit réellement agrandi. »

     Ydit : « Dans l’atelier, on recommence le jeu des mots et des corps. Chaque duo donne à son tour le jeu pour le reste de la maigre ( encore ! ) assistance. »

     « Et toi, dans ton pique-nique, tu avais mis de l’avocat ? » demande l’une, à voix basse tandis qu’un duo se prépare. Elle observe depuis le bord de la fenêtre.
Un autre : « Moi je suis mécanicien, mais j’aime voguer avec « Les Mains Sales » …

     On sourit pour le rare bonheur de faire plaisir. Dans un couloir voisin quelqu’un répète une fameuse tirade de Racine.  Les nuages de l’intérieur se dissipent ainsi, tandis que la parole des autres envahit chacun.

     YDIT : « Des passantes du samedi après-midi ouvraient la porte où l’on travaillait. Elles cherchaient la répétition de danse. Au moins, on n’y parlait pas. Un temps, elles regardaient. C’était  à mon tour, de nouveau, avec une autre partenaire muette.

     Le corps enchainait les gestes et postures prévus, on bougeait, mais encore cette fois la syntaxe étrange de la mémoire ancienne bouleversait le fil du texte qu’on croyait savoir : « Ne me quitte pas, ne me quitte pas…Tout peut s’oublier, qui s’enfuit déjà…n’as tu pas en fouillant les recoins de ton âme…toi que voila…je t’offrirai des perles de pluie…se couche contre terre et sans faire aucun bruit… »

     Les souvenirs d’école décollent, c’est pas normal’ sup, c’est le vent sur les branches de patatras, c’est des cadavres de banquise brûlés au soleil, et la mémoire braise d’un coup de blizzard les larves du souvenir, la forêt intime s’embrase…

     Ydit raconte qu’il avait choisi de jouer la scène jusqu’au bout, même si le texte se transformait peu à peu en bric-à-brac de mauvais élève ratant son certif.

     La folie soudain redécouverte du théâtre est que le corps y est un jeu de peu, un peu de faille, le corps de l’autre approché comme interdit, le corps lointain et touché, les mains qui s’étreignent, les cheveux caressés, tout peut s’oublier, qui s’enfuit déjà, le corps de l’autre coloré du blanc absolu de l’inexistence, se couche contre terre et sans faire aucun  bruit : enfin, enfin, le corps présent et noté absent, enfin, enfin, le geste privé de ses profondeurs, dénié en ses conséquences.

     Vassiliki, souriante : C’est ça le principe, mener le rôle à terme, et inventer ensuite les mots ?

     Germaine : Laissez le finir, c’est pas l’omnibus de la ligne M.

     Ydit : Je me souviens plutôt de : « N’as tu pas, en fouillant les recoins de ton âme,un beau vice à tirer comme un sabre au soleil, quelque vice joyeux, effronté, qui s’enflamme, et vibre , et darde rouge au front du ciel vermeil? »(*)

     L’une des passantes cherchant la répétition de danse demande si c’est du Johnny, du Patrick? du Pédro? En tout cas, elle ajoute, c’est pas des trucs à lire dans le collèges, ce machin qu’on tire au soleil, qui s’enflamme et vibre, sans parler du dard…Les gamines rigolent, quittent le couloir en ajustant ce qui reste visible de pudeur dans le collant étroit qui tente de contenir les regards.

    Ydit : « Le lendemain matin, troisième séquence d’atelier, on avait essayé à nouveau de bâtir une logique des mots qui collerait à la force des gestes, pour le plaisir de ne pas renoncer. Mais non, ni Vincent Cassel ni Anaïs Moustier. Ni Sacha ni Pitoeff.

La mémoire du texte fait comme une langue qui se roulerait autour des mots sans jamais épuiser leur saveur de vanille passée par la cale d’un négrier.

     On joue, on prend le texte comme un wagon un peu ancien,  et des mains négatives entourent les courbes d’animaux disparus. On disparaît ailleurs, dans la nostalgie un peu mièvre de livres pour écoliers : « Ecoutez la chanson bien douce/Qui ne pleure que pour vous plaire/Elle est discrète elle est légère:/Un frisson d’eau sur la ma mousse  » (*)

     L’arme de poing nommé souvenir tout d’un coup surgit des ombres intérieures

Il tire son coup, le discours, et tout vient à poing.

     –« A poing, avec un G ? », s’interroge  la belle Vassiliki, dont  la langue slave ne maîtrise pas les profondeurs des  » Liaisons dangereuses » ou les non-dits de  » Sally Mara ».

     Bon, ajoute YDIT, une séquence volontaire d’oubliE pour une séance volontaire d’oublis, sans doute fallait-il bien cela pour le centième post de ceci  d’ici qu’on nomme  » Yditblog » ? Voltaire en a les bras qui tombent sur les appuis de son éponyme fauteuil.

     L’orateur marque un temps, s’assied dans son silence, regarde passer le spectacle du vif qui s’en va, et conclut d’un sourire un peu niais :

« La prochaine fois, ce sera stage Tennis, au moins les revers sont des victoires. »l'échelle symbolique où grimpent les OubliEs

 

 

Puis s’en va sans tirer l’échelle.

 

 

 

 


(*)Verlaine,  » Sagesse »

NB : crédits photos du « stage » : Annie Mathieu


Didier Jouault  pour  Yditblog  77  (100)

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