Ydit veut raconter l’arrogante cruauté des jeunes hommes trop faciles. Par le suite, peu à peu, presque sans le vouloir, ses frères lui ont appris à respirer autrement le parfum noir des dames, sans renoncer à les aimer.
Séquence deux sur deux : la théorie de la chambre de bonne
Reprise de volée :
Le tarot l’affirmait : dans un voyage prochain, Ydit ( dont le pseudonyme était encore lui aussi à venir ), Ydit croiserait le sentiment sur un quai, un rivage, un trottoir ( les cartes répugnent au détail). Une lame disait le voyage, une autre l’aventure, la troisième en se dévoilant à point paraissait cligner de l’œil dans le miroir des vestiaires. La devineresse ( en liesse sous la tresse) volait d’une main toujours muette sur ses lames retournées, mais ne disait mot que sur demande : une carpe dans son fossé.
Germaine, bien entendu, veut en savoir davantage sur le futur annoncé. Et comment il n’advint pas
Ydit raconte :
En ces temps d’il y a plus longtemps que le pas du souvenir ou presque, il allait dans les départements animer des réunions, où tenir le rôle de l’invité, pour le stage de Week-end.
Peu de jours après les jeux de reflets du tarot, il finissait une séquence publique d’avenir, qui s’était posée dans une abbaye défroquée en pays de marais poitevin.
-A Parthenay, la Parque naît, s’amuse Germaine, se demandant ( sur un ton à couleurs de Maroc) s’Ydit bout l’abbesse?
Ydit, tout de même, ces gloseries à peine littéraires pour des mots à peine d’esprit, ça l’agace, parfois. Mais on sait que le verbe lâché ne rentre jamais dans la bouteille. Il poursuit le récit.
Ydit raconte :
Tout au long du Week-end, une jeune médecin et lui avaient balisé les territoires séduisants de la connivence. Rien n’avait eu lieu, sauf l’évidence d’un futur possible, ce que les regards disent en peu d’éclats. (Germaine ricane du ‘peu d’éclats’ -discrets comme une volée de cloches pour la messe du dimanche).
YDIT : Le stage fini, sur le quai de la gare, tard, comme elle le raccompagnait avec une autre, Ydit se demandait soudain s’il ne fallait pas soudain rester, poser les mots sur le quai, décliner ici tout langage, dérailler, s’arrêter – même si tôt ? Il se sentait un peu amoureux et beaucoup stupide, à moins que le contraire?
Elle proposait qu’il vienne dîner chez elle, elle n’était pas de service le lendemain à l’hôpital, il est encore temps, un reste de mojettes, tant pis pour le train, une tranche de jambon de pays, celui-là ou un autre, tous les trains partent à la bonne heure, il prendrait celui du lendemain matin. Peut-être. Ou même un autre. Puis elle viendrait passer des soirs à Paris. Avec les mojettes, on boirait du pineau frais dans la chambre d’amis. Le dimanche on rangerait la bibliothèque.
Par la fenêtre, pourtant, il avait donné du mouchoir comme on donne du gîte, avec une malicieuse dérision. « Venez quand vous voulez », disait-il à la cantonade, pour ne désigner personne et décevoir tout le monde.
Peu de jours après, sur ce qu’on nommait alors « répondeur », une poitevine avait décrit la suite : » J’arrive ce soir« . Elle aussi avait conservé l’adresse du Parisien. Mais c’était l’autre, l’amie gentille et sans talent dont les yeux n’absorbaient pas la fine lumière du désir. On avait partagé des minutes de respiration dans le parc de l’abbaye. Elle avait cru à l’invite ferroviaire.
Bientôt, la Poitevine à forte poitrine a quitté le quai, nulle Germaine attentive n’ayant pu interdire le voyage vers rien. Elle s’impose d’une queue de rat joviale et d’un chignon polisson, coiffé en nid d’ange. Elle s’est préparée à la vie pendant le voyage.
Il n’y avait pas de code à la porte, en ces temps sauvages. Elle sonne. On ouvre.
Dans l’appartement, elle installe un peu de confusion -presque de stupeur -.
La compagne majeure d’alors s’amuse devant cette improbable cueillette de séminaire… Ydit est démasqué en costume de Sganarelle, valet gras d’un Don Juan exporté en Poitou, qui sait tant des filles sauf la vérité de leurs yeux pâlis par l’attente de la couleur vraie. « Mes gages, mes gages ! » réclame la Poitevine à Sganarelle, et « Dégage, Dégage ! » songe l’amoureux trompé sur la personne, retranché dans le donjon intérieur de l’indifférence.
Mais se prépare son destin de pierre.
La Niortaise, guidée par des lames de fond de son propre désir d’être Désirée, n’a rien compris de l’appel à venir peupler l’avenir.
Elle accepte avec une précipitation de Grandes Chutes l’invitation à occuper, ce soir, la chambre de bonne.
YDIT : « On n’allait pas lui proposer le tabouret, et encore moins le canapé, elle aurait vidé son sac dans le salon. »
Pour festin, déchiré entre trois, on lui offre un brouet sans luminosité. Le dialogue est puissant comme le grain dans la dune : un soupçon de vent le fait rouler vers le néant de l’anonyme.
La Niortaise ignore Paris, elle redresse le chignon à coup de baguettes détournées d’un restaurant (iranien-mongol?) de Migalou-Bonnières, elle ne parle que de ce pauvre Boby ( un autre grain de sable, Irlandais), et perçoit en tout regard la vigueur d’une annonce faite au pari. Elle décroit ses allées, décrit ses venues, mais renie ses retours.
On regrette, elle croit en sa nuit. Telles sont les mœurs parisiennes vues depuis les bocages. On écourte l’agape sans éros, son train était si loin, si tôt, elle est si fatiguée, n’est-ce pas?
Ydit suggère de la conduire à la chambre de bonne, quelques escaliers, amusement dissuasif mais dissimulé de la compagne majeure. On sent que la Niortaise, émue et très éveillée, se dit «Ouh la la, çà va si vite, c’est la capitale sans Kapital, j’ai bien fait d’emporter mes gélules.»
Elle gravit les marches comme une qui aurait le bonheur de descendre l’échafaud sans avoir perdu la tête : enfin la vie commence. La grande aventure, c’est ainsi qu’elle y pensait pendant les réunions de section ou les cueillettes au papillon, sur les rives des canaux dans le marais. Elle a vu comment les gars de Paris on appris les voies de la fraîcheur sans pudeur.
Elle franchissait la porte, se retournait, fermait les yeux : du temps passait. Quoi, Ydit de Paris et du Parti n’avait pas encore dénoué son langoureux Caraco à liens verts et rouges en dentelle d’Alençon brodée sur toile de Mayenne? Ydit n’avait pas déjà, impulsif et gourmand, porté à la lumière la petite étoffe « Dames de France » achetée pour l’occasion, sur le marché de Bressuire, avant de l’éparpiller sur la moquette ?
Ydit souhaitait bonne nuit. Il indiquait les lieux utiles, la meilleure boulangerie au petit déjeuner, laissait pour demain le plan de Paris ornementé de perles telles les adresses de musées ou de gares, – surtout d’une gare – et remerciait pour l’agréable dîner entre camarades d’incartade légère – et très dépassée.
A une autre fois, il espérait ? A Niort de nouveau, sur le quai de la gare, avec son amie médecin de l’hôpital ?
Fermait doucement la porte. N’écoutait pas derrière. Se confortait dans sa cruauté : séduire, passe encore, mais coucher, à cet âge… S’offrait l’imbécillité d’un sourire d’escalier, ceux des conscrits de jadis ayant fait pipi dans le casque du sergent. Encore trop vert pour le rouge de la honte.
YDIT raconte : Restée seule, on imagine, la Niortaise rumine, fulmine, elle ravine, bientôt elle Nautamine, elle Revitaline, elle Nivaquine, tous les moyens sont bons pour régler son cas à ce fat, disparu sans bruit et sans fureur, parti derrière la porte la queue entre les jambes.
Humiliée, sans doute, déçue, violentée de solitude, elle sort boire une verre dans un bar, deux bars, trois verres. Plus tard, elle disparaît au-delà du rideau de scène.
« Et bien, soupire Germaine, je comprends l’urgence des « OUBLIS » à présent que la statue d’un commandeur est en route : il n’y a en effet pas de quoi vous pardonner. ET Ensuite ? »
Ydit : Au matin, sur la porte de l’appartement, un mot attaché par un peu de ruban d’Alençon renforçait la niaise cruauté de l’épisode :
verso : « Elle avait le visage aminci, les pommettes longues, et de grands yeux doux ».(1)
recto : « Mais il se fait tard, allons souper! »(2)
(1) Marcel Schwob, Vies imaginaires, Gallimard, 1957
(2) Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien.
didier jouault pour Yditblog 81/105














Ils en bavardaient encore, sur le point de partir, et Tyne- sur la ligne de partage des mots- demandait ce soir « 




