Rappel des aventures lointaines ou moins de Polka et L’Orateur : une série a commencé, dont voici le troisième et antépénultième épisode – enfin si tout se passe bien.
-« Vous inquiétez pas, Ydit, si besoin je vous aide ! Au fait, je peux te tutoyer ? prétend Marina. Richard, il voulait bien, et au fond pourtant on n’était pas si intimes, avec le Millet « , prétend Marina.
Ydit ne nie ni ne dit.
On est toujours dans l’ étonnant mélange de l’espace culturel du 104. Sur les sols de béton brossé où l’on faisait naguère attendre les cercueils populaires des parisiens démunis, des filles à l’âge léger font des arc-en-ciel, ou la roue, des amies se font plaisir en passant des cigarettes et des gestes.
Ydit s’est un moment assis dans le fauteuil de plage en toile rouge. La double bannière d’un hebdo sauvage et du maillot d’encore SPO marquent un territoire assez fouillis. 
Ici, dans la confusion des temps de la mémoire et du funéraire voué au vivant, l’Orateur tente de superposer les oublis sans les détruire. 

Son public ne s’impatiente pas : il ignore.
Et les quatre comparses produisent de menus déplacements de la parole, comme ralentis par le bruit que font les filles dans le regard lorsqu’elles échangent des cigarettes par elles-mêmes cousues puis fumées,
roulent des hanches d’acrobate,
ajustent le short désolidarisé du corps par l’implicite frémissement des épisodes précédents .

Des affiches publicitaires ont réussi à pénétrer le creux du 104, établissement culturel post mortuaire.


« Short : 47 % de réduction? «
« Des fois, c’est déjà si court , tu te demandes comment on pourrait encore réduire?? »
– « On ne peut pas penser la même chose des SPO, matière respect des horaires », grommelle Germaine
-« Faut dire », commence Marina, étudiante modèle dans ses apprentissages mélés.
-« Non, vocifère doucement -comme eut écrit la Margot- la Russe Vassiliki – non, il ne faut pas dire, dire c’est avouer, déjà, et l’aveu, Lubianka, et après ici, hop, au 104… »
Encore ignorante du fil KGB tissant la toile des SPO, – cet obscur rapport du Père avec les services -Marina s’étonne. Les autres estiment que, la Marina, va falloir qu’elle s’habitue.
– « On devrait pas les prendre si jeunes « , dit Germaine, « patauger dans les souvenirs que laisse la calotte mémorielle quand elle fond, ça demande un peu d’expérience ».
Ydit retourne au récit ( car à quoi d’autre revenir?) il en fait ( donc) l’aveu : après les jours si proches entre les quatre amis d’alors, l’usage de gelovules, estimé intempestif (bien que rudement nécessaire) avait représenté comme la glaciation instantanée du mammouth , et dans le permafrost les défenses un peu déglinguées avaient commencé de percer la surface du temps, quinze ans plus plus tard.
Ydit rappelle : très peu de temps plus tard que la fusion des gélovules un matin après la course au bois, chez Polka, improbablement, il avait dû partir assez vite assez loin, trop loin pour de petits bonjours du jour, trop vite pour des mots posant la suspension à la place de La Disparition.
Ydit raconte l’ensuite: depuis tout ce temps, ses relations avec Polka, dé-gélovulisées- avaient pris la tournure régulière et patiente de vieilles amitiés : brefs messages, rares rencontres à l’occasion de puissantes fêtes à vocation populaire, comme l’affectueuse sanctification (à Gori en décembre) des moustaches de Joseph-de-la-nation-le père, ou l’anniversaire teigneux d’un coup de pioche (malencontreux )par hasard égaré dans le crâne de Lev Davidovitch, au Mexique, vers la fin aout
…Polka, tous ces jours de pierre que l’Histoire et le présent écroulaient sur les illusions des nuages, elles les ignorait.
Toujours fidèle au Tsar, aux stars.
A présent, sans Jojo désormais, mais en le nouvelle compagnie de Polki dont elle avait des enfants, Polka avait réapparu à M.
On s’y installait, on y faisait carrière et travaux des jours. On apprenait à parler des langues moins slaves et plus suaves.
-« Moi, interrompt Marina en usant hélas des libertés qu’on donne excessivement aux jeunes filles héroïnes de roman, moi j’ai toujours du mal avec la langue. Pas vous ? »


V3, (c’est vrai, on le voit vieillir) :
Il dit, à côté ( mais, songerait Vassiliki , dire à côté ce n’est jamais que mentir en dedans): « D’ailleurs, au Procope, si tu order une truite et que le Butler give you une tuile, c’est que ton English reste encore bien moins que fluent, Man. » Ricane ensuite, un peu légèrement.
À M., les auditeurs se souviennent ( et ça n’a pas de prix ) qu’Ydit devait y passer souvent,
y revenir parfois, s’en échapper aussi pour ses missions de Grand Investigueur en Petiotes Choses, mais surtout parce qu’un ami commun y avait posé bagages et famille.
Ydit raconte qu’avec Polka, de ci de là, de marées du vivre en passages de l’étal…
– « Le passage de létal, c’est passer de la vie à trois pas « ? Demande Voltaire , qui s’y perd
– « Il ne comprends plus tous les mots », dit la Russe, « mais cela n’est-il pas la leçon de philosophes? »
-« D’accord, mais un Voltaire sans dico, c’est comme un DJ sans disco, un Audiard sans verve » , dit Vassiliki, naturalisée cinéphile, ( « Ou un Mercure sans ses verges sévères » pense Germaine, à qui les temps d’attente sur les quais ont permis de s’acculturer héllènophile).
-« Bref », re commence Ydit
-« Àh oui, bref de bref » trémousse et trépigne Marina ,
Ydit raconte que Polka et lui avaient croisé leurs regards et regrets, sans les maux de la parole, jamais seuls. L’ainée des enfants de Polka, cependant, percevait une tendresse un peu différente dans leur amitié quand elle voyait sa mère rire de rien en écoutant Ydit, ou que Polka ne s’encolérait pas si rudement pour la politique lorsque la discussion l’opposait à Ydit, sur la terrasse de l’appartement au soleil. C’étaient comme des mousselines imprévisibles et invisibles protégeant des morsures.
Parfois, Polka et les enfants (et même ce bon vieux Polki) passaient à Paris, et s’inventaient de rapides dîners place du Passé, une promenade au jardin du Luxembourg, une glace chez Raimo, rue de Cracovie. On reprenait le métro Place de la bataille de Stalingrad, dont Polka ne cessait de se montrer fière.
Chez Polka zé Polki, l’habitude du vivre nu avait maintenu des apparences de divergence sociale, de liberté couleur Est. Mais derrière la banalité des usages et la volonté de provoquer le petit-bourgeois , chacun ne parcourait plus que l’urbain bitume des différences sans vraie différence. Quand il y avait des visiteurs, on redevenait textile. Une étudiante de Hongrie ( et certainement pas Yougoslave) hébergée pour un colloque,avait rougi en découvrant des photos d’été,
on lui avait raconté que cela datait d’autres tentes.
Autour, peu à peu, la vie s’était amollie sur ses pudeurs de prude, ou même recouverte du voile noir des interdits.
Ensuite, quoi de plus ordinaire, les enfants Polka zé Polki étaient partis vivre ailleurs le temps des questions et des apprentissages.
Quand Ydit passait à M. et que Polki participait à un congrès, un colloque, un séminaire, une chasse au bison, une célébration de brigands, une trousserie de traductrices enamourées, Ydit avait été invité à dîner en tête à tête par Polka. Mais ils n’avaient jamais évoqué la séquence gélovules et tapis,
même si – assez bizarrement – lorsqu’ils formaient leur seul public à deux, une forme de complicité plus qu’amicale donnait à leur discussion des allures de vieux rose, de faïence usée, d’écharpe longtemps séchée au grand soleil d’ici. Encore des reflets d’une vraie teinte d’origine, mais les franges lassées s’effilochent sans nostalgie comme sans attente.
Germaine et Marina, presque en même temps, s’étonnent : vraiment plus rien, quand ils étaient seuls, Ydit et Polka?
V3 ( qu’un bon coffee incendie pour un éclair ): Polka sans doute pensait, appuyée par la dialectique : « Bah, le passé c’est le passé »
-« Contre ça que vouliez vous qu’il dit? »

A suivre, sous peu et même avant ça : S.P.O.107 . Dressée au gros Rouge qui tue, Polka mène son petit blanc à une pure absence.