Ydit-bis, Rétro-calendrier de l’Avant-15 « J’écris Ferrare »(4/4) Après 21h30 le client est un gêneur.

plan de Ferrare in Quarto

Nul n’est contraint de mémoriser  scan101443672 les chiffres, à l’inverse de ce que notre monde (et mille fois- un chiffre- davantage en ce temps de « crise sanitaire ») tente de faire croire. D’ailleurs, on peut compter sur moi pour les données : Version 2, 347 pages au lieu des 433 de la version 1, 130000 signes ou espaces effacés (notre espoir commun d’effacer l’espace !), dans le confinement soyeux (celui-là) de la bibliothèque Abdelmalek Sayad, 80 places assises, jamais plus de quatre ou cinq lecteurs, Musée de l’histoire de l’immigration, Palais de la porte dorée, cafétéria-sandwiches-association-d’insertion, Paris 12ème, ça ne peut pas se manquer: ancien pavillon principal de l’exposition coloniale. Juste à la sortie du bois usé par les footings du matin. Très organisé.

J’écrivais FERRARE, donc : à nous deux la version TROIS.

 

 

La troisième épreuve, c’est l’épreuve dite « La dentelle de Palais ».
Pour cela on devait partir, se lever ailleurs qu’avec soi- même à l’habituelle Place du Sommeil, cesser de ressembler à ce chien qui le matin retourne à son dormi mal digéré.

J’avais loué de toutes petites maisons en campagne, deux ou trois fois, parcours pas trop long depuis Paris. Solitude, hameau, même pas un café-restaurant le plus souvent, mais la cheminée pour les lumières du soir, car c’était l’hiver commençant. Un brouillon ça brûle bien.

 

 

La journée, vous ne faisiez rien qui eut été s’approcher trop de « FERRARE »-nom de code. Vous marchiez, au mieux un sandwiche de boulanger à midi mais on trouvait rarement une boutique dans les chemins, ni d’ailleurs de sandwiche, denrée urbaine.

La saison était celle de retours prématurés, trop peu de lumière pour sortir les paroles du puits de la mémoire, trop peu de kilomètres randonnés…Il ne s’agirait plus de regarder les phrases avec un peigne perplexe, les mots pour changer leur couche. C’était le temps, comme chez le coiffeur d’enfance, des finitions rudes à la petite tondeuse.

 

 

Le jeu de découpage continuait alors, dans l’ombre des flambées rythmant les ratures de la page. Cuisine solitaire, clin d’œil tricolore aux voyages d’été : courgettes, pommes de terre, tomates. Tard, vous sortiez marcher dans la nuit sur la route rurale, mais vous aviez en général stupidement oublié une lampe-torche, et la correction justifiée des paroles se dissolvait dans le noir sans lune.

 

 

Pas loin, on trouvait toujours une bourgade, pour que s’ouvre, dans la solitude apaisée, l’agréable désordre d’un dîner en ville, il ne fallait pas arriver tard, plat du jour solide un vin plutôt rouge, dessert seulement si on a VRAIMENT supprimé d’un scalpel honteux mais satisfait à nouveau 20% du texte de la version 2, dernière démarque avant fermeture. Une rigueur disciplinée de gabelou qui cherche son sel sous le béton des bunkers encore épais, en haut de la falaise.

 

 

Jamais personne à la table de le « Genty Home » place de la République à Mortagne-au-Perche, ou au «Rendez-Vous des Amis» rue de la sous-préfecture à Toucy, ou à la «Brasserie de l’Horloge» qui borde le Boulevard des Remparts, à Vire, où vous aviez commis l’erreur d’escompter, en parallèle à « Ferrare », poursuivre dans les archives de micro-villages une recherche généalogique, comme si les personnages de l’État-civil à Vengeons, Manche, et ceux de la rue Belfiori à Ferrare, Emilie-Romagne,  n’avaient pas risqué de se disputer l’avant scène dans un combat sans vainqueur.

 

 

Ici, pas d’invitée au banquet de l’absence, pas de surprenante voyageuse de couloir en pleine nuit de Milan, pas de vélos ni de bateaux :  lundi la serveuse était fatiguée, mardi le patron était pressé, la salle presque déserte, et mercredi c’est fermé. Après 21h30, le client est un gêneur.

On visitait la mise en scène de sculptures en bois à taille d’homme, dans le cloitre de la l’abbaye. On entrait au « Vin pas vain » commander deux ou trois cartons de coteaux d’Auxerrois, pour la prochaine fois. On essayait de ne pas travailler.

 

 

 

S’il pleuvait, on fréquentait les bibliothèques municipales, on s’installait dans le « coin poésie » sans doute le plus calme, et un groupe de lycéens, plutôt des lycéennes, de grandes collégiennes, se servait de téléphones pour des jeux à distance auxquels on n’en comprenait rien, mais ça ne dérangeait pas, s’ils ne laissaient pas des traces de chips sur le lino…et pensaient à se couvrir en sortant, même s’il fait si chaud dans une bibliothèque normande.

 

 

Là, bibliothèque Jacques Lacarrière, rue d’Ardillère, Auxerre, médiathèque municipale, rue Chenedolle, Vire, ou Place du général de Gaulle, Mortagne-au-Perche, l’ordinateur s’aiguisait pour les mises en page, selon des formats très contraints exigés par de potentiels éditeurs : Police Times corps 11, recto seulement, double interligne, conseillé entre 200 et 400 feuillets.

On a fait le bon élève avec croix d’honneur : ça n’aurait pas été malin d’agresser l’attente du lecteur avant la première ligne lue. Il y a des refus qui tiennent à un maquillage coulé.

Ensuite, à regret, vous quittiez les petites maisons d’Airbnb. Sur le site du loueur, les hôtesses  toujours louaient votre bonne humeur à l’arrivée, votre soin des lieux, comme si tout visiteur était un barbare.

 

 

Il vous avait suffi de travailler au couteau la version 2, une victime c’est assez. En échange vous décriviez la qualité de leur cheminée.

Au retour à Paris, on recomptait. Comme un personnage de Balzac tâte les billets. Le solde paraissait au point. Ratures, coupures, mais ça semblait plus digeste. Surtout plus lisible. On peut toujours y croire.

Vers la fin de l’année , vous étiez partis à quatre en Toscane. Dans le plein hiver bordé de lumières, pendant les creux que les siestes et le goût de lire découpent dans le temps des autres, s’installaient facilement les pleins qui permettaient de «saisir »(à feu vif sur le clavier) la version décidée la définitive.

 

 

Nette et présentable : peignée de court, habillée saison, chaque espace à sa mesure, chaque saut de page avec son parachute, chaque page son numéro de cirque.

Avant le dîner final à la trattoria du village, Radda in Chianti, 3 janvier, le veille du retour, on ajoutait le stupide mot « fin », qui ouvrait l’appétit sur les suites.
– Et on va l’appeler comment, ce petit tas de 278 pages, cher monsieur ?

Vous pensez alors que le descriptif d’un fictif serait le plus simple :

« Le Jardin de Giorgio Bassani ».

 

 


Didier Jouault,  pour Ydit-Bis,  Rétro-calendrier de l’Avant -15 « J’écris Ferrare »( 4/4) Après 21h30 le client est un gêneur.

A suivre : Soumettre FERRARE ( 1/3) : La dame de Print-Speed

Par défaut

Ydit – bis, Rétro calendrier de l’Avant -14 : J’écris « Ferrare » (3/4). Façonner à la tronçonneuse le futur taillis de noël.

 

 

 

 

D’abord, pour  » J’écris Ferrare » on tente de percer un chemin, à la machette des souvenirs, dans l’Amazonie des notes prises en route, à pied, en avion, en train. Toutes les tables sont bonnes à écrire. On aurait dit un semi-marathon.

Ligne d’arrivée : page 433, bel effort, mais trop de pas, trop de pages. Il a fallu déposer le tas sur une étagère, pour que ça marine, ça composte, ça se verveine, que ça perde un peu de volume en séchant. Vain espoir ?


J’écris FERRARE signifie : des lignes s’ajoutent, d’abord sans ordre et sans autre image que mentale, addition lourde, et tout reste à venir : à faire.

En automne, la première des trois versions a été déposée à l’ombre, au frais. En bas à gauche du placard de l’entrée, en isolement sur  le demi rayon proche de l’aspirateur.

L’épreuve suivante du triathlon requiert la distance. Jusque-là, on pouvait manigancer une ou deux pages larges comme un vieux T shirt d’Ydit, depuis quatre ou cinq notes vagues récoltées entre la course matinale au bois et le départ pour le réunion de treize heures.

La phase deux suppose la continuité du silence et la poursuite humble des échos laissés par les traces de la veille sur la page du lendemain. Les mots, sinon, prennent la distance. La phase deux est une chasse à courre dont le gibier ne serait que la boursouflure des paroles inutiles. Le chasseur cavale dans la couleur de l’encre et la douleur de supprimer ses propres vendanges de phrases.

 

 

 

On évite les sorties longues, les randonnées grasses sur les terres déjà moissonnés de l’Ile de France, on ne se rêve pas Peguy et encore moins Jean-Jacques. Le matin, rien qui vaille  une mention, serait-elle infra marginale. Une heure de course vive au bois proche afin d’atténuer les énergies.

L’après midi, on part lourdement armé, en éclaireur déployant sa vigilance, 433 pages dans la besace, et ciseaux dans la poche- revolver. Rapidement, les bibliothécaires vous reconnaissent. On les devine curieuses d’appendre l’objet de votre travail, et d’en savoir le prix, les résultats.

 

 

 

Deux ou  trois commandes -thèse, revue spécialisée- les apaisent : vous ne franchissez pas l’arc magnétique, dépouillé de vos métaux, pour le seul désir d’apercevoir la posture tendre d’une étudiante étrangère penchée sur l’Histoire des migrations. Il y a, prévient-on, des irrespectueux venus pour l’amour muet des métisses découvrant Fanon : c’est la bibliothèque du musée de l’histoire de l’immigration, les réserves vibrent encore des cris d’anciens colonisés. Leur descendance vient ici essayer de comprendre. Plus tard, on pourrait organiser une «lecture publique»? demande une bibliothécaire.

 

 

 

Pour ce temps, comme les arbres ont écarquillé leurs feuilles, vous devez façonner à la tronçonneuse le futur taillis de noël, découper ce que vous avez trop assemblé. Même si des étudiantes rares – et en effet souvent avec l’allure d’enfants émigrées jadis- traversent l’espace d’un pas de chercheur impatient, on est seul. La salle est vaste et peu connue, on s’installe loin des autres, on pourrait croire une anticipation de la distance dite sociale ensuite imposée par une maladie généreusement prête à  se propager sans compter. On tourne les pages  de la Version 1 ( qu’en privé en nomme V1) comme si on ne les connaissait pas, souvent étonné d’une tournure, d’une trouvaille, d’une abomination inexplicable et cependant lisible en toutes lettres tapuscrites.

Page 131, on découpe des «patrons» dans du papier bible, on attife le sujet pressenti au rôle ingrat de personnage avec des lambeaux de costume imaginaire, les tenues toujours très coordonnées de Silvia, jeux de couleurs et de décors, le short quasiment tyrolien de Néro. Et c’est la page 187. On ne l’a presque pas vue venir. Déjà 18 heures?

 

 

 

 

 

Une bibliothécaire ( car ici jamais un bibliothécaire masculin ne se montre), sortant à plus d’un titre de sa « réserve », à pas lent et sourire large, bonheur (mais dans le texte on écrira «sourire lent et pas large, rigueur » -un « bougé » du mot et soudain tout change), elle pousse un charriot légèrement chargé de livres savants. Son badge la nomme. Sur les pages en cours de réduction ( 20%, on solde!) , vous choisissez ensuite ce prénom pour nommer l’un des personnages dont vous ignorez tout sauf son adresse, naguère, en ville de Airbnb. Personne n’en saura jamais rien, et voilà pourquoi c’est un double plaisir. Elle vous sourit :« ça va, on dirait, vous avez trouvé? » Oui, ça va, ça vient.

Ça passe de l’ombre à la forme. On espère. On observe. On attend.

 

 

 

En silence, le IPhone vibre sous une pile de feuilles. Tout le monde s’exprime pour tout le monde en même temps, évidemment pas un sujet pour un récit de FERRARE, mais la question reste : on est de l’univers, ou bien on s’en sépare, pour réparer les trop de récits obèses ?

Rester à l’écoute, c’est répliquer. Répliquer c’est dupliquer du vide, ne rien dire. On ne répond pas. Le plus long, c’est de faire court, écrivait à peu près la Thérèse d’Avila. Surtout pages 287-90 :  la description quasi amoureuse de la tasse décorée comme par Miró, fabriquée dans la ville, emportée depuis la terrasse déserte du bar découvert dans le délicat jardin du Palazzo Schifanoia, via Scandiana, le plus célèbre de FERRARE, fermé pour travaux. 028

Tentative absurde, décrire la tasse (poinçonnée « made in Ferrare »), avec un tiers Robbe-Grillet des débuts, un tiers Pérec des « choses », un tiers Queneau de Sally Mara…trois quarts retour du réfoulé.

On la voulait symbole à la fois de la ville et du jardin rose entourant son hôtesse, Silvia. Ici tout est symbole ?

Ciseaux, déchirure, 3 pages effondrées, le rouge faïence était pourtant si solaire.

 

 

 

 

 

Tard le soir- on termine les devoirs et la tartelette normande, bon élève encore cette fois-, et d’un clic, toc : suppression de la ‘scène‘fameuse (mais disparue !) dite des Allemands visitant le musée de l’Histoire hébraïque, trop facile après tout, même si elle avait requis pour exister toute une entière journée de travail.

La bibliothécaire sur cette ablation passe en souriant, retour de « Privé, réservé aux conservateurs ».  Dans un récit de jeunesse, on lui décrirait les travaux anciens rédigés jadis sur « Les métamorphoses de la littérature africaine d’expression française après les Indépendances », thèse soutenue, jury très rigolo : le propos est exotique et rare, ça permettait de jolis impromptus de rencontres,  et émouvantes Échappées vers d’autres explorations. On avait usé du stratagème, jadis.

 

 

 

 

Tout texte est prétexte à rencontrer, rien d’autre après tout.

A présent, cette fois, seulement, on bavarde, avec la privée des conservateurs  : fermeture pour vacances scolaires, dans deux jours, vous le saviez?  Encore les vacances, vite mon chapeau, ma canne, mon chameau, mon râteau.

Les ciseaux de petite main, du coup ( beaucoup de coups), se font ciseau de marbrier.  48 heures?  Deux jours à la découpe, à bucheronner la version, à sanctionner la digression, et voici la butée en fin de rail, page 347.

Le mot « FIN », en bas de la page 347, pèse encore trop lourd, car il vient trop tard.

Pas de nouvelle étagère : le combat reste inachevé. Les marches sont encore nombreuses, à monter à descendre ? L’escalier du jardin reste peint d’austérité.

Un passage dans le coin de ring, éponge, soigneur, peignoir, protège-dents. 347 pages, au lieu de 433 d’abord, 130000 signes ou espaces détruits, mais on parvient tout juste dans la situation d’un chirurgien pédiatre qui observerait des amygdales :

« Madame, pas de véritable choix, c’est le moment de couper, mais tu vas voir, mon petit, même pas mal, presque rien, et ensuite un peu de repos, et même du sorbet, du sorbet, avec des fruits Bio de préférence, n’est ce pas Madame , pas de la crème glacée  de Monop! »

Alors, pour quelques jours en permission, vous vous  accordez les dîners avec les amis de longtemps, les pas sur les routes et les joliesses de hasard en ville.

 

 

 

Sur la version 2  ainsi composée vont alors s’agiter, s’ajouter, s’ajuster les instruments de barbier  en même temps que sonne la charge des colonnes féroces de hussards noirs poursuivant …

Les Vocabulaires,IMG_1468

…rapides insectes cachés dans les plis des pages, mais de leur présence invisible sourdent encore de  laides pustules : quel avenir !

Toutefois, version 2,  on aperçoit mieux, sous la pile des pages, cette porte fermée de la synagogue, rue Mazzini, encadrée des vélos muets de Ferrare. On est là pour ça.

Où sont passées les porteuses de souvenirs ?

 

 

 


Didier Jouault    pour    Ydit – bis, Rétro calendrier de l’Avant -14 : J’écris « Ferrare » (3/4). Façonner à la tronçonneuse le futur taillis de noël.

A suivre : « J’écris Ferrare », (4/4) Après 21h30 le client devient gêneur

 

 

Par défaut

Ydit-bis, Rétro-calendrier de l’Avent -13 : « J’écris Ferrare »(2/4) : ligne d’arrivée page 433.

Il faut l’écrire à nouveau : ces textes ne sont pas écrits au jour le jour. Leur conception lente, texte/ image, se réalise par «séquences» continues qui correspondent à plusieurs publications séparées de quelques jours.  Les «posts» sont programmés à l’avance, par séries des deux ou trois. Aussi la parution ne reçoit nul écho d’événements publics, ni aucune modification de rythme en dépit des douleurs violentes que le temps donne à connaître, et qui suscitent une lourde compassion.


Notes et post-it : au  second (espéré deuxième !) retour de Ferrare,  fin de l’été, quittés le jardin, les vélos, le vin blanc, la maison de Bassani, et même Silvia, on peut y croire. Ydit, bruni , content, avait lancé la VERSION 1, pour un texte,  c’est le plus facile : on avance et on regarde à peine où on pose les pieds, les mots, les rythmes.

Voici comment on fait : on dirait un semi-marathon, épreuve très particulière, puisqu’on décide de s’arrêter à une moitié qu’on prétend être un tout.

Il faut partir assez vite, mais patiemment. A des endroits fixes de l’écriture, les organisateurs sauvages mais savants proposent du ravitaillement à l’auteur demi fond : photos, bouteilles d’eau, mini-gourde protéinée stimulant la puissance qu’on est en train de ravager, rêveries dans l’immobilité du sommeil ( toujours si étrangère la montée au sommeil ) revigorante pouponnée de fruits secs, notuscules infimes d’un guide touristique pour analphabètes,

la bénévole ravitailleuse tend une étouffante banane, on est page 127, on s’est à peine aperçu qu’on court, dictionnaires ou quêtes à rameaux infinis par les « moteurs » de recherche, où se vérifie peu à peu ce qu’on apprit sur place au sujet de la famille d’Este, des Juifs à Ferrare, jusqu’aux « lois raciales »tardivement édictées en 38 par les fascistes et la rafle par les nazis en 43- mais Bassani parvient tout juste à temps  à fuir Ferrare dans le dernier train, Bassani choisit la clandestinité, on lira un peu de tout ça dans « Le Jardin de Giorgo Bassani », peut-être ?

Déjà on arrive page 184. Ça dit la sueur. Ça sent l’effort, ça fait son lièvre.

On court, l’ensemble commence à trouver son rythme, l’amble du chameau, « l’ensemble » c’est du rythme en soi,  mais ça commence aussi à tirer lourd sur les chevilles, vers la page 216,  fin de chapitre, le risque de tendinite s’aggrave, on ralentit dans la montée après le bois, car les collages de pages  ragent d’illisibilité matérielle, on écrit si mal.

On ne ralentira pas longtemps, ce qui est nécessaire pour retrouver l’exacte et précise longueur de foulée qui assure la Course sans désunir les muscles ou désosser la volonté, le « pas » qui intègre la citation masquée mais aussi les façons de la démasquer.

On dépouille un article de revue découvert sur Cairn – raté, rien de neuf, titre trompeur « Les  parcours des Juifs en Italie du Nord sous le fascisme« , ça ne parle que des transfrontaliers avec Nice occupée, tant pis, on est parvenu à la page 258, 12 ou 13km, ravitaillement? Rien du tout, qu’est ce qu’ils foutent, on sent la crampe, allure posée, déposée comme un brevet de chez Sanofi : le bonheur sans la douleur.

Conscience bâillonnée (pourquoi courir ainsi?) et l’unique horizon reste celui qu’impose cet agressif concept de non-retour. On ne prend pas un semi-marathon à l’envers. C’est commencé? On doit finir ! Pas le choix, devrait-on terminer en rampant, paumes sur le sable gris des mots, genoux sur l’arrête coupante des pages.

D’où cela vient-il qu’on soit ici ? L’imbécile désir de se mouvoir ? Pour aller où?

Questions de toujours.

Ultime ravitaillement, page 339, ou à peu près (on n’a plus le temps de compter), km 17.5 prétend le panneau lumineux, les documents additionnels sont parvenus de la municipalité de Ferrare, on a parcouru la thèse de Marie-Anne Matard-Bonucci « L’Italie fasciste et la persécution des Juifs », on a vu : « Perrin, 2007 » et aussi  « Quadrige, 2012 », tout ce vrai savoir qui fera ensuite partie de ce qu’on réduira d’une version du texte à l’autre, jusqu’à si peu, nul espace pour une thèse même brillante, et ça fait diversion dans la foulée : tout est vu, rien n’est encore gagné. Sur la main, ça court. Sur la page, ça marche.

Quant au corps du texte, ça tire dans tous les sens, muscles, tendons tendant vers le bronze, poumons de Mongolfière juste avant la fuite, artères comme des Champs Elysées à globules.

On se prend à rêver d’immobile. De verser directement aux archives cet

inaccompli encore vif. Trop tard.

Ligne d’arrivée, page 433 – ah oui, tout de même, 433, on sentait bien que ça pesait, que ça enflait, que ça se permettait son explosion tranquille,  ligne d’arrivée, tout le monde autour est soulagé ( même si je n’annonce pas : « J’écris Ferrare » ), « Il semblerait que ça a été plus difficile qu’imaginé ? » me dit-on, ou aussi -serviette-éponge tendue: « Superbe effort, on dirait ? ».

Reprise de souffle, changer le maillot trempé, déposer les pages, les pages, les pages, quatre cent trente trois fois La page, les jeter sur une autre étagère d’un autre placard, tout ça est un peu lourd,  se reposer ( le plus difficile à imaginer), on en reste là pour un temps, et on est en automne, bientôt, déjà?

« – Bon, si on s’invitait à diner sur la dernière terrasse non stupidement chauffée. N’importe où, sauf un Italien peut-être?… »

trattoria de Naomi Ferrare été 19 gros plan


Didier Jouault   pour    Ydit-bis, Rétro-calendrier de l’Avent -13 :

« J’écris Ferrare »( 2/4) : ligne d’arrivée page 433.

A suivre… »J’écris Ferrare »(3/4) Façonner à la tronçonneuse le futur taillis de noel.

Par défaut

Ydit – bis, Rétro calendrier de l’Avant 12 : J’écris « Ferrare » (1/4) : des Finzi, des Contini e tutti

 

Plaque ducale , l'accueil.JPG

Alerte :

Le projet  » Ydit-bis « date de début 2020. La crise sanitaire et ses violences multiples peuvent réduire au dérisoire toute activité qui ne les concerne pas.

TOUTEFOIS, l’évidence du récit s’impose ici, avec une claire nécessité  qui ne témoigne évidemment d’aucune indifférence aux douleurs des autres.

Insister est indispensable , pourtant : ces textes ne sont pas écrits au jour le jour. Leur conception lente, texte/ image, se réalise par « séquences » continues qui correspondent à plusieurs publications séparées de quelques jours.  Les « posts » sont programmés à l’avance, par séries des deux ou trois.

Aussi la parution ne reçoit nul écho d’événements publics, ni aucune modification de rythme en dépit des douleurs violentes que le temps donne à connaître, parfois de tout près, et qui suscitent une lourde compassion.


 

Le « Rétro calendrier de l’Avant » constituant les onze précédentes publications de ce YDIT-Bis, à sa façon distanciée, raconte de simples joies de voyageur banal. Résumé à cela, il ne justifierait pas le long long si long travail du rédacteur.

Mais, il y eut FERRARE, la ville, ses fantômes en voie d’effondrement, le silence des indifférences parcourant le ghetto, les ombres aux fesses posées dans les shorts, l’insuffisance des passants qui boivent et reboivent des Spritz à la santé de l’immémorial.

 La première visite de FERRARA– qu’on écrira FERRARE, et longtemps l’œuvre de Bassani tint à limiter le nom à l’initiale : »F. »,  le premier voyage n’était qu’une étape, comme une facilité un peu hasardeuse et probablement décevante, après Venise ou les PP, Parme Padoue. Faible écho de lectures un peu oubliées, des Finzi, des Contini, e tutti.

Dès le premier jour, revenir à Ferrare fut un désir puissant, après les rencontres hâtives qu’on voulait reprendre comme à zéro : la plaque des origines, 1492,  le jardin rose et ses chattes, « La Mura » de Bassani, les canicules posées dans les rues du ghetto enlacé sur lui-même, écoutant les murmures de sa propre histoire.

Tout comme s’impose  l’envie d’une solitude, il fallait oser en savoir davantage.

Une fois, deux fois – et la suivante prévue en juin 2020 n’aura bien sûr pas lieu : que va-t-il rester de Silvia qui courait le matin sous le rempart (elle répond si rarement), d’Erika, de Néro? Et du jardin désormais désolé d’assèchement,  dans la maison sans doute maintenant fermée de Giorgio Bassani?

 

Lors du deuxième voyage du même été, les étapes ont été choisies comme pour enchâsser le séjour à Ferrare dans des villes où résonnaient, même de très loin, la famille d’ESTE, le Duc ouvrant les remparts aux Juifs expulsés d’Espagne. Alors, je n’avais pas en moi le projet de ce texte, à venir d’ici peu ici-même, encore sept séquences, et qui s’intitule désormais : « Le jardin de Giorgio Bassani ».

Dans le très incertain désir, cela aurait dû/pu être « Le Goy à Ferrare« , ou une autre formule d’identique brutalité.

Ainsi qu’on aurait écrit au XVIIème : ma méthode était d’affecter de n’en n’avoir point. Je n’annonçais surtout pas que je retournais à Ferrare et ses annexes pour y entamer le dur et délicat voyage immobile de l’écriture.

Il me fallait juste en finir avec cette ville.

Disais-je.

Erreur.

En route (avion, train, à pied) je fixais des paroles de rien sur d’exotiques post-its, des notes de restaurant, des livrets bilingues de visite au musée. J’évitais avec soin de noircir des carnets, pour ce premier séjour. En poche, micro-Canon. Toujours les images comme des emporte-vrai.

Le soir, sur des blocs post-professionnels à format d’ordonnancier, en quelque sorte post-opératoires, j’ajoutais un petit nombre de lignes de rappel, surtout pas un « journal », non, des aide-mémoire, la mémoire est ma grisette, elle galope, je l’entretiens, on chemine pour le plaisir, dans le papier, sur les glaces du papier, patins de  lenteurs sous le pied.

Manquaient les photos pour sembler une œuvre fin années 2000, visuels pour se souvenir ensuite, écriture ou pas :  il faut coller le présent à quelquechose, et l’image est le meilleur ruban-adhésif. A défaut de photographier l’avenir du texte, je numérisais les filles de Ferrare, si souvent évoquées par Giorgio Bassani. Je regardais aussi les albums d’André Maynet, qu’on ne voyait pas en vitrine, mais où la solitude dansait tard le soir ( merci à lui)

Puis,  dès le bagage posé à Ferrare, dans le jardin rose de la Via Belfiori (on le retrouvera si souvent au fil du « Jardin de Giorgio Bassani ») s’évidença l’idée de maintenant ranger YDIT, le bon vieux personnage usé depuis quatre ans et demie, de le déposer sur une étagère du placard de l’entrée, c’est-à-dire de le placardiser dans l’espace de sortie, et ses babioles en même temps : gris-gris, maillots et shorts, excessivement nombreuses photos prises « d’avance » pour des « Séquences Publiques d’OubliEs » à venir- à jamais effacées maintenant,

…expositions narcissiques faussement provocatrices, cet appareil de l’irréel qui fut plaisir profond de l’invention. Mais, on le sait, lorsqu’on se regarde dans l’exercice de son propre plaisir, on se découvre si ridicule.

Le tout-venant dépassé du dit d’Ydit (on ne se rend pas compte) occupe trois rayons de mémoire dans l’étagère de l’oubli volontaire. Beaucoup d’heures niées avant d’avoir existé.

Renoncer à un projet, c’est réduire les contraintes et séduire l’imagination : joli programme, en ces temps.

Mais, à vieillir, on verra, espère-t-on, le rayon  d’Ydit s’alléger.

 


Didier Jouault     pour   Ydit-bis, « J’écris Ferrare »( 1/4 ) Des Finzi des Contini e tutti.    A suivre… »J’écris Ferrare »(2/4) Ligne d’arrivée page 433

 

 

 

Par défaut

Ydit-Bis ,   Rétro calendrier de l’Avant  – 11   « Dans les couloirs de la lionne »  

La Guignolerie avec les carabiniers, à Milan, ç’avait été le constat de la sagesse ou de l’usure des ans : jamais perdu la distance intérieure de l’humour. Tant de fessées déjà reçues.

 

 


A Padoue, un escalier comme dérobé, invisible presque depuis l’avenue du XXI septembre, menait à une placette, limitée de tours et murs Renaissance.

J’avais emporté – dans le petit sac d’épaule – le maillot dit d' »YDIT » dont je me servais pour illustrer le projet avec d’autres images que mon propre personnage recouvert de la signalétique usuelle : lunettes rouges, badge blanc, ruban bleu-spo venise - Copie

 

 

 

 

 

….lunettes rouges, badge blanc, ruban bleu- mais qui ne trouvait pas toujours une bonne voyageuse pour faire la photo en passant.

 

Longtemps, j’habillai la statue de bronze qu’on avait érigée au centre de la place – Cerès je crois-. Elle ressemblait assez aux dames de la Scala, en plus grand, plus sombre, plus nu. J’avais vérifié l’absence de carabiniers.

 

Triant au retour les très nombreuses photos, je déroule la série à rebours : on pourrait croire que j’ai habillé la déesse de son vêtement d’oublis, de son maillot de mémoire.

 

Quatre ou cinq employés sortirent d’un bureau que je n’avais pas vu. Ils s’étonnaient, en Italien tout les jeux sur les mots perdent leur sens, et en particulier Il dit/Ydit , les OUBlIeS – petits gâteaux médiévaux.  Ydit-blog, Ydit-bloque, et en grec ou en arabe? Je me confirmais alors que ce projet, au fond, me servait surtout à couvrir non seulement les statues, mais aussi des rencontres que je n’aurais pas osées sans prétexte de texte. On a souvent besoin de raisons pour ne pas rester seul. C’est ce que font les écrivains.


A Parme, dans le hall de l’hôtel de ville traversé pour joindre le fameux cloître, un homme en marbre, au pied d’un escalier d’honneur, protestait en silence que la mémoire des martyres de la Résistance paraissait disparue sous les plaisirs du présent, masquées par les passagères de vent. J’ai pris peu de photos.

 

J’ignorais encore que cela fût le thème d’une nouvelle de Giorgio Bassani, « Une nuit de 43« ,  incluse dans la sous-partie « Dans les Murs » du « Roman de Ferrare », et que j’allais plus tard  rencontrer  à mon tour les fantômes et les mémoires en loques, dans les rues et sur les plaques mémorielles de Ferrare, entre deux volées de vélos habillés en short, puis que la mémoire en cours d’effacement deviendrait l’une des couleurs du « Jardin de Giorgio Bassani », la teinte de la page de fond.

Je n’irai plus à Parme. Pas à pas à Parme, fini. Malgré le Consul, la Sanseverina, c’est un récit désormais vide, alors que Ferrare brouillonne et rature encore son Histoire.


A Milan, la veille du départ  ( car j’avais gardé cette habitude de la dernière nuit dans la ville d’où l’on va ensuite décoller), malgré douze ou quinze heures de déambulations par 35 à l’ombre,

 

et un dîner léger doucement doré de vin blanc, j’avais comme toujours entretenu un dialogue compliqué avec l’endormissement. « Vous ne voulez jamais que ça s’arrête, la vigilance ? « demanderait la Russe depuis l’Ospedale,  vieux personnage un peu comme privé de son déambulateur dans mes récits, ancienne rédactrice de moins en moins présente de rapports pour les Services et les Organes. Je l’avais inventée sur image, parce que deux ou trois solides secrets de famille, authentiques et validés, auraient dû affleurer dans ses mémos, après dix ou douze ans de Ydit-blog.

Mais c’était devenu trop long. Il y a tellement de regards à ne pas manquer.les rencontres sous les arcades.JPG

 

D’ailleurs, les pauses et les poses de YDIT dans les lieux de paysage et les plis de mémoire semblaient chaque jour davantage désaccordées avec ces villes, trop identiques dans leur substance, leurs plans, leurs histoires : les décors eux-aussi se répétaient, comme les satisfactions de l’imaginaire.

 

 

A Milan, la veille du départ  : Très tard, il faisait encore très chaud, j’ai dû m’assoupir, avoir soif ensuite (trop d’épices, volontairement : les plats de la vie ne laissent leurs traces que par les détails du jour),  et je n’ai pas l’habitude d’appartements partagés. De plus, j’ignorais qu’il y avait une autre chambre dans le fond du couloir. La loueuse habitait dans une partie lointaine, bien séparée, du vaste appartement bourgeois.

 

Pour trouver de l’eau fraiche  dans le frigo, j’avais quitté ma chambre « dans le simple appareil d’une beauté  qu’on vient d’arracher au sommeil, »(la beauté en moins), insensible aux tensions pourtant visibles du presque matin. Le large couloir parut soudain peuplé de semblables insomniaques : deux jeunes femmes, des ombres du Lion’s sans doute, des demi-endormies qu’on alerte soudain dans leur confiance, des  veilleuses légères en tenue de canicule, bref on aurait pu les croire invitées ici pour une scène inédite du-dit-d’Ydit, davantage Diderot que Voltaire, tendance « Bijoux indiscrets ».

 

 

Les deux jeunes femmes purent exprimer de façon variée mais vive leur étonnement de mon apparition, comme de mon état. On ironisa d’un geste, comme chez Fellini, sans aucune de ces postures mièvres de l’indignation. C’était impromptu, pas malin, ni malicieux, mais sans gravité : en voyage, on voit un peu de tout.

Tableau rapide, enrhumé des irréels de la nuit finissante, une tonalité qu’on aurait dit importée par l’ex-personnage Marina, tombée toute jeune  dans Ydit depuis un roman de ce vieux Richard. On en vint tout de même pas, hélas, dans le couloir, à se raconter son passage  de Milan, ni ce coin qu’on n’aurait dû voir.

repos de couloir

 

 

 

Vite replié, si j’ose dire, sur mes bases, sans avoir bu et sans sommeil, j’ai pris tout de même le lendemain matin le soin de laisser un mot d’excuses à la loueuse- mais elle avait vu pire, dans son couloir, et ne répondit pas.

 

 

 


Milan, étape du retour, toute une histoire en trois points : ça aurait pu faire un titre de post « Rétro -calendrier » :  Au petit matin, des carabiniers rouges règlent la circulation des images  dans les couloirs  qu’habitent encore les Lionnes du Klub.

–  Germaine : « C’aurait été un peu long, surtout pour un titre, déjà que c’est un peu long tout ce bazar pour en venir à l’essentiel, vos déambulations d’évitement, malgré les anticipations ou les annonces  : dix ou onze  épisodes, et toujours pas Ferrare ? C’est pour Noel, l’Avant ? »

Stèle Finzistèle Contini

-Ah oui, Germaine, vous aviez remarqué? Dommage de vous perdre en route, on s’habituait. Mais, en attendant, gros dos?


Didier Jouault    pour    Ydit-Bis   Rétro calendrier de l’Avant   11   « Dans les couloirs de la lionne ».                 A suivre…à  Mortagne, j’écris Ferrare

Par défaut

Ydit-bis, Rétro calendrier de l’Avant – 10 , La Barbe à PaParme.

acces Parme

C’est ainsi que je voyage : parfois  je me perds en sortant de chez moi, vers ici plutôt que vers là.Accès Padoue

 

 

Aussi je prépare avec soin mes itinéraires, mais c’est un prétexte pour tracer des signes sur des feuilles, comme si on savait où on va. En sortant de la gare, je branche le Iphone.

 

 

 

A Parme, des vieillards dorment sur les bancs, la tête posée sur un volume de Hegel, ou même pire. Les jardins ressemblent à ceux que je voyais, pour la première fois, il y a environ quarante ans. Combien de fois peut-on dire : il y a quarante ans, et ne pas sembler déjà sénile?le jardin de Parme

 

Dans« Le Jardin de Giorgio Bassani« , le narrateur aborde les soixante-dix ans comme un marin son rivage, un sauvage sa pagaie (vocabulaire des romans d’adolescence!), un comédien son visage de ce soir. L’age du privilège.

 

Il fait tout ce que « UN VIRUS PARMI LES PAYS » interdira ensuite.

A Padoue, le soir, un orage  rond et sonore de théâtre ancien succédait aux journées de canicule. Je m’étais réfugié sous les arcades-regardant les danseurs sous la pluie. On sentait comme une inattendue lassitude venue de la lumière. Rus d’été sous Midi-le-Rude, les rues des soirs devenaient des pèlerinages immobiles : debout sur les pavés d’ici, chacun tenait sa bière comme un encensoir. Des belles de nuit se montraient sous leur beau jour, à l’intérieur des trattoria.

 

A Milan, où je ne prévoyais qu’un bref passage ( je connais bien la ville), les avenues s’encombraient d’interminables défilés : le congrès annuel du Lion’s Club, délégations défilant, certaines soutenant par de grands calicots la candidature d’un natif pour une haute  fonction ( ou fiction?) intérieure  au Klub, et dont j’ignorais jusqu’au nom. Ils étaient des milliers, je comprenais pourquoi j’avais été en peine de trouver un logement indépendant,  et dû me résigner à une chambre dans un appartement.

 

Lion's EgypteLion's MajorettesLuxe du voyage

 

 

La logeuse (vocabulaire balzacien!) m’avait accueilli dans l’urgence,  quand j’arrivais plus tôt qu’annoncé, elle partait pour le tennis, Je m’excuse, la salle de bains est à gauche.

 

C’est toujours doux, très euphorique, lorsqu’on croise la vanité du monde et qu’on est soi-même vivant : déguisement moins que puérils du Klub, généreuses râclées du sport.

Je ne pensais pas déjà au tennis des Finzi-Contini.

Et pas encore au « Jardin de Giorgio Bassani »

Après les défilés, longtemps j’avais marché parmi le soleil  des rues. Vers 17 heures, comme je passais devant La Scala, des amateurs en grande tenue de sortie commençaient à entrer dans le hall de l’opéra. On voyait de très belles jeunes femmes, habillées en soir malgré la torpeur ambiante.

Ça faisait un peu Carco, un peu Hemingway, un peu Madone des sleepings dormant sur le bureau d’un président. Je faisais des photos de leurs robes implacables dans la canicule.

Au bord de l’arcade, des Alcades, non, des carabiniers en uniforme complet, draps et coton épais, suaient tout en pied, rouges dans l’étoffe noire. Le plus jeune m’aperçut, sans rien dire. On avait trop chaud. Le chef, quadragénaire peu gradé, se précipita vers moi, tonitruant, trop vif dans l’ombre. Je compris, malgré mon Italien de pacotille, mais je fis l’âne.

P1000851

 

 

Il s’enquit auprès du jeune : On dit comment « effacer » en Inglese .
Approché, il tente de saisir l’Iphone aphone.

Agacé, je refuse, demande : Why?

« Delete! Delete! » crie-t-il

-C’est tout ce que tu sais dire ?

 

 

La vague ne reflue pas, et sans lâcher l’appareil, je veux bien qu’il regarde les images, Crachouilleur à demi, postule et postillonne, mais en ce temps-bien qu’on fût à l’Opéra-pas question de masques. J’interroge : « This One? » . Il tranche.

« Delete! Delete ! »

– C’est tout ce que tu sais dire ? (bis)

Pourtant il n’y a pas de policier en photo, c’est ici un délit.

Deux ou trois des dames de l’opéra font mine de s’approcher : un Français dans le besoin? Elle sont prêtes à lui prêter la main. Le plus jeune des carabiniers les arrête, au moins dans leur élan.

« Delet ! delete !  » Je grogne, il rouspète, je demande à nouveau pourquoi. On va bientôt revenir aux photos de l’an 2000? Assez maintenant. Il change de pied, se raidit : « Documento ! » Quoi, Document, et quoi encore?  Why, please? Il ne se tient plus « Contrôle d’identité de la Police italienne », rage-t-il, on se croirait dans Tintin et Les Carabiniers, Haddock en tunique. Avec un reste de malice, je sors la copie de carte dont je ne sépare pas. Il se fige, triomphe, se voit m’embarquer, pour s’y taire, au poste. « Pas de copie! Pas de copie! »

Les dames sont entrées dans le théâtre, il ne reste plus que notre comédie de carton-pâte, les armures de testostérone.  Bon joueur, j’exhibe, dix de der, le vrai passeport que je laisse toujours à domicile, sauf ce jour, pas dans une chambre d’appartement partagé.  Brusque, il sort le portable, photographie le documento, grommelle  comme un rat du désert ce que je pense être une malédiction sur moi pour les Temps et les Temps, inscription au fichier, Interpol alerté, avenir foutu.

A mon age, ça se supporte. On a de quoi s’occuper pour le peu de reste.

Tout au long, le plus jeune a lassé faire, étonné, accablé de chaleur. Le chef me restitue mon identité (c’est toujours une bonne chose) et par de grands gestes larges, méprisants, vigoureux :  va va , tire toi  d’là je te dis.

A mon age, ça se supporte (bis). D’ailleurs, il y a toujours l’art pour la parenthèse, l’ironie d’un peintre sur Duchamp, l’agréable extension du domaine de la vue par une galeriste peu maniériste : ça fait  de quoi s’occuper pour le peu de reste.

C’est aussi l’instant où je constate la sagesse, ou l’usure des ans : jamais quitté la distance intérieure de l’humour.


Didier Jouault   pour   YDIT BIS,   Rétro calendrier de  l’Avant, 10 ,  La Barbe à PaParme.

A suivre : « Dans le couloir de la Lionne »

Par défaut

Ydit- bis, Rétro-calendrier de l’Avant, – 9 L’Arsenal de Picpus.

NB : On a pu lire ( Rétro calendrier 7), les précautions sur la publication.

Ici, main reprise, la décision de continuer  un récit ( qui annonce un  récit?!) n’écarte évidemment pas toute empathie  sensible avec les victimes du temps dit Coronavirus.


A Venise, Le troisième soir, le patron m’a reconnu Le patron pose à FIci, musique en Live, pas de menu polyglotte, tout le monde parle Italien, plats du jour déposés sur le zinc à la façon d’une provocation d’art contemporain.

« -Salut, le Français, on dirait que ça a mordu? »

ricanait-il.
Salade, poisson, vin blanc, deux ou trois ristretti : la dot pour marier la nuit, si difficile à séduire.

On le voyait tout de suite, ça avait mordu, et plutôt trois fois qu’une. A Cannaregio, dans mon deux pièces Airbnb -garanti XIXème – premier étage à gauche, lagune au bout de la rue, appontement Ospedale,  la présence commune se voulait secrète. On pouvait se croire discrètement à l’abri.FONDAMENTO NUOVE

 

 

Mais présence commune piquante : on partage avec de clandestins hétéroptères de la famille des Cimicidae, plus précisément le vraiment très  commun Cimex lectularius, rampants moins forts en texte que les Atrides, mais autant hématophages.IMG_1468.JPGIMG_1346

 

Certes, nourrir seul  c’est nourrir à moitié, mais les invisibles puces de lit se contentaient d’une demi-portion dans mon genre.

Être piqué un peu, ça va , on se connaît, on sait à quoi s’en tenir sur Ydit le Didi, mais devenir un banquet à soi seul ne rend pas philosophe.

 

J’habite le quartier Picpus, à Paris. Les amis ont souri de ma nostalgie: alors Ydit, on emporte la pique de la patrie sur l’épiderme du voyage?

 

Leur inquiétude :les puces, au retour, voyageraient -elles dans les plis ? La vie dans les plis, mi-chaud, mi -gelée, ma parole ! ( je ne  m’étais encore promis d’arrêter avec les allusions plutôt nulles). Si je ne craignais l’abus de parodie, j’écrirais  : La puce ni son mord ne se peuvent regarder de face -…surtout si la pique fut fessière.Picpus 1picpus à Venise

 

Piqué au vif, j’exposais à des pharmaciennes rigolardes, mais résignées à l’étrange étrangeté du touriste,  vers la place Garibaldi, les rouges excroissances, et me planquais ensuite à l’ombre des églises pour empommader les turgescences.

Activité vénitienne s’il en est.

Pour un peu, les puces vivraient dans les repentirs de toiles de maîtres : on désigne d’un doigt la composition en pyramide, mais c’est Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa.

Si l’on entre à San Zaccaria en venant du soleil, la Madone de Bellini, à gauche….
Mais, non , cette scène figurera dans les pages, prochaines, du « Jardin de Giorgio Bassani ». Et du Bellini, bonjour Sollers, reste surtout ce mélange imbuvable de proseccco et de purée de pèches blanches qui use les Américaines.

Pour l’heure, je flânais portant mes stigmates, car que faire à Venise sinon que l’on y flâne? ( ou qu’on y flatte ?). Je lisais du Grec pour illustrer en musique l’entrée des puces : comme des rats, suivraient-elles le flutiste?

 

De loin- il habitait Milan- le propriétaire du AirBnb me répondit : « Vous n’aviez qu’à utiliser l’anti-moustique laissé dans le placard du bas. » C’est un peu comme de confondre moineau et vautour. Je lui adressai, en revers, une rafale de selfies, bien cadrée, qui exposait- art contemporain- un pic de puces, tout en coupant l’image pour qu’il comprît où les puces poussaient sans trop apprécier le détail de mon intimité. ( les anciens d’Ydit-Blog  se souviennent de mon goût malicieux de cadrages aptes à contourner les censures des sites, sinon l’imaginaire des suites).

Je lui écrivis ceci :

Moralité ?

Je vis à Picpus, et je vais à Venise,

Je nourris les puces, et ne vois pas Denise.

Sur mes puces, mes pics mes tics et mes tocs, le prix du vin blanc à l’heure de la terrasse on n’en saurait pas davantage.

Le propriétaire jura, mais un peu tard, qu’il dépucerait à tout va, sans rechigner à l’attache. Il proposa de rembourser ( comme un spectacle annulé) pourvu que je ne fisse aucun commentaire sur le site du loueur. Ainsi disparût toute trace.

Quand on arrive à Venise, par le train ou la navette de l’aéroport, c’est comme un shoot lumineux. Quant on quitte Venise, la dixième fois encore, on sait à nouveau qu’on va mourir.

 

 

Encore un peu de temps, monsieur le ?

 

De Venise à  Parme et Padoue, c’est Pareil à Pareil, on transporte la mémoire pour visiter la solitude, ou l’inverse : à bientôt soixante dix ans, on est bien entendu déjà venu ici.

Le jour, j’écoutais les guides en plusieurs langues, et regardais les écoliers regarder la statue membrée, sous l’œil amusé que m’adressait la maîtresse en K Way rouge. Je laissais la dépouille d’Ydit trainer parmi les ombres au bord de puits comblés.

P1000648

Le soir, quand on ne dort pas,

on relit ses brouillons?

on regarde le fleuve couler dans son miroir ?

on compte ses puces ?planning brouillon

 


Didier Jouault pour YDIT-BIS,    Rétro Calendrier de l’Avant,    9   –  L’Arsenal de Picpus

Par défaut

Ydit- bis , Rétro-calendrier de l’Avant – 8 Giardini au bout de Castello.

chat et poule à P, photo Catherine Fleurot

 

Ensuite – c’était le contrat- Aymeric et Adeline  ont libéré de ses contraintes le fabuliste amusé.

Parmi les Devoirs,  or depuis soixante ans le narrateur est un homme de Devoirs, l’un commençait à pousser trop loin ses épines intérieures : faire l’YDIT, le dit du Didi.

 

En ces temps, je m’imposais une sorte de régularité. Souvent, je l’aimais, car la contrainte éveille. Parfois je me le reprochais : pourquoi ne pas rester plutôt libre, et choisir de finir un verre de blanc à la terrasse bleue, ou regarder une statue sans la question de savoir où poser lunettes,  badge, ruban bleu, l’implacable trio d’une signature sans véritable auteur ?

Fin des fables, sinon des fabulations.

Mais le marcheur solitaire n’ignore rien de cette vérité grossière : on randonne parce que l’intérieur de la marche est le meilleur espace de liberté où s’enracinent les histoires qu’on se fait à soi-même. Tout comme flâner des heures sur les collections d’images ouvre les attentes des rêves  qu’on ne fera plus, et les routes vers des ailleurs déjà fermés à la rencontre par les oublis.

 

Pendant ce temps, les amis écrivent des livres sans images, ou lisent de la philosophie sans dommage. C’est plus fort.

Lors de trois précédents voyages vers Venise (parmi beaucoup) , c’était le train de nuit. Oublions le premier, un voyage d’étudiants. Le deuxième, le wagon-lit, par gourmandise, un peu Agatha Christie sans mort à Venise, un peu Cendrars sans les cendres de la loco. Si je pouvais ici me souvenir sans émotion – mais l’émotion du souvenir est un piège nommé nostalgie -, je raconterais  le retour de nuit depuis Venise avec Fred, seuls elle et moi, très amoureux, dans le compartiment  6 couchettes des années quatre-vingt, où l’expression de la tendresse fut chaotique.

woman standing on vehicle door

Photo de sergio souza sur Pexels.com

le train de nuit de Fred

 

Ensuite, un voyage familial – mais jamais ici de famille présente, qu’on préserve de la mise en public, toujours un peu mise à mort spectaculaire du réel.

A Venise, Rousseau faisait des confidences sur les soirs où on danse et le perron trop glissant des palais masqué. Sollers y prenait en tous temps ses élégants quartiers de printemps durable, chipant les biscuits au salon de thé si désuet où les américaines viennent boire  leurs messages en sortant du musée hanté par les chiens de Peggy.

Ici- triviale note -la plus étroite des places est conçue pour de larges rencontres, mais j’étais seul.

Sans conviction, comme une étrange consigne ( morale scolaire) à moi seul pour moi et par moi formulée, je posais pour Ydit, l’air stupide : toujours, la photographe choisie dans la rue acceptait de me prendre, c’est l’usage entre voyageurs, et -par bonheur- la différence des langues bloquait tout interrogatoire sur mes étranges ( et un peu ridicules) décors. Le sourire affligeant marque l’amplitude intérieure d’un renoncement qui s’annonce. Mais c’était une façon de parler.

Visiter seul, c’est visiter deux fois, prétendait Peguy, et la seconde (récit, photos d’Iphone) donne comme un écho serein à un plaisir pas encore défunt. Puis, on a le temps de regarder les passantes.trois touristes à V

 

A Venise, c’était la Biennale d’art contemporain, offrant le rare bonheur de pénétrer de coins d’espace d’habitude interdits ou réservés aux badgés : palais, consulat , entrepôt vers l’un de mes deux quartier préférés : l’Arsenal. Et Giardini, tout au bout de Castello.

 

Solitaire , levé tôt, dormant tard , je tardai au milieu des incertitudes du langage et des imprécisions du silence sur les nuits de Biennale, escapades de sorcières à pétard et de carabinieri en pétard…Errant, j’observais l’ombre que le désir porte sur la terrasse du solitaire, au petit matin, entre deux œuvres.

Les visiteuses passaient. Par habitude et malice je dressais le décompte des silhouettes qu’allongent les bien nommés (et bienvenus) shorts d’été, entre deux surdosages de café ou trois pavillons d’œuvres si pleinement contemporaines dans leurs usages de provocations banales P1000311.JPGP1000344.JPGla galerie des masques.JPG

 

 

 

 

 

 

 

J’oubliai mes décors à la terrasse d’un café, mais la serveuse avait mon téléphone, elle me retrouva d’un coup de bicyclette. J’ignorais encore que FERRARE est une construction géométrique balisée de vélos conduits par des jeunes filles, je n’avais pas encore assez lu Giorgio Bassani.

la maitresse en kway rougeJ’écoutais les guides en plusieurs langues, et regardais les écoliers regarder la statue membrée, sous l’œil amusé que m’adressait la maîtresse en K Way rouge.

P1000632

 

 

 

 

 

 

Le troisième soir, le patron m’a reconnu !    C’est l’ambition majeure du voyageur. Le patron pose à FIci, musique en Live, pas de menu polyglotte, tout le monde parle Italien, plats du jour déposés sur le zinc à la façon d’une provocation d’art contemporain.

Sur un coin de table, on cafouille le parcours, on bafouille les étapes. FERRARE, au centre?

 

Mais on ne savait pas pourquoi l’impératif  d’ y revenir serait bientôt si puissant.

planning brouillon


 

Didier Jouault  pour  YDIT-BIS,    Rétro Calendrier de l’Avant,    8   –  Giardini au bout de Castello.     ( Venise I)     A suivre …


Par défaut