
Nul n’est contraint de mémoriser
les chiffres, à l’inverse de ce que notre monde (et mille fois- un chiffre- davantage en ce temps de « crise sanitaire ») tente de faire croire. D’ailleurs, on peut compter sur moi pour les données : Version 2, 347 pages au lieu des 433 de la version 1, 130000 signes ou espaces effacés (notre espoir commun d’effacer l’espace !), dans le confinement soyeux (celui-là) de la bibliothèque Abdelmalek Sayad, 80 places assises, jamais plus de quatre ou cinq lecteurs, Musée de l’histoire de l’immigration, Palais de la porte dorée, cafétéria-sandwiches-association-d’insertion, Paris 12ème, ça ne peut pas se manquer: ancien pavillon principal de l’exposition coloniale. Juste à la sortie du bois usé par les footings du matin. Très organisé.
J’écrivais FERRARE, donc : à nous deux la version TROIS.
La troisième épreuve, c’est l’épreuve dite « La dentelle de Palais ».
Pour cela on devait partir, se lever ailleurs qu’avec soi- même à l’habituelle Place du Sommeil, cesser de ressembler à ce chien qui le matin retourne à son dormi mal digéré.
J’avais loué de toutes petites maisons en campagne, deux ou trois fois, parcours pas trop long depuis Paris. Solitude, hameau, même pas un café-restaurant le plus souvent, mais la cheminée pour les lumières du soir, car c’était l’hiver commençant. Un brouillon ça brûle bien.
La journée, vous ne faisiez rien qui eut été s’approcher trop de « FERRARE »-nom de code. Vous marchiez, au mieux un sandwiche de boulanger à midi mais on trouvait rarement une boutique dans les chemins, ni d’ailleurs de sandwiche, denrée urbaine.
La saison était celle de retours prématurés, trop peu de lumière pour sortir les paroles du puits de la mémoire, trop peu de kilomètres randonnés…Il ne s’agirait plus de regarder les phrases avec un peigne perplexe, les mots pour changer leur couche. C’était le temps, comme chez le coiffeur d’enfance, des finitions rudes à la petite tondeuse.
Le jeu de découpage continuait alors, dans l’ombre des flambées rythmant les ratures de la page. Cuisine solitaire, clin d’œil tricolore aux voyages d’été : courgettes, pommes de terre, tomates. Tard, vous sortiez marcher dans la nuit sur la route rurale, mais vous aviez en général stupidement oublié une lampe-torche, et la correction justifiée des paroles se dissolvait dans le noir sans lune.
Pas loin, on trouvait toujours une bourgade, pour que s’ouvre, dans la solitude apaisée, l’agréable désordre d’un dîner en ville, il ne fallait pas arriver tard, plat du jour solide un vin plutôt rouge, dessert seulement si on a VRAIMENT supprimé d’un scalpel honteux mais satisfait à nouveau 20% du texte de la version 2, dernière démarque avant fermeture. Une rigueur disciplinée de gabelou qui cherche son sel sous le béton des bunkers encore épais, en haut de la falaise.
Jamais personne à la table de le « Genty Home » place de la République à Mortagne-au-Perche, ou au «Rendez-Vous des Amis» rue de la sous-préfecture à Toucy, ou à la «Brasserie de l’Horloge» qui borde le Boulevard des Remparts, à Vire, où vous aviez commis l’erreur d’escompter, en parallèle à « Ferrare », poursuivre dans les archives de micro-villages une recherche généalogique, comme si les personnages de l’État-civil à Vengeons, Manche, et ceux de la rue Belfiori à Ferrare, Emilie-Romagne, n’avaient pas risqué de se disputer l’avant scène dans un combat sans vainqueur.
Ici, pas d’invitée au banquet de l’absence, pas de surprenante voyageuse de couloir en pleine nuit de Milan, pas de vélos ni de bateaux : lundi la serveuse était fatiguée, mardi le patron était pressé, la salle presque déserte, et mercredi c’est fermé. Après 21h30, le client est un gêneur.
On visitait la mise en scène de sculptures en bois à taille d’homme, dans le cloitre de la l’abbaye. On entrait au « Vin pas vain » commander deux ou trois cartons de coteaux d’Auxerrois, pour la prochaine fois. On essayait de ne pas travailler.
S’il pleuvait, on fréquentait les bibliothèques municipales, on s’installait dans le « coin poésie » sans doute le plus calme, et un groupe de lycéens, plutôt des lycéennes, de grandes collégiennes, se servait de téléphones pour des jeux à distance auxquels on n’en comprenait rien, mais ça ne dérangeait pas, s’ils ne laissaient pas des traces de chips sur le lino…et pensaient à se couvrir en sortant, même s’il fait si chaud dans une bibliothèque normande.
Là, bibliothèque Jacques Lacarrière, rue d’Ardillère, Auxerre, médiathèque municipale, rue Chenedolle, Vire, ou Place du général de Gaulle, Mortagne-au-Perche, l’ordinateur s’aiguisait pour les mises en page, selon des formats très contraints exigés par de potentiels éditeurs : Police Times corps 11, recto seulement, double interligne, conseillé entre 200 et 400 feuillets.
On a fait le bon élève avec croix d’honneur : ça n’aurait pas été malin d’agresser l’attente du lecteur avant la première ligne lue. Il y a des refus qui tiennent à un maquillage coulé.
Ensuite, à regret, vous quittiez les petites maisons d’Airbnb. Sur le site du loueur, les hôtesses toujours louaient votre bonne humeur à l’arrivée, votre soin des lieux, comme si tout visiteur était un barbare.
Il vous avait suffi de travailler au couteau la version 2, une victime c’est assez. En échange vous décriviez la qualité de leur cheminée.
Au retour à Paris, on recomptait. Comme un personnage de Balzac tâte les billets. Le solde paraissait au point. Ratures, coupures, mais ça semblait plus digeste. Surtout plus lisible. On peut toujours y croire.
Vers la fin de l’année , vous étiez partis à quatre en Toscane. Dans le plein hiver bordé de lumières, pendant les creux que les siestes et le goût de lire découpent dans le temps des autres, s’installaient facilement les pleins qui permettaient de «saisir »(à feu vif sur le clavier) la version décidée la définitive.
Nette et présentable : peignée de court, habillée saison, chaque espace à sa mesure, chaque saut de page avec son parachute, chaque page son numéro de cirque.
Avant le dîner final à la trattoria du village, Radda in Chianti, 3 janvier, le veille du retour, on ajoutait le stupide mot « fin », qui ouvrait l’appétit sur les suites.
– Et on va l’appeler comment, ce petit tas de 278 pages, cher monsieur ?
Vous pensez alors que le descriptif d’un fictif serait le plus simple :
« Le Jardin de Giorgio Bassani ».
Didier Jouault, pour Ydit-Bis, Rétro-calendrier de l’Avant -15 « J’écris Ferrare »( 4/4) Après 21h30 le client est un gêneur.
A suivre : Soumettre FERRARE ( 1/3) : La dame de Print-Speed
















Ici, musique en Live, pas de menu polyglotte, tout le monde parle Italien, plats du jour déposés sur le zinc à la façon d’une provocation d’art contemporain.













J’écoutais les guides en plusieurs langues, et regardais les écoliers regarder la statue membrée, sous l’œil amusé que m’adressait la maîtresse en K Way rouge.
