Ydit-bis, Rétro calendrier de l’Avant – 10 , La Barbe à PaParme.

acces Parme

C’est ainsi que je voyage : parfois  je me perds en sortant de chez moi, vers ici plutôt que vers là.Accès Padoue

 

 

Aussi je prépare avec soin mes itinéraires, mais c’est un prétexte pour tracer des signes sur des feuilles, comme si on savait où on va. En sortant de la gare, je branche le Iphone.

 

 

 

A Parme, des vieillards dorment sur les bancs, la tête posée sur un volume de Hegel, ou même pire. Les jardins ressemblent à ceux que je voyais, pour la première fois, il y a environ quarante ans. Combien de fois peut-on dire : il y a quarante ans, et ne pas sembler déjà sénile?le jardin de Parme

 

Dans« Le Jardin de Giorgio Bassani« , le narrateur aborde les soixante-dix ans comme un marin son rivage, un sauvage sa pagaie (vocabulaire des romans d’adolescence!), un comédien son visage de ce soir. L’age du privilège.

 

Il fait tout ce que « UN VIRUS PARMI LES PAYS » interdira ensuite.

A Padoue, le soir, un orage  rond et sonore de théâtre ancien succédait aux journées de canicule. Je m’étais réfugié sous les arcades-regardant les danseurs sous la pluie. On sentait comme une inattendue lassitude venue de la lumière. Rus d’été sous Midi-le-Rude, les rues des soirs devenaient des pèlerinages immobiles : debout sur les pavés d’ici, chacun tenait sa bière comme un encensoir. Des belles de nuit se montraient sous leur beau jour, à l’intérieur des trattoria.

 

A Milan, où je ne prévoyais qu’un bref passage ( je connais bien la ville), les avenues s’encombraient d’interminables défilés : le congrès annuel du Lion’s Club, délégations défilant, certaines soutenant par de grands calicots la candidature d’un natif pour une haute  fonction ( ou fiction?) intérieure  au Klub, et dont j’ignorais jusqu’au nom. Ils étaient des milliers, je comprenais pourquoi j’avais été en peine de trouver un logement indépendant,  et dû me résigner à une chambre dans un appartement.

 

Lion's EgypteLion's MajorettesLuxe du voyage

 

 

La logeuse (vocabulaire balzacien!) m’avait accueilli dans l’urgence,  quand j’arrivais plus tôt qu’annoncé, elle partait pour le tennis, Je m’excuse, la salle de bains est à gauche.

 

C’est toujours doux, très euphorique, lorsqu’on croise la vanité du monde et qu’on est soi-même vivant : déguisement moins que puérils du Klub, généreuses râclées du sport.

Je ne pensais pas déjà au tennis des Finzi-Contini.

Et pas encore au « Jardin de Giorgio Bassani »

Après les défilés, longtemps j’avais marché parmi le soleil  des rues. Vers 17 heures, comme je passais devant La Scala, des amateurs en grande tenue de sortie commençaient à entrer dans le hall de l’opéra. On voyait de très belles jeunes femmes, habillées en soir malgré la torpeur ambiante.

Ça faisait un peu Carco, un peu Hemingway, un peu Madone des sleepings dormant sur le bureau d’un président. Je faisais des photos de leurs robes implacables dans la canicule.

Au bord de l’arcade, des Alcades, non, des carabiniers en uniforme complet, draps et coton épais, suaient tout en pied, rouges dans l’étoffe noire. Le plus jeune m’aperçut, sans rien dire. On avait trop chaud. Le chef, quadragénaire peu gradé, se précipita vers moi, tonitruant, trop vif dans l’ombre. Je compris, malgré mon Italien de pacotille, mais je fis l’âne.

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Il s’enquit auprès du jeune : On dit comment « effacer » en Inglese .
Approché, il tente de saisir l’Iphone aphone.

Agacé, je refuse, demande : Why?

« Delete! Delete! » crie-t-il

-C’est tout ce que tu sais dire ?

 

 

La vague ne reflue pas, et sans lâcher l’appareil, je veux bien qu’il regarde les images, Crachouilleur à demi, postule et postillonne, mais en ce temps-bien qu’on fût à l’Opéra-pas question de masques. J’interroge : « This One? » . Il tranche.

« Delete! Delete ! »

– C’est tout ce que tu sais dire ? (bis)

Pourtant il n’y a pas de policier en photo, c’est ici un délit.

Deux ou trois des dames de l’opéra font mine de s’approcher : un Français dans le besoin? Elle sont prêtes à lui prêter la main. Le plus jeune des carabiniers les arrête, au moins dans leur élan.

« Delet ! delete !  » Je grogne, il rouspète, je demande à nouveau pourquoi. On va bientôt revenir aux photos de l’an 2000? Assez maintenant. Il change de pied, se raidit : « Documento ! » Quoi, Document, et quoi encore?  Why, please? Il ne se tient plus « Contrôle d’identité de la Police italienne », rage-t-il, on se croirait dans Tintin et Les Carabiniers, Haddock en tunique. Avec un reste de malice, je sors la copie de carte dont je ne sépare pas. Il se fige, triomphe, se voit m’embarquer, pour s’y taire, au poste. « Pas de copie! Pas de copie! »

Les dames sont entrées dans le théâtre, il ne reste plus que notre comédie de carton-pâte, les armures de testostérone.  Bon joueur, j’exhibe, dix de der, le vrai passeport que je laisse toujours à domicile, sauf ce jour, pas dans une chambre d’appartement partagé.  Brusque, il sort le portable, photographie le documento, grommelle  comme un rat du désert ce que je pense être une malédiction sur moi pour les Temps et les Temps, inscription au fichier, Interpol alerté, avenir foutu.

A mon age, ça se supporte. On a de quoi s’occuper pour le peu de reste.

Tout au long, le plus jeune a lassé faire, étonné, accablé de chaleur. Le chef me restitue mon identité (c’est toujours une bonne chose) et par de grands gestes larges, méprisants, vigoureux :  va va , tire toi  d’là je te dis.

A mon age, ça se supporte (bis). D’ailleurs, il y a toujours l’art pour la parenthèse, l’ironie d’un peintre sur Duchamp, l’agréable extension du domaine de la vue par une galeriste peu maniériste : ça fait  de quoi s’occuper pour le peu de reste.

C’est aussi l’instant où je constate la sagesse, ou l’usure des ans : jamais quitté la distance intérieure de l’humour.


Didier Jouault   pour   YDIT BIS,   Rétro calendrier de  l’Avant, 10 ,  La Barbe à PaParme.

A suivre : « Dans le couloir de la Lionne »

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