YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 6/99, Chapitre 2 – début. Je lui raconte que j’envoie des images.

Chapitre 2

Je lui raconte que j’envoie des images

J’avais dormi mal, cette fois-là aussi, trop peu de temps, nu dans la pièce du haut, fenêtres ouvertes sur le silence noir du jardin au 33B Belfiori, dont la forme triangulaire apparaissait plus nettement sous l’éclat des éclairs.


Levé tôt pour le deuxième jour, je trempais le Doliprane dans le café très noir. Tout avait déjà séché, les chats dormaient à leur place, je leur disais que j’allais sans doute tomber amoureux de Ferrare. Ils s’en foutaient félinement, ils avaient l’habitude des coups de foudre. De la terrasse au deuxième étage parvenaient de menus bruits : Silvia déjeunait, je ne voyais rien d’elle, comment s’habillait-elle au matin, l’été ? Je ne m’asseyais jamais longtemps aux balcons.

Tentative ratée ( à mon age ! ) d’imiter chez Silvia le mannequin au balcon de la rue Mazzini !
mannequin au balcon rue Mazzini


J’avais mis le bermuda bleu-nuit aux poches nombreuses, que j’avais emplies de carnets, appareil photo, guide, IPhone. Je faisais mon Sylvain Tesson des rues vides, mon Jean Paul Kaufmann errant dans les pinèdes, mon Lanzmann au Tibet (qui s’en souvient à part moi, de ce Lanzmann là ?). Ridicule dans mon déguisement, trop bien chaussé bien gargarisé, mon BCBG à moi, j’arpentais les clôtures. Un rien ( l’ombre d’une passante ? Un rêve monastique ?) me faisait tourner casaque

Porte des Anges, La Mura en N et B


Avait commencé une longue et presque minutieuse marche dans le quartier ancien. Le plan de Silvia connaissait la douleur de la pliure, lui aussi devenait idéal. Je franchissais La Mura par l’une des rares portes, et parcourais l’herbe haute bordant le cheminement tracé à la place des anciennes douves, au pied de l’entassement pierre et briques rousses.Comme partout, terre sèche et pelouse, le vert et le roux, cette étrange collusion de couleurs contradictoires mais qui décrivent l’unité d’un travail d’époque. Parfois haute, ailleurs presque disparue, La Mura sait tracer l’intermittence.

La Mura, toujours la même, toujours une autre

En haut de la muraille, c’est une large promenade bordée de tilleuls à fortes odeurs, dès le matin, et par endroit massivement écrasée d’arbustes. Dans son « Roman de Ferrare » que je n’avais pas encore lu, Bassani décrit les heures cachées des amoureux, dans les ombres et sur les bancs, avant-guerre, puis la nudité accablée de la promenade, quand les hivers et la guerre ont envoyé vers les cheminées chacun des arbres présents à l’époque.

Tout a repoussé, depuis, comme des cheveux sur la tête d’une femme tondue, aurait pu écrire notre Giorgio, s’il avait été vulgaire, s’il avait davantage suivi les jolis épisodes virils de la Libération en France, qui ont été pas mal dans le genre Société du Spectacle.

…une véritable promenade

Au dessus de cette large Mura…


J’avais saisi l’occasion d’une pente douce (on me reconnaissait bien là) qui joignait le chemin de douves au sommet de La Mura, ne cherchant rien, qu’une terrasse pour un ristreto, j’avais remarqué la bâtisse très contemporaine du musée M.E.I.S., Museo Nazionale dell’Ebraismo Ialiano e della Shoah que précédaient – au-delà d’une forte grille – une installation d’art non moins contemporain, des taillis fleuris plantés strictement, des bancs.


Les livres brulés ne sont pas toujours en cendres

Une première ligne de vieux bâtiments, austère, tapie au milieu des barreaux, coupait en partie le regard. Le portail, aussi peu avenant, ouvrait avec prudence sur le hall. Un garde armé m’y surveillait, la méfiance atténuée par le gris de mes cheveux et mon allure de Indiana Jones perdu à la descente de son Oui-Bus, même pas une carte «  avantages sénior » planquée dans la poche-poitrine. Juste occupé à radiographier le souvenir.

visiter : parfois, se radiographier les émotions


Ici, la visite commençait par des photos de l’ancienne prison, qui avait précédé le musée sur les lieux. Dans l’une de ses nouvelles, que je n’avais pas encore lue non plus, Giorgio Bassani fait allusion à la maison d’arrêts de la rue Piangipana. Il y a vécu lui-même, à l’intérieur d’une cellule. Action antifasciste. L’époque ne rigolait pas.


Mais je ne savais rien encore des inquiétantes étrangetés de la ville, décrites par Bassani. Ici, par des panneaux pour écoliers, j’apprends comment un rusé duc de Ferrare, toute fin XVème, attire dans la cité ceux qui le veulent parmi les juifs tout juste expulsés d’Espagne, entre deux et trois mille, nombre considérable pour la population de ce temps . C’est un accueil bras ouverts, libertés publiques et de culte, pas même un ghetto avec ce que cela suppose d’enclos, de fermeture, de murs en pierre et dans les mœurs : à la place on circule, on monétise, on commerce, on soigne et on change, on parle et on chante, le rabbin marche dans toutes les rues, – quitte à, on s’en doutait, à ce qu’à présent prospères et paisibles, on ne puisse hésiter à offrir une puissante aide, sonnante et dite spontanée, en cas de besoin, et les ducs, c’est connu, c’est pas les besoins qui leur manquent le plus. Les nouveaux venus s’installent dans le quartier ancien, y ajoutent des rues, des boutiques, des passages plutôt discrets. Un quartier naît vite, libre et authentiquement juif. C’est FERRARE seizième. La Mura protège. Au fond, c’est aussi- avec les vélos- l’un des personnages du Roman de Ferrare.

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Didier Jouault, pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 6/99, Chapitre 2 – début. Je lui raconte que j’envoie des images. A suivre.Si on a du temps. Mais on en trouve.

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