YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 17/99, Chapitre 5 – fin. (Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…)

Miettes abandonnées sur la nappe mal tirée de la table de la mémoire, ou dans un lit dont les draps sont trop peu tendus pour interdire aux souvenirs de galoper sourdement vers leur propre disparition programmée. Quand on bouge, ça gratte, on n’échappe.
Là, en général, les juniors s’esclaffent : « ça y est, le vieux a dépassé les trois cafés, la métaphore s’effile ! »

Photo by Anna Shvets from Pexels,merci


« Comparer les souvenirs de résistants à des puces de matelas, c’est un peu méprisant », pourrait dire Stéfania si elle avait la moindre idée de ce que pensent, de la vie, tous ces hommes qu’elle héberge, pour une nuit.Et qu’elle espionne, peut-être ? On ne le saura jamais.Ce matin, pour renouer le fil Internet, j’ai observé de curieuses connexions.Et cette photo de nuit , volée? Imaginée?
Elle ajouterait plusieurs ravageuses observations, sur cette prétendue molle « Résistance au fascisme », mon œil, elle en sait beaucoup, on le verra, en particulier sur la politique de relégation, d’interdiction, d’exil et de résidence surveillée au lieu de l’exécution massive, cet art si méticuleusement mis au point par les précurseurs de la Guépéou, par exemple, au nom des bienfaits qu’espère une populace certes inculte, mais tu vas voir, je vais te lui apprendre la culture du parti et la véritable nature du vrai soviet, moi, à ta populace, Mikaël, passe-moi un autre chargeur.


Et bien entendu également sur cette apparente longue indifférence italienne à la question juive, jusqu’en fin des années Trente. On l’écouterait avec méfiance, pensant à cette accumulation de portraits de Résistants qui forment sur le mur d’un église en centre-ville, près de la place principale, un monument très présent.
Comme souvent, je suis passé à l’office du tourisme.


Avouons ici que c’est le guichet parfait pour des échanges d’informations riches pour l’Agence, et nul n’y perçoit malice : on donne les bonnes adresses, les recommandations, les ultimes nouvelles des réseaux. Les endroits où dormir, dîner, rêver, avoir ou écrire des rapports.
J’ai suivi la conseil. La synagogue date du 19ème et d’ailleurs l’accueil si bienveillant des expulsés a concerné le duché de Ferrare, certes, mais surtout la Cité-Etat elle-même, l’alors capitale Ferrare. Sa façade modeste, où l’étoile de David apparaît à peine, ferme une place sereine, moderne, à dimension de «carré long »comme disaient les maîtres architectes depuis les fameux dessins laissés sur son carnet d’œuvre par Villard de Honnecourt. Les rues rares débouchant ici, et les arbres déjà hauts, façonnent presque une place de village.


Des couples déjeunent d’un panini-fallafel, assis sur la margelle octogonale de la fontaine où alternent les pavés noirs et blancs, marbres usés par beaucoup de mains et de shorts. Une famille Loubavitch passe lentement, perruque, longues jupes, enfants déjà déguisés pour sembler religieux. On se regarde. Ils devinent qui je suis, ce que je cherche, et perçoivent que mon creusement de la mémoire ne vaut nullement respect de leurs intégrismes. Le père hâte la marche des sept enfants, dont un encore à l’abri du ventre maternel. Je n’aime pas ces sortes d’intègres.
Dans la gelateria qu’occupent assez joliment deux ou trois étudiantes habillées en serveuses, je m’offre de quoi ne pas perdre du temps à déjeuner. Du pain aux noix reste dans mon sac en bandoulière, depuis les cafés du matin. La besace du migrant volontaire et confortable ?

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Didier Jouault pour :YDIT-suit : « Le Jardin de Giorgio Bassani », Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…épisode 17/99, Chapitre 5 – fin. A suivre : »Je peux reprendre ma route vers le jardin »

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