YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 18/99, Chapitre 6 – début .

Chapitre 6

Je peux reprendre ma route vers le jardin

Plus tard, sur le Mercato Storico Albinelli, j’achèterai des légumes cuits à la vapeur vendus dans une barquette en bois léger, une part de tarte aux noix. Je visiterai ensuite l’étonnante « Galeria d’Este » cachée au sein du Musée, rencontrant l’éblouissante fulgurance d’une Annonciation, superbe, émouvante, due à Ferrari, rouge et vert et bleu.
Marie est à droite, sur un piédestal une estrade au sommet de trois ou quatre marches, debout et comme ne pouvant comprendre, mais la douceur du visage dit l’acceptation joyeuse. Au-delà, en fond, un porche immense en demi-cercle, dans une perspective implacable de douceur et d’impossible, s’aperçoivent les contreforts du mont, derrière des fragments apaisés de ville, et avant les sommets d’une montagne à peine pointue, qui s’ouvre sur le ciel sans limite, le peintre conduit ainsi- assigne- le regard, il l’y mène vers l’infini de l’infini.

Sans que je la voie, Stéfania prend-elle des photos pour la concurrence?

Il y avait toujours un vecchio pour veiller sur les anges, mais il n’y a plus de vieux qui vaille !

Rares instants où une absolue perception de la perfection s’impose à tout commentaire profane, comme devant la vierge à l’enfant de Bellini, à gauche dans San Zaccaria de Venise, ou la Santa Anna du Vinci, l’indépassable stupeur silencieuse que provoque l’atteinte de l’équilibre définitf. En cela tout est dit, qu’on y croie ou pas, c’est là. Laïcard sans réserve, vieux teigneux, incroyant notoire, et en émerveillement devant ces toiles.

« La beauté se passe de contenu », affirmait Picasso lors d’une discussion, au lit, avec Françoise, en ajoutant : » T’irais pas me faire un café, querida ? »

Retour sur la piazza de la Torre, centre historique.

Un mur entier de l’église, au nord, est consacré à des photos noir et blanc, exposées sur trois panneaux de trois mètres sur deux mètres, en peu en hauteur, plaque et fleurs au pied, portraits tous au même format, tous accompagnés d’une brève notice, images de centaines de résistants exécutés, la plupart après 42, quand Mussolini,

en dictateur vaincu-emprisonné puis libéré-sauvé par Hitler, régnait sur l’illusoire et dérisoire mais vengeresse république de Salo, totalement aux mains des pouvoirs nazis, au premier rang desquels, hélas, la gestapo et le SR. Dans la salle du haut ne siégeait qu’un tribunal désert. Mais les notices ont été enlevées.


Une plaque, abrégée ici, datée de décembre 1947, pour la ville médaillée d’or témoigne… « opponeva la tenacia invincible dell’amore elle libere istatizioni. In 20 mesi di titanica lotta… » Plus loin , une autre plaque, datée du 25 avril 2006, date anniversaire : « Dope l’8 settembre 1943, in Italia, occupazione tedesca i fascismo di Salo portarono deportazioni, rastrellamenti, reppresaglie a colpire chia era vitima di lunga persecuzione, chi lottere… ».

Dali aurait-il affirmé, en prenant une Gala de Balthus sur se genoux : » Tu sais, mon bébé de sucre, les images de souvenir se passent de contenu »?
Sur les trois panneaux, les femmes ne sont pas rares. Une maman assez jeune s’est arrêtée. Elle montre une photo à sa fillette, dix ans. Un grand père ? L’une des victimes, je n’ai pas noté son nom, a pour date de naissance 1870.


Je glane plusieurs images, toutes émouvantes, comme un pauvre cheminot de jadis ramassait les fruits tombés en bord de route. Les portraits proviennent visiblement de documents d’identité, voire d’images familiales, ce ne sont heureusement pas de fiches de police. SMERERI, Umbertina, 1920, l’air déterminé.


A côté, son père sans doute, Guiseppe, comme étonné. TARAVELLI, Emilia,1925 (assassinée si jeune !) apparente naïve, à côté de TASSONI Amélio, 1914, militaire barbu. Les frères VOLPI, Carlo 1920, grave, Renzo 1927, si jeune aussi, souriant.
La famille ZANASI, Valentine, l’aînée, 1915, lunettes d’institutrice, ou la dirait venue d’une nouvelle de BASSANI ; Guiseppe, 1926, un peu hautain malgré l’âge, Augusto, 1922, large sourire. Les images des morts dans la ville assoupie.

l’évacuation en arrière-plan de la fête

testimoniare con il suicido l’assurdita delle leggi razziali

Les photos de Modène sont comme l’écho anticipé d’autres noms sur les trois plaques de Ferrare en hommage aux assassinés de 1943, cette nuit dont Bassani a fait une nouvelle, que je lirai, à force d’en parler.


Des touristes agréables et suant sous la lumière passent en tenant des mégots, des textos, des vélos, des photos, des fardeaux, des dodos, des mélos perso. Ils ne détournent pas la tête car leur trajectoire en oblique sur la place ne conduit pas devant le mur des exécutés.
Sans savoir, ils marchent dans le territoire aisé de leur ignorance, comme plus tard à Ferrare devant la plaque de la rue Mazzini, et comment leur reprocher de ne rien regarder de ce qu’on n’indique pas ?

Seules les données proposées par le blondin pâlot de l’office du tourisme m’ont signalé l’existence de ce mur. Mais il a reconnu en moi, dès mon premier geste, un de l’Agence.

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