YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 30/99, Chapitre 10 MILIEU – Le soleil sans pudeur expose sa virilité – « Salut l’ami Frenchie ».

Silvia, du côté Fondation Bassani, nul ne répond à ses mels, ce qui la désole. Et moi, donc. Aussi je ne leur enverrai jamais le lien avec cette publication  du « Jardin de Giorgio Bassani ».


Le matin, dans la belle Mantoue, je vais cuver le Théralène (erreur de dosage, mais on n’a jamais vu l’overdose conduire à un autre état que l’abrutissement, nulle importance si on est seul, et trois ou quatre ristretti vous l’éparpillent assez vite).

Je regarde passer les douceurs tout en rondeurs goûteuses, et je les photographie pour rêver. J’avais bien dit que je ne photographiais plus les shorts, sauf exception. « Bien dit », textotent les amis de l’Agence.

Je vais recomposer le présent au musée San Sebastien, trois étages d’un ex-palais de loisirs, près de l’eau. Au premier étage, que je parcours solitaire et pas glacé, deux gardiennes sont assises ensemble sur deux chaises historiques, au juste milieu d’une enfilade de salons, face à une large fenêtre aux doubles baies ouvertes sur l’orage qui probablement vient.
Le ventilateur débridé, digne d’un raid de l’US Air Force ( mais ça, le raid, les Navy Sail, c’est chapitre 11) , éclaire leur visage en éparpillant les chevelures. L’une est au bord de la retraite, ridée, lourde mais le visage rieur et le geste jovial. L’autre, vraiment d’une jeunesse à poser trois quarts nue dans des publicités pour les chaussures de course, ça tombe bien on court en short sur toutes les affiches en 4x 6, pas en camisole de force, mais ça devrait. J’écoute avec une sorte de respect amusé. Elles sont occupées de leur présent mélangé dans le passé.

Elles vivent dans l’horaire décalé vers l’intérieur, indifférentes aux œuvres qu’elles connaissent par cœur et aux visiteurs qu’elles ne désirent pas rencontrer, mais faut-il connaître tous ces gens qui vous déambulent dans le dos en oubliant de vous regarder? Oui faut-il, en général ?Leur conversation légère est visiblement attendrie, de ce genre d’amour entre générations différentes. Passage de témoin (et c’est moi le témoin de passage !). Quand elle m’aperçoivent dans le champ, elles me sourient, me font un petit signe, « Tiens salut l’ami Frenchie, tu te réveilles tout de même, prends ton temps, à ton âge les nuits sont courtes et les rêves lents, enjoy ! « ( elles écoutent beaucoup de séries US), puis reprennent leur marivaudage.

Sous prétexte de photographier les œuvres, je m’organise pour dérober les images de leurs visages, la revivifiante beauté de leurs visages, leurs mains, leur joie d’être. L’appareil de poche dont le zoom est malhabile, délivre une mise au point floue. C’est bien : le flou sied à l’immobilité.
A l’étage supérieur, dans la longue salle où je parle ces notes, debout devant une «Adoration des mages »( ou plutôt par les mages ?) dessinée par un maître visiblement halluciné (Ferralori ? Balboriconi ?), le gardien fait les cent pas. Une chaleur de four à pizza s’est installée ici et ma chemise marque les avancées de la sueur comme des stigmates rigolos. Chaque fois que son tour de garde un peu délirant le mène à passer à nouveau près de moi, le surveillant m’observe, ralentit, ne dit mot. On sent qu’il aimerait lire ce que j’écris, écouter ce que j’enregistre, croit–il , au sujet du tableau devant lequel je suis arrêté.


Toujours, des gardiens ont envie de lire par-dessus nos épaules, et voilà pourquoi il sera toujours nécessaire d’écrire des livres dans une langue pour eux inconnue, en code, en sympathique, en palimpseste directement.
Lorsque je quitte la pièce, chantonnant mezza voce comme souvent, cette fois une ritournelle de souris verte, il saisit l’occasion pour me suivre dans l’escalier qui mène à l’étage où les deux femmes sont encore dans le bonheur de l’échange le plus précieux, le gratuit.

Dehors, la solitude a disparu. Je me demande, avec toutes ces filles en short comment il est possible de bâtir une histoire longue sur des formes aussi courtes.
Edith s’amuserait de la remarque, Sergui m’envierait des balades d’Ukraine, Markus mimerait des gros yeux du Montana, Cécilia ne dirait mot, désapprobation muette de mes regards. Je leur envoie des photos. Leurs réponses ressemblent à ce que j’imaginais : tout va bien. On attend tes notes, ça va être plein de goût, de pulpe, de fiction, et les Juniors, ça va saigner.


De l’autre côté du musée, en face dans la rue qu’on traverse sous le soleil, c’est l’Ancien Temple, ancien temple comme on dit l’ancien temps, église désaffectée muée en mémorial en honneur entre autres des Martyrs de Belfiore ( c’est le nom de la rue au jardin rose à Ferrare), qui se réunissaient en secret entre 1850 et 1855 pour organiser la résistance à ce qu’ils nommaient l’intrus Autrichien. Surpris par la troupe bien renseignée, torturés en vain, exécutés sans avoir dénoncé. Les Autrichiens pendirent les corps à des poteaux de bois ( ici exposés, indique la dame en noir qui me guide, boitant un peu, cheveux gris, l’air de s’ennuyer, une fois de plus je suis seul ), et cette caisse, là, non, l’autre, derrière le panneau portant leur nom, la caisse contient leurs restes recueillis par d’autres Résistants.

Les cendres des Résistants chauffent le cœur du Temple. C’est pas vraiment l’air du temps.
Nous en sommes là de notre échange assez ralenti par le délabrement de mon Italien, lorsque nous rejoint brutalement un homme jeune, harnaché pour la photo comme pour le 6 juin 44, 7ème Brigade Aéroportée, Ste Mère l’Eglise. Il parcourt le temple à grands pas de hussard démonté, photographie tout et encore davantage rien, change d’optique, d’appareil, souffle à peine entre deux clics. La dame en noir à cheveux gris et moi nous regardons, nous nous regardons aussi, tandis qu’il ne regarde rien.


Arrive ensuite une famille composée – modèle banal- entre autres de deux jeunes filles dont une microshortphore, n’hésitant ni à exposer de vives convictions par la rareté de l’étoffe, ni à marquer ses distances avec la famille, le photographe, l’univers. Isolée, elle improvise son propre parcours de visite, ce qui me permet (mais ne m’autorise) deux ou trois photos délicates de la silhouette brune devant les murs jaune-roux, ou lorsqu’elle prend la pose, pas du tout innocente devant mon appareil, près d’une maquette, dans l’axe de la lumière, attachée à l’exposition réussie de ses lignes plutôt qu’à l’observation d’un objet dont elle méprise le sens. C’est pas bien, diraient les collègues, vraiment pas bien, mais c’est joli, ajouterait l’un d’eux, ou l’autre.le long du temple 2.jpg

 

 

 

 

Isolée, dans la pénombre de l’Ancien Temple à Mantoue, la jeune visiteuse séparée de sa famille  improvise son propre parcours de visite, et se pose clandestinement pour les photos-souvenirs. La journée se marque d’érotisme tendre : c’est la Renaissance, évidence véritable et fausse et simplicité.

 

 

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Plus tard, on va compliquer.


 

 

 

 

Dans la continuité, visite du Palais de Té. Au plafond, une course entre soleil et lune, personnages symboliques, mais on observe que le peintre n’oublie rien des attributs du soleil conduisant un char : seulement vêtu de la courte tunique soulevée par le vent de la course, le personnage soleil, un beau jeune homme,  sans pudeur expose sa virilité tout à fait bien précisément peinte, et d’importance notable en dépit de la distance.

Plus tard, dans la salle des amours de Psyché, dans un coin très visible du plafond chargé, un satyre est figuré, attentif et tendu, en toute possession de ses ressorts intimes non moins tendus, et fermement, salut Priape.
Depuis le plancher, un jeune couple regarde, s’amuse, photographie la provocation. Banalité du Désir tiré par la queue. Encore Picasso ?

Sur ces images d’une Renaissance insolente, et sans réticence au plaisir, joyeuse d’envies et de savoirs, gaillarde, sûre de l’avenir (et elle avait tort, quatre siècles plus tard tout recommence à mourir, inversant le chemin, retournant le flux de lumière vers l’obscur ancien), il me reste à saluer les gardiennes, les heureuses  bavardes,  et à décider du bon endroit pour la terrasse : la plus vide, si le mot a du sens.

Le vide contre le trop plein dont débordent  certaines images du narrateur.

Mais je n’ai pas horreur du vide- on sait le regarder en face, lui aussi.

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 30/99, Chapitre 10 – Le soleil sans pudeur expose sa virilité – milieu. A suivre, et finir ( le chapitre seulement !)  avant fin septembre.

 

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