YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 32/99, Chapitre 11 – Il fallait que ce fût très violent ou très désopilant – début .

Chapitre 11

Il fallait que ce fût très violent ou très désopilant

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Lentement, j’ai progressé vers le cœur du voyage: FERRARA. Ici j’ai pris mon temps, lambiné, finassé, faignassé, encore, mais n’empêche, j’aimerais en savoir davantage, pour en finir avec le jugement des yeux, comme une question posée jadis à l’enfance, et toujours aiguë : là, au fond, un vide ou de la vie à venir?

Sur la terrasse matinale polluée par des musiciens errants et plutôt sales, j’ai apporté la tablette, connectée sur la wifi du bar. Je m’offre quinze minutes pour tenter de récupérer tout ce qui est lisible- et dicible ?- sur la belle hôtesse, ERIKA.

A partir d’écrans successifs, se bâtit un portrait, dont on sait bien qu’il peut être dessiné de pièces fausses pour une image menteuse, ou de pièces vraies pour un puzzle raté.Ainsi que toute narration.

En mémoire, j’ai ces photos trouvées, très tard, le soir, retour d’errances urbaines dans la plate cité aux sombres pavés ( je me mets à parler l’adjectif comme dans une Odyssée), j’avais ouvert l’un de ces tiroirs de fond, de bas, de bas-fond, une commode-déversoir : travail banal de narrateur spéculatif. S’y sont installés pour les temps et les temps, à l’usage d’insomniaques, tels que moi, lentement amoureux de l’aurore aux doigts de rose, plusieurs table-books, tous désuets, en très bon état, catalogues d’expositions.

J’avais feuilleté, plus loin qu’un touriste s’y autorise (ou s’y intéresse? ). D’une enveloppe, trois ou quatre photos surgissent du brouillard, épreuves pas si anciennes. Oubliées là? On peine à y croire. Mais sinon pourquoi ? De toute évidence, il s’agit d’un travail sur images, préparant peut-être une publication sur un réseau privé ? Un préparatif pressé de cadeau impressionné?

Plus tard, mais je l’ignorais encore, le » Narrateur Spéculatif » nommé par construction YDIT, publierait des photos de nus, prises dans la belle maison de l’ile, TAXOS. Provocation – le Narrateur nous y habitua dès le début de plus de 200  » posts » -, mais qui cette fois provoquera une forte gène assez inattendue parmi quelques lecteurs, et encore davantage lectrices.

On ne se croyait pas si mal VU.

A plusieurs détails en examinant les tirages issus de l’enveloppe un peu froissée mais propre, on se demande s’il s’agit bien de « notre » Erika, la même, celle de Ma Maison du Rabbi ? Une soeur, peut-être? Jumelle ou presque? L’évidence d’un travail sur le rapport sourire/regard/poitrine élude toute allusion graveleuse.

ERIKA ?

A sa naissance, tout début années quatre-vingt-dix, le monde s’est simplifié, les murs séparant l’Europe ont fini par se dissoudre dans l’incompétence ou l’insolence. Son père, architecte à la mode et professeur à l’Ecole Spéciale supérieure de la région, s’est fabriqué une belle réputation, même si les ratés – ou les grincheux- lui reprochent d’accepter un peu facilement les travaux provenant de richissimes commanditaires désirant une luxueuse et inutilement vide villa en Toscane.
Il ne s’agit pas de la mafia, mais de traders (qu’on n’appelle pas encore ainsi) ou de startupers enivrés par l’envol de la bulle Internet, avant l’explosion : ruissellement des stock-options et fusions/acquisitions menées à la cadence d’une campagne d’Italie ayant bien tourné, contrairement à celle de ce bon François, roi fat fait prisonnier à Pavie, et bien longtemps retenu loin du royaume venant de BeauPapa.
Ce qui va lui laisser peu de temps au fond, pour passer des jours heureux, seulement trente-cinq jours de sa vie entière, dans son fastueux château de Chambord, incroyable et ruineux domaine construit à la lumière de la salamandre et aux couleurs chiffrées de l’alchimie, qui ont été aussi le tricolore décor de notre culture.


Histoire d’Erika, chacune son tour.

Erika aime tout le monde, c’est plus tranquille, le retour sur investissement est garanti. Et puis, aimer, c’est plus propre que négliger, ça pollue moins les alentours. Elle aime les collègues de Papa qui parlent urbanisme, politique, placements, tableaux, et femmes – bien que sur ce sujet on commence à limiter les dégâts de la parole virile. Car Maman psychanalyste ayant largement contribué ensuite à l’anti-psychiatrie, consacre des jours et des nuits au combat féministe, davantage qu’à ses consultations, mais on s’en fiche : l’argent est facile. Ainsi alternent dans la grande maison moderne les groupes de messieurs-dames z’ artistes – ou commanditaires fortunés un peu graves- avec les réunions joyeuses de dames en lutte, en butte à la critique. Sur la table du salon, s’empilent les cadeaux ou les achats, des livres divers qu’Erika lira plus tard, surtout les quatrième de couverture, quand il ne s’agit pas de ces gros volumes d’art trop lourds pour une fillette.
Elle grandit ainsi dans ce qui assure (assurément)une forme de bonheur induite par l’absence de questions délicates, ou de réponses douloureuses, les deux.
Cependant, même à trois ans, dans ce milieu préservé abonné à ‘La República’, comme jusqu’à six ans, Erika perçoit l’écho des histoires, et subit avec bouleversement ces constats, faits de loin (les parents éteignent la télé) : ici on enlève et on tue les petits enfants.

Certes, cela se pratique aussi très malheureusement aux USA, dont elle sera l’une des visiteuses les plus aimantes par la suite, mais tout de même, ça fait choc. A six ans, puisqu’on en parle, la fillette observe son père offrir à Mamma l’un de ces livres qu’elle adorera lire plusieurs fois, le somptueux et court opus de l’encore jeune Alessandro Baricco, « Sete » relancé brusquement par le Médicis Etranger décerné pour Castelli di rabbia, son premier roman. Une récompense parisienne, Erika ignore ce que c’est, mais ses parents ont voyagé, bu des cafés-crème à la terrasse du Café de Flore, fêté un anniversaire chez Lipp, déambulé ensuite rue Sébastien Bottin (elle se nomma ainsi longtemps) ou rue Jacob, rue des Saint Pères rien que du beau monde. «Tu te rends compte, dit Papa, Baricco a fondé une école, la Scuola Holden, dont les cours ( il rit un peu, il est passé au Chablis et c’est son troisième), dont les cours servent à savoir comment déconstruire le narratif. Comme si c’était pas déjà si compliqué, le narratif, fragile comme un cerf-volant de papier, gluant comme un escargot mal cuit dans son trop d’ail, tu parles, ça court tout seul, et tu le rattrapes quand tu peux, le narratif, qu’est-ce que tu crois ? »

Erika est une petite fille sage – elle le restera sous toutes ses formes et dans toutes ses images – 

elle écoute et s’intéresse. Une véritable lectrice.Pas mal, les amis !


Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 32/99, Chapitre 11Il fallait que ce fût très violent ou très désopilant – début. A suivre

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