NERO : « Tu connais les souterrains, les tunnels d’ici, à Ferrare, entre chapelles primitives et, parait-il, le vieux ghetto des origines, non ? Et tout ce qui peut s’y passer maintenant? »
Silvia aimerait qu’il arrête un peu, avec ces balivernes, vraiment, les tunnels, tout ce clinquant, c’est juste bon pour les touristes. « Tu veux vraiment que je poursuive la lecture? »
Le commentaire continue, en traduction automatique, dévorant toutes les énergies alentour :
« Entre le 2 et le 7 aout, tout ce qu’il reste de poudre et de boulets tombe sur les Francs, on dirait une dévastation semblable à celle d’un débarquement Allié en Normandie. Le 7, qui est un samedi, à midi, car ils aiment aussi les symboles, enfin les Turcs attaquent les bastions majeurs, saint Ange (à la pointe nord ) et Castille, au pied sud de la colline. C’est la fin, pensent-ils, à peine capables d’encore prier, persuadés cependant de ne trouver en face d’eux que murailles détruites ou défenses crevées, chevaliers en haillons, armes abandonnées, peuple affamé, femmes dévastées par la douleur que du beau et du bon, pour un assaillant de moyen, calibre et de conscience nulle.
On ne peut pas évoquer une balade de santé, mais il s’en faut de peu. Le sultan, depuis les hauteurs, surveille et dirige, en particulier il veille comme un père à l’engagement des Janissaires, puissante mais coûteuse cohorte qu’on dirait aujourd’hui ‘d’élite‘, une sorte de Navy Seal. Chaque homme vaut deux ou trois fois le prix d’un joli harem, d’accord c’est pas le même usage, même s’il ne s’agit que d’exposer sa puissance. »
Silvia fait un geste vers NERO, assis tout à côté : elle aimerait à boire. Il se lève.
Sans s’interrompre, mais haussant le son elle donne la suite de ce non-dialogue, dont elle précise au passage, à nouveau, qu’il a été rédigé en mauvais Anglais, de sorte qu’on doit s’en remettre à un traducteur inhumain, pour un texte plein du sang des hommes. Paradoxe, mais banal.
Ils ont l’impression d’entendre le dialogue d’un mauvais film d’action, l’un de ces opus pour héroïne qu’aime la belle (peut on dire ca ?) Erika, sauf que ni les Ottomans ni les francs n’ont de guerrière en armes.


« Vers 14 heures, l’assaut des Ottomans paraît faire vaciller l’Occident. La clé va tourner, la porte muette parler – en Arabe. Peste ! Encore une fois, le Temps peut basculer d’un côté ou de l’autre. Toute l’Histoire du monde est au bout d’un cimeterre damasquiné, ou d’une épée trempée à Tolède. Le Sultan, un zeste impatient, est debout sur les étriers de cuir puant sous les sueurs.
L’Orient/L’Occident, la bagarre interminée, on a compris.
Dans le donjon, sur le haut de la tour, Le Grand Maître délégué, Léopold de Marquenterre, a les foies, carrément, ça lui a jamais tant plu, la guerre, les batailles, les bastons, là lui, en fait, surtout il n’a jamais imaginé de pouvoir perdre, pensez-donc, le Grand Maître des Hospitaliers, rien que le Titre, tu t’enfuies, normalement, les Turcs non, pas rassuré le Léopold, mais il parvient à communiquer ses ordres, en fait ça veut dire :
–On se tire, on met les bouts, y’en a marre du carnage qui ravage, je suis pas moine pour mourir en guerrier, ni guerrier pour mourir sans prier, amène toi François, fais pas le fiérot frérot, et merde si l’Occident se le fait par derrière, enfin tu vois ce que je veux dire, plus rien à foutre de ta Porte du Levant, couchée La Porte, donne la papatte, tant pis, on parlera en Arabe, en Turc, en Javanais, en je sais pas quoi, et basta, y’a pire, non ? ça pourrait être en Chinetoque, en Bambara, j’en ai les boules qui enflent de toutes ces conneries de Temple depuis des dizaines d’années que ça dure et qu’on endure, faut savoir fuir à temps, comme disait le philosophe, tu sais ce qu’ils en font, des boules d’Occident, tes potes à cimeterre ?
Bref, ses ordres parfaitement nets, « Sauve qui peut » il les envoie au maréchal François de Mortain, le maréchal l’amiral, ça rime à rien, on s’en souvient : « Retraite ! ». Mortain s’en fiche. A son Grand Maître délégué, il est trop loin pour lui faire un geste déplaisant, et si peu fraternel. Pour lui, tous les témoins du temps s’accordent là-dessus, le Grand Maître délégué n’est qu’une flanelle de Gand, une armure habillant du vent. Il néglige d’obéir, l’amiral maréchal nous voilà pas !.. Déjà que Mortain ça commence mal pour un soldat, On va pas se laisser virer comme des blettes, écraser comme des blattes, sans une de ces bonnes petites contre-attaques, nom d’un Mortain. Retraite, mon cul, dirait-il en Queneau dans le texte.
Il a raison : faute de l’ avancée rapide prévue, les Janissaires sont enfermés comme dans un piège entre les fortifications du dehors et celle du dedans, soumis à deux feux convergents. Pif-Paf, on dirait des baffes dans une BD, où t’as mis la potion ? Or, un Janissaire c’est beaucoup beaucoup plus cher qu’un légionnaire. Le Maréchal-amiral lève son poing couvert de métal. On se croirait à Verdun, au chemin des Dames. Pire, dans la cuvette de Dien Bien Phu, et plus un seul avion pour apporter de l’aide. Plus un para, plus un béret, plus un bizarre, un Bigeard, mais des Rouges, autant que tu veux.
NERO, revenu avec la citronnade, demande : « Il a réellement écrit Indochine, le Vieux Français ? »
Silvia hausse les épaules, ne commente pas le commentaire, continue son atone mais émouvante lecture:
« En même temps, la fameuse cavalerie des Hospitaliers, chevaliers d’Orient et d’Occident, la formule va survive, redoutée de tous mais qu’on pensait privée de chevaux, lance la fameuse contre-offensive imprévisible, « miraculeuse » écrira un commentateur anonyme. Chevauchant, il est vrai, un peu tout ce qui peut se monter (et c’est tout juste si on ne voit pas deux chevaliers sur un seul cheval, comme dans l’iconographie de la légende templière ), la déferlante franque, bannière du Christ, bliaud blanc frappé de la croix pâtée rouge, et rougi déjà de tant de sang de tant de frères, prend à revers et par surprise le campement Ottoman, ça s’appelle au sens strict se faire mettre, campement où ne sont plus que malades, blessés, femmes de joie et ultimes réserves stratégiques. Alors, c’est un « beau et grand massacre de gens et de biens», qui brûle même la tente du Sultan occupé à diriger ailleurs son armée maintenant vaincue, quelques survivantes échappant au viol grâce au vœu de chasteté de moines-soldats.
Pour un peu, on croirait Zoe Oldenbourg décrivant la prise de Jérusalem, Tarentino c’est du Châteauneuf du pape, à côté.
D’ailleurs, se demande Silvia ( mais n’ose le dire pour ne pas dé-orienter son héros le NERO) :
Les Chevaliers d’Orient et d’Occident, ont eu des enfants, spirituels au moins. Ils ont façonné une légende, fabriqué des récits, inventé leurs décors de cérémonie :7 sceaux qui figure sur le tablier du grade, en principe. Sur les 7 cachets, on trouve :
· un arc, une flèche, une couronne d’or signifiant que la décision prise est exécutée avec la même promptitude et exactitude que la flèche tirée,
· une épée à deux tranchants : pour toujours combattants pour la défense du droit;
· une balance : banalement la justice,
· un crâne: la vie, la vanité de la vie
· une étoffe tâchée de sang : ce qui témoigne du combat ancien
– 7 trompettes et parfums, 7 le chiffre symbolique par excellence, rien que sur le 777 pages pourraient s' »écrire- ce qui est mieux- évidemment – que 666.
Mais- se dit encore Silvia écoutant les mouvements sonores de NERO dans le duplex rose- tout ça fait un peu brocante provinciale, on imagine de vieux chasseurs d’image rancis dans leur mémoire devenue dentelle, un jour Google pour des relents de chevaliers usés, un jour pour des photos d’armes blanches, un jour images de nus, alors que – pour finir, de ce qu’elle peut savoir par son aïeul, dont elle ne dire jamais rien, Silvia connaît le dépouillement rose ( comme son jardin ) sur fond doré des objets descendus des Chevaliers.
Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 41/99, Chapitre 13 – ça chauffe toujours entre Orient et Occident -second milieu. « Chaque homme vaut deux ou trois fois le prix d’un joli harem ». Suite et fin : mercredi, jour des enfants, pour bien finir (rien de tel- hélas- su’un suspense pour l’attention et la tension! Ainsi, même pas une semaine entière pour le basculement raté du centre de la guerre et de la culture de l’orient vers l’occident , quatre épisodes pour un récit, on peut pas se plaindre de la rareté du narratif ! Bon, ça mérite sans aucun doute une petite pause.