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Avant de partir accomplir mes visites je m’aperçois dans la psyché de l’entrée : avec mes mocassins en veau cousu main achetés à Olbia, bien entendu portés pied-nus, et mon demi-bermuda noisette (très bien coupé), si on ajoutait ces lunettes rouge sombre, larges (qui formaient encore alors partie intégrante de mon personnage, sujet des photos pour mon ‘blog’abandonné sur une marche de Temple depuis, au profit de FERRARA), si on humait un bronzage tonique ( pour peu qu’on eût encore la dangereuse liberté du baiser d’ami), et que tout cela se complétât par un tot bag (« Petit Palais » Paris, mais je déteste en porter),
je serais-en dépit ou peut-être en raison de l’âge- tout à fait prêt pour recevoir en cette ville oblique et foisonnante les signes d’une drague virile un peu active. A observer certains des peintres de la Renaissance, toujours on se demande devant tel pan d’image : garçon ou fille?
D’ailleurs, autant l’avouer, parfois, dans ces rues d’Italie au nord, des couples d’hommes, plutôt pas si jeunes, me jettent un coup d’œil. Raté, les gars, trop tard pour essayer le bicolore
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Ensuite, lors de ma visite à la Casa Romei, en fin de séjour, deux messieurs traîneront un peu près de moi, chapeaux de paille, bermudas serrés comme un short de vélo, une cuisse rouge, une verte. Mais, sur les bicyclettes ou dans leurs shorts je ne regarde que les jeunes filles. « C’est pas à ton age qu’on apprend le coup de main pour retourner les crêpes », dirait Mark.
C’est bien dans le ton pourtant : à l’accueil du Palazzina Marfisa d’Este, le type , jeune, s’ennuie, tente de bavarder dans un Français très convenable, envoie de jolis sourires en me demandant ce que j’aimerais voir de plus précis, me caresse de conseils et d’une voix profonde.
Debout afin de m’indiquer une circulation « plus adaptée à la votre personne », il ressemble à une espèce d’accorte San Sébastian- mais ne le sont-ils pas tous, accortes, les San Sébastian? Au moins fournit-il à ma curiosité de voyageur les réponses utiles pour mes notices.
Retour en arrière, encore ( et pourquoi non?).
Entre mes deux passages à Ferrare, revenu à Parigi sull piaggia, j’étais allé à la médiathèque du quartier et j’avais tiré de sa torpeur, plus que vespérale, le ventripotent volume adéquat du MOURRE, on dit aussi La Mourre, l’encyclopédie ou le dictionnaire historique, texte originel, de 1978 ( la grande époque ! ), aux Presses Universitaires, réédité idem par Larousse en 1996 : de quoi s’occuper intelligemment les mains, comme disent les mères à leurs garçons de quinze ans, pour qu’ils reposent le smartphone, entre autres objets du désir manipulables sans dessein mais non pas sans plaisir.
L’accueil ici est très personnalisé, parisien.
Dans la salle de lecture du cinquième, pas loin de ma table, une dame énervée par le flux visiblement trop fort de sa création, tapote le clavier de l’ordi avec une puissance et une vivacité qui forment une réelle nuisance sonore. Enveloppée d’une robe noire à gros points blancs, elle a posé à ses pieds une doudoune de fourrure synthétique rose pétillant – mais aucune de ces deux pièces ne la freine dans son élan. De ma place, décentré par son bruit, je devine des mots comme « pétition », « succès », 15000, et le titre d’un grand hebdomadaire national qui, au motif de résumer des programmes de la télévision, éclaire ses lecteurs de jugements pigmentés sur les sujets les plus graves, mais aussi les plus aimables.
La dame de l’ordinateur a renoncé à toute quiétude, elle s’abandonne à ses propres doigts sur le clavier. Pourtant, sur mon habituel bloc-notes format ordonnances ( mais tenter d’ordonner un récit est-ce autre chose que prescrire à soi-même ses drogues ou ses placebo ?) je tente de noter ce que la Mourre m’apprend, page 2029 / 2029 et la suite.

« FERRARE : Ville d’Italie, en Emilie, chef-lieu de la province de Ferrare(…) Elle occupe le site de la ville romaine antique de Forum alieni, et fut fondée vers v.450 par les habitants de la ville d’Aquiée, qui venait d’être détruite par les Huns ».
On ne peut plus jamais lire un article d’encyclopédie sans devoir résister aux spasmes de rire provoqués par le ton du texte. Une ville, dont nous ne savons rien, a été détruite, on ne sait comment, et il n’y a plus de mémoire de rien. On croirait l’un de mes rapports de mission, une caricature sur Mister Alzheimer croqué en plein travail, en plein effet de non-sens. En somme (une somme vite réduite à pas beaucoup, bien moins que le prix d’un ristretto place aux herbes) : du discours.
Je sais ce que c’est, le discours. J’en viens, j’en vis.
Pas de juifs, ni vélos?
Mon récit de Ferrare, qui est le récit d’un ou quelques jardins, pourrait-il enraciner ses ramures de printemps au milieu de cette terre infertile? Effondré par cette navrante métaphore (que seule la puissance de frappe de la voisine en noir peut excuser ?), je continue la Mourre : « Après avoir fait partie de l’exarchat de Ravenne elle posséda dès le XI ème s. une organisation communale et, du XIII au XVI eme s. appartint aux princes de la maison d’Este(v.) qui y( ah, le hiatus !) établirent leur résidence et en firent l’un des centres les plus brillants de la Renaissance littéraire et artistique.«
Ah, me dis-je, « l’Exarchat de Ravenne ». Bien sûr.


On doit imaginer, ici dans la médiathèque du quartier, fréquentée par des lycéens en salle de lecture et des vieux en sale des périodiques, tapi replet mais vivace, épais et à point comme un burger de chez Gourmet, imaginer un fort volume roboratif sur Ravenne, son Exarchat, ses chats. Nécessairement, le document existe, sinon à quoi bon 1234 mémoires soutenus chaque année ? Je renonce à tirer le fil, ce à quoi m’incitent pourtant les « v. »abrégeant « voir » et les « s. » raccourcissant les siècles.
Comme toute narration, la Mourre n’a d’autre finalité (secrète) que de renvoyer, sans cesse, à de l’inconnu au-delà du récit, de l’indicible en fond de court de la Parole. Je connais cela aussi, et c’est bien le piège, c’est bien le sens. Le narrateur spéculatif est non seulement alternatif, par ses double-sens, mais aussi allusif. Un narrateur abusif ?

Dans le silence studieux, que ne bouleversent pas les trop aigus verbiages de touristes affamés d’occidentalité (d’ailleurs effacés de nos images urbaines depuis) j’entends deux étudiantes, on se demande pourquoi elles prennent la place des Seniors alors qu’elles sont en vacances, et elles pouffent de rire à lire un texte dont le titre hélas est invisible d’ici, un truc sur des anchois, des villages ?… Dommage, ça aurait changé !
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Didier JOUAULT pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 49/99, Chapitre 16 – second milieu. Mister Alzheimer croqué en plein travail. On en finit avec ce chapitre 16, bientôt ( malgré le pim pam boum bug dyschronique, Fragment 50 sur 99, ce sera, on tiendra le bon bout, passée la mi-pente. Sauf surprise de noël ?