YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 59/99, Chapitre 19 – fin. Des touristes ébahis s’étonnent de me voir.

« Cimitero Ebraico » de FERRARE, fin d’été, seul. Silence froissé de soleil. Lumière où rayonnent des poussières levées par mon passage. Puis, dans le cœur de l’athanie déserte, même privée de murmures ou d’oiseaux, on songe à ces rites, aux questions pour lesquelles des bavards fuyards, auteurs de troubles et penseurs de rien, n’auront plus de réponse.
« Es tu resté longtemps face à la pierre ? » Demandera plus tard Cécile. « Etais-tu tout ce temps seul au milieu des Absents? » S’interrogera ensuite Sergi. « La kippa ne glissait-elle pas sur ton crâne de mécréant ? » S’inquiètera aussi Mark. Et même Edith et les filles. Cela suffit à mon plaisir triste.
Il y a beaucoup de gens à qui je n’écris plus de mels, ni n’expédie de photos. Tout près de soixante-dix ans, on écarte l’entre-deux des amitiés approximatives, des faux-semblants de socialité bégayante. Le vrai se fait rare, et c’est bien : plus de temps à perdre avec les arabesques artistiques sur les patinoires artificielles dressées pour noël sur la place de la mairie. On a compris: ça ne sert à rien d’apprendre des riens.
Le fond du petit sac à dos noir garde en réserve l’achat de ce matin : sandwiche « spécial festival », pas bon pas cher, comme si la pauvreté de mes origines devait, de temps en temps, et encore davantage dans le cimetière, et davantage près de la tombe de Bassani, se rappeler au présent confortable. Sur un banc dépeint, on déjeune de ce rien en songeant assez mollement aux espaces mêlés d’ici, comme confus, à ce jardin de Giorgio Bassani enclos dans le centre du cimetero ebraica à Ferrare. On pourrait bien avoir un peu somnolé. Mais personne pour dénoncer. Personne pour rien, d’ailleurs : désert, secret, lumière, poussière, feuillages , soleil. La vie, quoi. Ici, la vie ? Mode d’emploi ?
A la sortie, la vieille n’est plus là. Un quinquagénaire d’air assez «  empêché », bonnes œuvres de la communauté sans doute, désigne la corbeille de droite où reposer la kippa ( on voit alors qu’on n’a pas eu la plus belle), celle de gauche pour l’offrande. On laisse vingt euros, trois fois le coût de l’imbécile pique-nique sur le banc. On ne lésine pas avec le prix du passé. Si tu passes, tu paies, pas vrai, mon vieux Caron ?
Par détours en baïonnette qui fendrait l’uniforme poussiéreux de la ville, dont la place ARIOSTE qui porte les souvenirs du festival d’hier et se prépare à celui de ce soir, je rejoins cette longue artère stupide et bouillante qu’évoque souvent Bassani, le corso Giovecca. La ligne large coupe la ville en deux d’une manière brutalement radicale, c’est un étonnement que je revis et répète, un mur, deux villes. Comme si on lisait dans son plan même la duplicité de Ferrare, l’accueillante et la fasciste.
Longeant le bas muret qui sépare le château de la rue désormais nommée «  des martyrs », j’observe à nouveau les trois plaques – séparées de cinquante mètres- dont les noms gravés commémorent une tuerie fasciste. Discrets, à vingt centimètres du sol, fixés par des clous de bronze, portant un peu de fleurs usées, ces petits marbres n’attirent pas l’attention, diminués par l’arrogance du château tout proche. Je vous raconterai comment Bassani raconte ( travestit) cette nuit d’exécutions.


Dans le sac à dos porté sur l’épaule gauche, le volume des œuvres continue à vivre les plissures du temps et les humeurs de la marche. Accroupi à l’ombre, dos tourné à la rue, j’examine les trois plaques l’une après l’autre. Des touristes ébahis s’étonnent de me voir confrontant le passage retrouvé dans le texte de Bassani «  Une nuit de 43 » et ce qu’il subsiste des souvenirs en pierre. A mes yeux, ce texte porte toute l’œuvre de Bassani, c’en est la clé, parce qu’elle est tout entière – justement- mêlée de Vrai-Faux, et ne dit que l’impossible mémoire, l’impossibilité finale de la véracité d’une mémoire- son exigence, pourtant -la vérité fausse produite par le mensonge, mais vérité tout de même, vérité de l’homme solitaire, vérité de l’histoire publique. Cela aussi je le

raconte ici.

Je me lève trop rapidement, au milieu de la soif et de la faim en cette fin d’après-midi, l’éblouissement m’atteint, qu’on n’évite pas, et pour me retenir je tombe sur les genoux devant l’une des plaques. Un passant me photographie, comme si je confondais ce muret et le mur de Lamentations. L’image fera-t-elle le tour des réseaux ? La Une d’une éphémère revue numérique? On ne survit pas à ses images, encore moins aujourd’hui.

Mais je me relève. Comme toujours. Jusqu’à présent. Et ensuite ?


A l’office du tourisme, une charmante aux yeux très bleus affirme que mais si, bien sûr, on peut, et même moi, si habile à me perdre à tous les carrefours, même moi on peut trouver le chemin pour la maison de l’écrivain, même si elle ne figure pas dans la liste des « curiosités ». De dos, quand elle consulte les données, c’est un joli cou. Elle prétend aussi -erreur de jeunesse- aussi, elle prétend qu’il n’y a pas de jardin, allons donc, elle vient de vérifier, de jardin ni de secret, bien sûr, dans la maison de Giorgio Bassani.

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 59/99, Chapitre 19 – fin. Des touristes ébahis s’étonnent de me voir. A suivre. Après une pause …

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 58/99, Chapitre 19 – milieu. Comme un cercle au milieu d’un carré.

Dans les différents espaces du vaste « Cimitero Ebraico« , dont la vieille femme enfin m’a donné l’entrée, je marche au milieu de pyramides…

Ensuite, contournant une ligne de troncs anciens, survient une autre parcelle, plus petite, très occupée de tombes à formes diverses, cette fois, et lire les noms redevient possible. On aimerait que la gardienne réponde : chaque espace est-il dédié à l’une des «  synagogues », mentionnées en fonction des origines, l’Espagnole, l’Allemande ? A des époques diverses ? A des riches, des pauvres ?
Trois ou quatre parcelles, saturées ou vides, et l’on sent qu’on se nourrit de temps, justement parce qu’il est ici arrêté. A l’époque romantique, mais cela aurait été privé de sens, un poète fatigué aurait été représenté, en position du penseur, au bord d’une tombe, par un peintre délavé de soleil. 
Encore par surprise, apparaît soudain la tombe de Giorgio Bassani, isolée, séparée de l’entrée, mais comprise toutefois dans l’unité gravement sereine du lieu. Plus proche d’un mur séparant deux enclos, assombrie par des buissons ou des arbustes, la dalle horizontale est couverte de ces petites pierres qui marquent le souvenir et qu’on dépose après le kaddish. Perpendiculaire au sol, un bloc épais, massif, en métal, aux bords irréguliers bien que semblant un rectangle debout. Il porte un petit nombre de signes que je ne sais pas lire. Pas moins irréligieux que toujours, j’entends pourtant sourdre la voix psalmodiant la prière. Autour, on ressent l’oubli de beaucoup dont les noms s’effacent, et la piètre mégalomanie d’autres dont les sépultures sont d’inquiétants bâtiments douloureusement décorés pour l’absence de visites.
La tombe de Bassani est solitaire et dessine avec ce qui l’entoure comme un cercle au milieu d’un carré. Vingt mètres plus loin, disposées comme on s’y attend, beaucoup de tombes «  italiennes ». Je cherche des Finzi, des Contini, des Bassani. Parmi bien d’autres, fixées dans l’ombre-soleil d’un mur et protégées de vigne vierge, deux stèles verticales, anciennes, DEL RAG DARIO FINZI voisine avec MALVINA FINZI Ferr 2 ott 1842 Trieste 13 lug 1936.

Beaucoup de CONTINI. Au milieu de l’un des enclos, deux stèles verticales juxtaposées : ANGELO ENRICO BASSANI/ MEDIC CHIRURGICI 1885-1948 et DORA MINEBI/VED BASSANI 15.10.1893 -11.5.1987, les parents.
Je me souviens aussi du grand-père maternel, celui qui dirigeait l’hôpital de Ferrare, beau vieillard à cheveux emmêlés sur la photo, et je cherche en vain la sépulture. Casaere MINERTI.
Il y a toujours un absent à l’appel des morts, comme dirait Géo Josz, le héros de cette nouvelle de Bassani, où il revient d’entre les morts des camps. Je vous raconterai ça.
On envoie des photos en pièces jointes à Mark, Sergi, Cécile. Ils attendent pour répondre, à raison.
Dans un autre coin du cimetière composite, au terme d’une allée plus large, presque sombre car les arbres sont élevés, un édifice de pierre et de verre, on dirait XIXème, attire les pas.Le salon funéraire a été construit comme toute une partie ancienne du cimetière : en grand format, et en matériau de prix. La double porte coulissante est close, mais mal. Poussant sur le métal lourd (les rails au sol n’ont pas servi depuis longtemps ), on parvient à dégager l’interstice d’un passage.
L’intérieur, plutôt vétuste, garde son frais et sa dignité sous les traces de salpêtre. Au centre de l’athanie, le coutumier bloc de marbre, au format d’un carré long, une plaque épaisse, plus large en bas qu’en haut, noire. Au mur, en hauteur, séparées de deux ou trois mètres, dominant la table, des plaques rectangulaires sombres, très allongées, la première est illisible et je n’ose m’approcher, mais à déchiffrer les deux suivantes ( ou les deux premières si on lit, logiquement, de droite à gauche ?) on devine : DIO DA MORTE E VIVA / POLVERE SEI E POLVERE TORNERAI.
Pour Giorgio Bassani, la Hevra Kaddisha de Ferrare a-t-elle respecté le rituel dans sa rigueur, presque son archaïsme, offert au défunt la Tahara purificatrice par le bain rituel, et déposé au milieu de la table son dernier corps connu? Son fils aurait-il été le seul à pouvoir le toucher après sa mort pour fermer la bouche et les yeux, autrement dit, en obéissant à la tradition religieuse, accomplir ces gestes que Bassani refusa : fermer le regard et la parole sur la vérité d’une certaine Italie fasciste ?


Le corps a-t-il été, après qu’on l’eut déshabillé – uniquement recouvert du blanc linceul prescrit, mains ouvertes, paumes vers l’Eternel, bras étendus alors que souvent les chrétiens croisent les mains sur le ventre des morts? Puis posé au fond du cercueil sur une couche épaisse de paille, pour favoriser les ultimes recueillements, sans avoir passé par la synagogue  depuis la mort ?

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Didier jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 58/99, Chapitre 19 – milieu. Comme un cercle au milieu d’un carré. A suivre …

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 57/99, Chapitre 19 – début. Une rêverie d’époque sur le concept de portail.

Chapitre 19

E POLVERE TORNERAI


Longeant un long mur à droite et de menues villas bien fermées sur la gauche on parvient face à un double portail de métal, haut, gris : c’est loin, austère, froid dans la chaleur, très inhospitalier par ses dimensions et son allure, et ça ne s’ouvre jamais. Cimetiero ebraico. L’impression, quasi-malaise, du premier passage -il y a seulement deux mois- se répète, provoque une émotion du regard et une bousculade de mémoire, une cataracte muette et intime. On peut s’immobiliser de stupéfaction, observer longtemps, mais l’image se maintient, pas de mirage. Interdit, effaré, on pense que le double portail métallique impose comme la forme insupportable d’une entrée de Lager. Non pas qu’il ressemble à un camp, mais qu’il produit la même terreur, une même clôture absente de tout au-delà.

Ce n’est pas un cimetière aussi bien élevé qu’on souhaiterait.

Sans doute en raison d’une rêverie d’époque sur le concept même de portail ?



Métal, angles de fer forgé dessinant presque un faisceau, caractère en hébreu (heureusement!) espagnol, romain. Au faîte, une importante étoile de David restitue à temps le sens. Les boucles du chemin progressent, en cercles recoupés, avec lenteur, vers le but de tous : une tombe, des cendres, et moi je suis là. Et la porte du camp est close. Pas de quoi se marrer, Joseph !

Je ne comprends pas comment la communauté des survivants n’a pas détruit cette porte, dès 1945.
C’est fermé, le cimetière juif, comme ça l’était lors de mon premier passage à Ferrare.

Mais je suis ici pour insister sur l’ouverture de ce qui est encore fermé, non ? Symboliquement, intimement, réellement : ré-ouvrir la mémoire.

Au bout du long mur de droite, perpendiculaire au portail, une petite porte de fer et bois, un peu délabrés, vitre dépolie protégée de barreaux, quasi impossible à découvrir. La sonnette, à l’ancienne, coupelles de cuivre et tire-cloche en bouton, doit tinter plusieurs fois. Mais on entend qu’on vient, derrière, on progresse avec peine. Une vieille dame ouvre, canne en mains. Le petit vestibule conduit au fond sur ce qui doit être un micro logement de fonction, selon les odeurs de cuisine. A gauche, dès l’entrée, les premières sépultures s’aperçoivent derrière l’arche ouverte.


Dans un italien de Grands Boulevards, on demande Giorgio Bassani. La gardienne de la porte se choque un peu, et se moque sans doute : ici, ce n’est pas la maison de Giorgio Bassani, ni son jardin, mais sa dernière demeure seulement, et les enclos multiples du cimitero ebraico, juxtaposés comme des pavés noir et blanc sur le sol d’un temple de Salomon. Elle sourirait de ce qu’elle croît une confusion, si on n’était dans un vestibule de cimetière, d’ailleurs frais et ombreux. Qu’on s’intéresse à Bassani la retient cependant. Elle voudrait savoir pourquoi, comment, depuis quand, mais le dialogue est sinueux, elle parle comme un torrent de Sardaigne, écume et rocaille, on n’a pas la même langue. Sur un énorme registre déjà très vieux. Il faut indiquer son nom, la date, son pays, le statut du visiteur s’il n’est ni famille ni rabbin, donc sans motif légitime. On s’inscrit à la suite d’une Canadienne, d’un Belge, d’une Australienne, deux amies néo-zélandaises dont les passages sont séparés de plusieurs jours. A peine dix au cours de ce mois d’août presqu’achevé. Tous ont des métiers de science et de culture, évoquent leur thèse, leur recherche. Qu’écrire dans la colonne des «  travaux » quand on n’est plus sur le chantier ? « Excusé » ? Clandestin bénévole ? Randonneur égaré sur les pistes d’un jardin ?
La vieille indique le chemin, avec une précision suffisante pour qu’on retienne la direction sans comprendre le lieu précis, comme à chaque fois. Avant qu’on parte, elle dépose sur le haut du crâne la kippa nécessaire au respect de tous. Les épingles grippent mal sur les cheveux très courts, gris. En mémoire, l’image du cimetière juif de Prague, son étroitesse si dense, le désordre donné à voir.

A Ferrare, on progresse vers une succession d’espaces immenses, préparés mais aussi séparés par des allées larges, bordées de sépultures, c’est banal, mais on arrive soudain à une espèce de pré en herbe, entouré de hauts arbres ou de buissons et au milieu quelques très rares stèles éparpillées à la verticale, sans plaque. Ailleurs, de nouveau très serrées l’une contre l’autre, dans une sorte d’enclos au milieu de l’enclos – toujours les cercles dans les cercles- les tombes sont formées, ou surmontées, d’étroites pyramides très effilées, sur lesquelles- usure et soleil- des caractères hébreux sont devenus presqu’illisibles.

L’endroit semble comme prêt pour un avenir désormais éteint en même temps que les lumières sur les camps de l’est,

comme horriblement surdimensionné.

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 57/99, Chapitre 19 – début. Une rêverie d’époque sur le concept de portail. A suivre …

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 56/99, Chapitre 18 – fin. Comme un parc de loisirs longtemps méprisé.

Dans la paume de Ferrare je croyais avoir découvert une ligne de vie pour la maison de Bassani, mais non. Le premier carrefour abolit le destin. Forte impression de « déjà vu », déjà fait. Répétition. Maintenant : plein désert en pleine ville. Alice dans les villes, mais sans Alice ( qu’on retrouvera- comme il se doit -on s’en doute- en toute fin de ce récit de Ferrare, ou de ce récif de Ferrare , Bassani en sirène assis nu mais pagné avec sa pipe sur un rocher ?)

Je m’en veux de mes aveuglements et m’injurie en silence.

Pâtir, passe encore, mais râler, à cet age.
J’interroge une passante. D’habitude avec les passantes, j’hésite, ou c’est par jeu : j’interroge les plus âgées que moi. La cible se réduit, d’ailleurs. Celle-ci, mon air inquiet l’inquiète autant que la sueur qui assombrit la chemise, ou la rougeur de mon visage- trop de soleil. Elle se trouble, ne sait plus, n’a jamais su d’ailleurs, ne veut pas savoir, n’en veut plus du savoir, n’en peut plus de croire savoir – comme tout le monde. Et puis quoi, je suis de la police secrète ?

De la société des auteurs de Médiapart? Des services sociaux ? Un journaliste tennistique attardé ?

Je hèle un cycliste, il accélère : qu’allais-je demander ?
Debout, étrange sur mon carrefour étranger, je me résigne à l’idée que Giorgio s’est effacé, largement effondré le Bassani, raturé de sa ruelle, viré de sa casa, biffé le prof., une fois encore dévalué, expulsé, déporté, quelle abomination que cette idée jamais morte, et moi sorti de mon attente comme d’un confessionnal (si ce mot porte encore une image) inhabité : le curé est au festival.
Pas loin, si je traverse « La Mura », passe-muraille pour rire, je peux aller visiter le «  Parc Bassani », un parc, un vrai, clôtures métalliques et plantations anémiques, pas un jardinet miteux planqué derrière le mur jaune de la prétendue (ou imaginée) maison de Giorgio Bassani, et des strings de dentelle noire ou des culottes blanches Petit Bateau déposés là-sur un banc moussu- par des visiteurs passés, pas si pressés ( on se sépare avec regret des souvenirs ), dans une intention qu’on espère louable : offrandes au Maître de Ferrare : dis-donc, Giorgio, c’est où chez toi ?
Le parc, moderne, plantations sages de hêtres et de buissons, enchaînements banals de pelouses arrosées ou de bancs de bois peint, a été conçu à la sortie de la ville, mais «  hors les murs », dans ce no man’s land où devaient se trouver des usines, des entrepôts, une gare de triage, une garnison peut-être, de ces graves édifices gravement écrabouillés, dès 43, par les Alliés libérateurs.Ensuite, en 50, c’était trop coûteux, ou bien le projet n’avait plus de sens. On n’avait jamais vu ici que des murs fragiles et des tôles sans avenirs, on n’allait pas investir les dollars US pour bâtir du si provisoire. Ce fut donc, après passage de tout ce que la région comptait de ferrailleurs, ou de marchands de surplus, ou de promoteurs déboutés, un parc. Il faillit s’appeler Staline, Italie 50, mais la conception tardait, Staline c’était moins qu’auparavant le petit père du peuple. Lénine, évoqué, c’était quand même too much, et qui plus est embaumé. Trotski n’allait pas revenir avec son piolet transformé en binette, de plus le PCI tournait vinaigre. Un jour, bien plus tard, ce qui était longtemps resté l’anonyme «  Jardin municipal du nord », après les succès de librairie, fut baptisé « Parco urbano G. Bassani », même un nul en Italien comprend de quoi on parle : de l’urbain Bassani.
Le parc est accessible par un étroit terre-plein qui conduit à la gare ferroviaire. Mais c’est encore trop tôt pour le dernier départ…
Ensuite, la promenade déçoit. Les lignes du parc sont trop nettes, les étangs furent tracés à la mesure d’un envol de canard domestiques. Même les corbeilles à papier sont en bon état, c’est dire la deshérence. Je pense à des lycéens occupés à jouer ou traîner dans le parc, y mettre un peu d’heureux désordre avec des odeurs de sueurs ou de fumettes. Mais les congés de l’été ont vidé l’espace. On dirait que ce parc nommé Bassani a été conçu comme un leurre, un faux-semblant de parade, dont la fonction serait de détourner le regard, l’attention, la recherche, faisant oublier qu’il existe dans les rides vives de la ville un authentique jardin de Bassani, secret, lui, caché aux dévoilements rapides. Comme un parc de loisirs que les forains auraient beaucoup méprisé. Un jardin Potemkine.
Traversant à nouveau à travers la muraille, par la Porta degli Angeli – douane ancienne de belles briques roses, également fermée au public désormais, s’agrégeant ainsi à la liste des fantômes inévitables, je parcours à grands pas le corso vers l’affreux Château ducal. Pour une fois deux impasses successives, j’enfile la Via Certosa, plus étroite, soudain mise en ombre par de très hauts platanes. On parvient en face du Cimitero della Certosa et les arcades célèbres, au centre l’église San Cristoforo alla Certosa, le parfait alignement des murs et bâtiments affiche le triomphe à présent paisible des catholiques toujours très proprets et bien rangés dans leurs tombeaux à fleurs de plastique et couronnes de fausses perles.
C’est ici la très vaste surface du cimetière, qui doit occuper ( à vue de plan) plus d’un huitième de la surface totale « Dentro la Mura » de Ferrare. Les constructions de cet immense domaine sont fameuses partout. Le mélange trompeur et malin de briques rousses et de pierres encore blanc-gris a marqué plus d’un œil. On admire les murs ou les volutes reproduits dans tous le guides. Joli travail, notes prises, notices rédigées. J’en épargne le texte à ceux de l’Agence, ils n’ont pas encore digéré la notice « BurgerGourmet » ( ou « GourmetBurger »? Je ne sais déjà plus ), d’il y a quelques épisodes.


Après un détour je m’engage dans la modeste Via delle Vigne, découverte non sans difficulté car son étroitesse minuscule la préserve, pourrait écarter le marcheur de ce qui semble l’inutile fond d’une impasse morte.(Le décasyllabe : un archaïsme ?) Même si, après tout, pour un mécréant de ma trempe, tout cimetière est une impasse tracée sur du vide.

Vide, lui aussi, le jardin dans la maison de Bassani?

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 56/99, Chapitre 18 – fin. Comme un parc de loisirs longtemps méprisé. A suivre….

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Chapitre 18 Milieu retrouvé

YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 55/99, Chapitre 18 – milieu. Je me verrais tout à fait sautant sur place.

Dans le vieux Ferrare, celui des touristes et des vrais habitants, qui fut celui des Juifs accueillis par la famille d’Este, en ce matin de Festival, il y a peu de monde aux terrasses : ça cuve son Prosecco. Passant rue Mazzini, je photographie les plaques-souvenir sur la façade de la synagogue, dans une lumière en train de grandir ; des passants de nouveau me regardent, s’étonnent, tentent de comprendre mon intérêt pour ces portes et fenêtres closes, les murs fatigués, qu’on dirait abandonnés, ou des plaques désuètes.

Une famille très scandinave survient, couple et trois enfants, tout le monde à vélo, sac à dos, en fuseau, des oiseaux, sacs à peau. Le père stoppe, regarde ce que je photographie, comprend, appelle sa bande, montre l’étoile de David au linteau, entreprend une explication, me regarde comme si j’étais une espèce de bienfaiteur personnel de sa descendance, grâce à moi préservée du déni, pour avoir montré ce qui menace de ne plus être vu.

L’Alzheimer social pose de l’ombre mortelle sur les lumières de l’Histoire. A Ferrare, très vite, on ne voit plus rien du passé à peine passé, voila ce que raconte aussi l’œuvre de Bassani. Qui s’aperçoit encore dans le miroir de l’Histoire habillée de fiction?

Les Juniors de l’Agence, soudain, me bombardent de rappels : on attend ma notice sur les restaurants, mais ne l’ai je pas déjà envoyée?
Au Palais Diamanti, plusieurs des salles sont en cours de restauration. Ferrare semble assise dans son séisme, comme en état de choc permanent, une cycliste dopée tombée dans une descente, encore un peu hagarde, au centre d’une auréole de plâtras, incertaine surtout de ce qu’il faudrait commencer à faire pour réparer. Si jamais on peut encore réparer. Quoi que ce soit. Ici ou ailleurs. Mais oui, on peut. C’est ce qu’on fait. Repérer. Espérer qu’on repère et répare.
Bassani évoque, par endroits, les destructions bien plus lourdes pendant la guerre, et comment toutefois les fantômes des fascistes retrouvaient, eux, la puissante présence de nuire –loin de toute réparation. Rien de tel : depuis, Ferrare est devenue cette ville du festival des musiques de rue, exaltant ainsi sa détresse même pas cachée, celle d’une vieille qui refuserait d’exhiber sa peau désormais trop large sur les muscles amoindris. Si j’aime Ferrare, c’est qu’elle ressemble à nos vies banales d’hommes ordinaires (et quelle arrogance de se croire autre chose qu’ordinaire) : elle a aidé, elle a menti, elle a gagné, elle a trahi, elle a aimé et puis encore abandonné, tout ça n’empêche pas de vivre.

Et de rouler en short à vélo, sur les pavés arrondis.
Sur le plan de Ferrare je note parcours et projets, même si, à mon âge, le second mot semble au bord de l’imprudence ( ou des impertinences) et au cœur des impatiences. Je circule dans la vie et dans la ville comme sur un à-pic d’une falaise, mais la marée n’apporte plus que les échos lointains des chalutiers disparus hier, ou les éclats passés de phares tournant à vide. Pas la moindre nostalgie dans tout cela, non, vraiment, pas l’élémentaire tristesse d’un départ, non rien que l’habituation paisible au mouvement de vivre, puisqu’il trace la certitude de sa propre fin.

Et, ajouterait Spinoza dans un chapitre demeuré fameux, mais rarement cité, on se demande pourquoi, si les hommes âgés (car il parle peu des femmes qu’il aimait peu) sont à l’origine de projets, ce n’est pas dans le dessein de les réaliser (souvent c’est trop lourd, épais, visqueux, trop privé de couleurs), mais seulement pour le bonheur cru étant projet, car le projet – dans l’immédiateté de sa formulation présente – convoque la possibilité (l’évidence?) d’un avenir malléable. Et toc. Avouons que, pour lui, se mettre a écrire à cet age fut assez brumeux.
Ricanant ainsi et en silence de formules que j’expédie parfois vers la mémoire de l’IPhone, je découvre au coin d’une rue la superposition de quatre ou cinq panneaux indiquant diverses curiosités ou splendeurs mondiales dont je n’ai strictement que faire, mais l’une des flèches – superbe hasard- livre ces mots : «  Maison de Giorgio Bassani ». On regrette, à mon âge, d’avoir choisi les mots, pas des dessins : sinon, je me verrais tout à fait sautant sur place, de maigres spirales sous les pieds, corps à demi courbé, menton en avant : Tintin découvrant le sabre du Lotus bleu, Tournesol dans la danse de sa furie, Rastapopoulos derrière un palmier, sale mec pour les temps et les temps des lectures et relectures, les cigares sans pharaon.
Je ne voulais pas renoncer au jardin et à son banc, aujourd’hui rien ne permettait d’anticiper sur un parcours enfin utile et, voici, hasard, croisement, on ne sait quoi : le panneau. Lui-même. Simple. Evident. Sur la plaque d’émail en partie éclaté de rouille ancienne, un récent amoureux salace et rigolard ( car une amoureuse ne le serait pas ? Ou est-ce une illusion de genre ?), pendant la nuit sans doute, rêvant en revenant de chez elle (de chez lui ?), rêvant et reconnaissant, ajouta au feutre épais et noir deux indications précises et obscènes : ==>‘casa de Elvira’ souligné d’un ovale fendu entouré de traits noirs divergents, illustration qui laisse peu de doute (ou d’imagination) quant à la nature de l’objet (ou du sujet?). Et l’autre signe, indiquant la direction inverse, contient (en plus petit) l’information ==>‘casa d’Alberto’ inscrite au sein d’une figuration phallique ma foi de belle tenue et d’intéressantes dimensions – à supposer que (contrairement à son habitude) le désir n’ait pas amplifié les apparences du réel.
De véritables flèches indicatrices sont variablement lisibles, en partie cachées par des lierres ou des ronces qui les grignotent, de guingois, comme désespérées d’apporter une information précise. L’une paraît fléchir vers les pavés ronds et l’autre s’étirer vers les nuages – du reste absents du ciel depuis un mois, sauf orages. Je suis l’indication, espérant, mais au carrefour suivant, plus rien qui concerne la maison ou le jardin ( ou même le banc, ou l’ombre, ou le chat gris, ou la trace des fuites d’huile de la FIAT, ou la cendre de pipe) de l’amico Giorgio. Répétition lassante de l’échec. Impression de déjà vu, déjà fait.

Déjà cru trouver, déjà aussitôt perdu. Répétition. Réédition. Malversation : à Ferrare, les panneaux trichent à chaque carrefour. C’est assez comme la vie et voila pourquoi on aime vivre dans

la ville.

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 55/99, Chapitre 18 – milieu. Je me verrais tout à fait sautant sur place.

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Chapitre 18 retrouvé 1

YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 54/99, Chapitre 18 – début. C’est encore trop tôt pour le dernier départ.

C’est encore trop tôt pour le dernier départ

C’est toujours un peu étrange de s’éveiller ainsi : nu et seul dans un lit, encore davantage celui de Silvia. Je ne suis pas certain d’aimer cela, tous ces matins en BnB silencieux dans les lits muets de ces femmes exilées de leur propre intimité. Il faut attendre plusieurs minutes, encore, que le mouvement de la lumière derrière les volets, peut-être, reconstruise le monde à la mesure d’une justesse nouvelle, que l’effacement de raideurs matinales permette la mobilité, que dans la nuit soient rentrés chez eux les fantômes en tongs mous et Bermudas mouillés de bière ou d’urines, les squelettes à vélo sans selle ( car à quoi bon une selle ?) squelettes bien planqués au chaud dans les fesses rondes des filles, cette image fait sourire.

( Sauf les Juniors de mon Agence, hypocrites comme on l’est à cet age des ambitions, des multiplications avez zéro sur le bout de la langue, des masques sans rétention).     


En écartant le double volet que des plantes retiennent un peu, je m’aperçois que je suis resté nu, sans intention, sans malice, réellement par inadvertance (car je ne connais pour moi pas la moindre pudeur du corps, jamais, peu importe qu’on me voie,) mais je crains de choquer, bien que le jardin rose, vu depuis la chambre du premier, soit vide même de ses chattes. Je ne parle jamais de mes blessures intimes, restées secrètes et je souffrirais qu’on les connût. Et qu’on surprenne ma nudité m’indiffère : mes chairs ressemblent à toutes, en plus vieux que les statues des jardins hellènes…
Mais je perçois bien que l’époque est à la restriction, côté nu pile et face.

Sur les plages de Quiberon les jeunes mères du XVIème ont rangé leurs poitrines, parce qu’on mélange respect de chacun et pudibonderie, qui est l’irrespect du naturel ? « Non, Mon grand, mon Michel ? »

« Oh là là, beaucoup trop vaste débat pour nos têtes d’Anciens », écrirait le vieux Sergi. Controverse (d’ailleurs inaudible en son temps) sur laquelle Foucault ( visionnaire, surtout de nuit ) refusa de s’engager, lors du célèbre dîner avec Roland et le jeune Hervé ( Jean-Marie s’était fait excuser, une mauvaise passe), au chinois de la rue des écoles, « chez Oncle Oh ! » ( le propriétaire détestait le Vietnam), je cite ( selon des sources informées) : «  Mon chériaffirme Foucault en finissant le saké, si tu te dis que tu aimes ton cul, tu passes pour un nœud, et si tu dis que tu n’aimes pas les nœuds, tu passes pour un faux-cul, donc le mieux est de se tairemon petit Hervé.Il va de soi que je n’aime pas cette sorte de vulgarité feinte, je ne répète ces horreurs que par un sens pur du devoir. 

Le boulot de l’Agence : faire-part du vivant.
A Ferrare, ce matin, si je restais, à m’émouvoir du soleil posé sur la chair, et que Silvia m’observât sans se montrer, d’un recoin de sa terrasse au deuxième, qui de nous aurait tort ? Elle, de me regarder? Moi, de ne pas couvrir ? A qui montre-t-on qu’on se montre, s’expose ? Et ici-même ?
En bas, dans la petite cuisine, le café est fort, épais, un bol plein, car la nuit a cette fois encore été courte, et c’est bien, je n’aime pas m’endormir. Parce que j’ai ouvert la porte fenêtre pour mieux aspirer l’odeur vieillie de chèvrefeuille et de jasmin, j’ai passé un short blanc, une trop large chemise rose et vert. Le Doliprane rouge et jaune flotte sur le café. Multicolore matinal.

Les chattes ont un peu montré ( à qui ?) le museau, posé leurs coussinets sur la table rose, pris la juste distance : le jour va être simple comme une fable.  

Deuxième bol en main, je m’assieds sur la petite chaise noire, dans le silence à peine parfois traversé de très lointains bruits venant des rues proches. Mais il ne passe pas de voitures dans le vieux quartier, l’ancien ghetto, on vit Ferrare à pied – ou à bicyclette. J’aime l’expression «  déplier les mèls » qu’utilise Sergi devant les lignes d’Outlook encombrant son écran. Le plus vite possible, je donne aux affaires du matin (ou de la nuit) le peu d’importance qu’elles méritent dans le soleil déjà renforcé. Au milieu de cet indispensable mais encombrant fatras, bonheurs des clins d’œil d’Edith et les filles, des saluts de Cécile, Mark, Sergi.
Depuis le jardin, je ne vois personne sur la terrasse de Silvia. Cette femme est une présence qui s’absente.

Dès que j’ai quitté la rue Belfiore, la via Saraceno apporte les sons et les mouvements comme si j’avais soudain rebranché la machine à surprendre les crissements de l’existence. A présent, les itinéraires sont inscrits dans mes jambes comme les pas du berger sur la pente, ou les rêves d’un Homme qui dort.

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 54/99, Chapitre 18 – début. C’est encore trop tôt pour le dernier départ. A suivre…

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Rappel de cet incident du 2020 (c’est loin ?) YDIT-blog : PIM PAM BOUM : BUG ! La chronologie a subi l’assaut – d’un bug? d’une maladresse? d’un virus …informatique ?

Quoi qu’il en soit, le deux premiers « épisodes  » du chapitre 18 ( qui en comporte trois) ont été programmés pour être postés les 06, 10 ET 13 … JANVIER 2021.

Mais l’un d’entre eux – mise en page finalisée- a paru mi décembre et l’autre- encore simple texte sans images – de même : apparitions prématurées sur la chaîne temporelle ( déjà pas si facile, n’est-ce-pas ?!..)

Mystère et magie : les deux sont apparus en ligne, dès le 10 décembre, sur les sites habituels, l’un ( chap 18 début) dans sa mise en page prévue, le second ( chap 18 milieu) sous la forme du texte seul…

Nous sommes tous dans un contexte temporel et confiné qui perturbe souvent assez en profondeur notre perception du réel, mais pas au point de meli-mêler l’uchronie et la cacophonie.

Donc, après avoir protesté ( trop tard et en vain) auprès de WordPress, la rédaction vous présente des excuses.

Pour ne pas compléter la confusion par de l’absurdité, la rédaction unanime a décidé de ne pas modifier la programmation en cours : suite (et fin) du chapitre 16 ( 12 et 15 XII), puis ( logique infaillible !) chapitre 17, trois épisodes, entre le 23 et le 29 XII.
Ensuite, si on s’y retrouve, on verra. Peut-être le dernier chapitre, pour s’amuser encore un peu davantage avec la Chrono?

A bientôt- si Bug le veut...

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Ydit-dit : Pour un probablement utile rappel du « projet » Le Jardin de Giorgio Bassani

À force d’évoquer l’errance dans FERRARE, les déambulations joyeuses et les découvertes de tous les labyrinthes – et de raconter ma joie d’y être venu par hasard de voyage et revenu par passion de comprendre, j’ai voulu redonner la source:

« .La FERRARE d’Hercule Ier devenant une vraie capitale, quittait définitivement le moyen âge. Le duc voulait que de nombreuses familles viennent s’y installer.Il accueillit, l’année même du début du grand chantier de la ville, en 1492, une vingtaine de familles juives expulsées d »Espagne par les rois catholiques . Puis, le 20 novembre 1492 fut un grand jour. Hercule Ier d’Este invita officiellement ces Juifs fuyant l’Inquisition à s’installer dans la ville et à exercer leurs métiers d’artisans, de commerçants, de médecins ou encore de prêteurs. Ils s’intégrèrent pleinement à la vie sociale et favorisèrent la croissance économique de FERRARE à travers leurs activités et les relations qu’ils entretenaient à travers l’Europe .En 1524, les familles juives furent reconnues comme formant une communauté à part entioère alors que les autres villes d’Italie les consignaient dans des quartiers fermés, comme à Venise qui construisit son ghetto dès 1516. (…) Ferrare fit figure d’exception pour l’accueil des Juifs à la Renaissance, car lesEste leur octroyèrent une complète liberté et les mêmes droits que les autres habitants de la ville (…).Les Juifs séfarades, venus d’Espagne et du Portugal, et les ashkénazes venus d’Allemagne s’ajoutant aux familles qui vivaient déjà dans la vile, une synagogue fuit construite dans une maison de la rue Mazzini(…) et les différentes branches du judaïsme pouvaient pratiquer leur culte librement dans un immeuble comportant trois oratoires.(…)Grâce à une forte émancipation intellectuelle sous le mécénat des ESTE, la communauté juive ne disparut jamais malgré le pouvoir jésuite qui s’installa fortement au milieu du XVIème siècle, avec la prise de la ville par le pape… (Note YDIT: vaincue dans une lutte de pouvoir où les Borgia triomphent, la famille d’Este a été bannie, dépossédée, et certains membres excommuniés)…Le pape créa aussitôt le ghetto de FERRARE en 1627. « (Julie Chaizemartion, ‘ FERRARE Joyau de la Renaissance italienne « Berg International éditeurs, 2012 )

Par la suite, le passage de Bonaparte, puis la création de l’unité italienne permirent à cette riche communauté, enfermée mais très active, de retrouver une place qui marque aujourd’hui encorné très fortement la réalité comme la mémoire de Ferrare. Les « lois raciales « fascisés (1938) mais bien davantage encore la prise en mains directe du pouvoir par les nazis ( République de Salo, 42-44) détruisirent une part majeure de cette communauté intégrée, active, productive depuis plusieurs siècles.

Voyageur un peu guidé par de très lointains souvenirs de lecture ( Giorgio Bassani), j’ai découvert l’incroyable ouverture de l’accueil en 1492, et la fertile vitalité d’une communauté mieux ( ou au moins depuis plus longtemps) intégrée que partout. Aussi, j’ai voulu revenir, pour explorer les ruelles de cette mémoire, pour caresser les ombres, pour entendre ce qu’il reste de l’écho des chants. De toutes part, j’ai arpenté le souvenir et le présent de FERRARE, en cherchant à pénétrer ce qui était devenu un jeu et un but : le jardin de Bassani. Au retour cela devint un roman. Il n’a pas été publié. Les 99 épisodes en cours sont la réécriture, textuelle et visuelle, de cette émouvante errance.

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Ydit-suit : matin de pause

« Les Italiens ont un rapport moins compliqué que nous avec le passé. Ils opposent à l’art leur décontraction, cet environnement fait partie de leur vie quotidienne. En France, un espace comme le Palais Ducal aurait été, depuis longtemps, mis sous cloche et sanctuarisé, alors qu’ici, les administrations s’installent volontiers dans les édifices anciens. Une manière de leur garder un principe de vie. »

Jean-Paul KAUFFMANN, « Venise à double tour« , Folio, 2020, P.212

« Les juifs de Ferrare entretenaient un rapport confiant avec leur passé dans la ville. Ils n’ont pas pris au sérieux les lois raciales, pensant que les fascistes n’étaient pas identiques aux nazis. Puis les nazis ont gouverné à Ferrare ».

Giorgio BASSANI, « Entretiens inédits et qui doivent le rester« , archives de Silvia.

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Didier Jouault pour YDIT-suit , matin de PAUSE

2021 : Que tout aille mieux !

2021 : Que tout aille mieux !

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