YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 64/99, Chapitre 20 – Fin. Des circonférences concentriques dont les centres sont partout.

J’expliquais pour la loueuse/vendeuse immobilière visiblement pressée : « Une île, c’est ce que fût jadis Ferrare, dans les bras du Pô, avant que fussent comblés pour l’agrandir ses enceintes liquides, et à présent Ferrare a pour bras une muraille, voilà pourquoi j’aime cette ville, voyez-vous, je ne le répéterai jamais assez, pour les métamorphoses secrètes en profondeur et visibles en surface, oui, en effet, Madame, vous avez à faire, oui, votre temps d’agent immobilier compte double, donc cette maison que je cherche ce peut être davantage à l’est, vers la fin de Coperta ou Palmeri, mais pas de l’autre côté, pas vers la maison de l’Arioste, beaucoup trop loin, vers Piazza Compronti, beaucoup trop de touristes, je déteste partager les terrasses, un duplex, oui, au moins dans un duplex on a l’impression d’être sur un Transatlantique fin des années Trente pour l’exil, intellectuel exfiltré, poète exilé, future graine du monde, Levi-Strauss et déjà star usagée, Breton en bretelles et bandonéon, on voit l’image ?…Un duplex, oui, très bien , vous n’avez rien rue Belfiori ? « 
Je perçus à l’énoncé des rues, presque toutes dans l’ancien ghetto, une certaine gêne que n’exprima cependant pas la femme de l’agence chic.
« Très bien », dit la vendeuse d’espaces, impassible, « on va vous trouver ça très vite, ça bouge beaucoup les gens ici, on arrive par coup-de-foudre au soleil et on repart dès les brumes infinies sur la ville, on va trouver vite, et surtout si vous n’êtes pas limité, enfin pas trop, par les prix ? » Elle s’était vite reprise, à présent il fallait qu’elle sorte, son client attendait, via Arianuova, joli quartier sans doute un peu cher, mais elle allait trouver, qu’on revienne…
Il faisait encore très chaud, et même moi, avec tout mon bagage d’errances calmes et de passé léger de méhariste de l’intérieur, j’aurais éprouvé des difficultés à marcher au milieu de mes rues. Pas loin ( mais tout est « pas loin » à Ferrare), c’était le jardin Massari, qu’on nomme ici Parc, surtout parce qu’il borde le Padiglione d’Arte Contemporanea, dont l’entrée est fermée par une belle grille, belle mais fermée, tout ça fermé tout court, sans qu’on sache aucunement si l’Arte Contemporanea sera de nouveau accessible un jour, travaux terminés ( à supposer qu’on ait même entrepris d’esquisser un plan de travaux), ce dont Ferrare doute, mais la ville est cela : des circonférences concentriques dont les centres sont partout, un vrai pari pour s’y retrouver, à croire qu’on accepte le dialogue avec une forme du vide. Mais ce qui séduit les marcheurs, ici, et repousse les impatients, c’est cela.


A en croire de bons auteurs, qui sont toujours de bons lecteurs, on n’est jamais mieux que dans un jardin ombragé pour lire – ou marivauder. Dans le mini sac d’épaule noir, j’ai depuis le début le volume intitulé « Les lunettes d’or », emprunté à la médiathèque. Celui-là, je ne le vous raconterai pas.


Au fond, me disais-je en cherchant un banc sol-y-sombre, faute d’amie légère qui m’aurait légèrement attendu pour la lecture, faute d’un canapé tout près ( mais comment oser imaginer un AUTRE canapé que celui dans le BnB de Silva ?)

faute d’un meilleur ailleurs, après tout, relire la nouvelle ne serait pas un luxe. En tout cas ce serait mieux que au de bavarder avec personne en se limitant à faire de Giorgio Bassani une sorte d’involontaire personnage supplémentaire du « Roman de Ferrare », tout comme il fit très délibérément, bien qu’osant affirmer le contraire, de Ferrare un personnage vivant de roman, pas un décor : un personnage.Vivant. Vibrant. Riant. Vrillant. Triant.Truqueur, sauveur, tueur.

La vie, quoi : blanche et noire mais ni blanche ou noire.


Un banc, du soleil. Mais je n’avais rien déjeuné, sauf d’un petit pain gris de céréales acheté en passant, et d’une banane qui provenait du fruiter posé sur la table du jardin rose rue Belfiori. Un peu de faim répond à la torpeur et clarifie la lecture. Encore un aphorisme glissé par Le Vieux dans l’oreille de Mme du Deffand. Valeurs du jeûne. Avec modération.
Comme souvent, et j’en resterai impardonnable même à l’état de fantôme hantant les médiathèques, les couloirs d’université, se combinaient sans se mêler un désir de lire, et la paresse de le faire. J’aurais beaucoup aimé, comme dans les bonnes sociétés de jadis, ou dans un film avec MIOU MIOU, qu’on mît à ma disposition une lectrice,

de préférence lui ressemblant, et que sa voix fût pleine de fruits et de fleurs, mais on ne vendait que des liseuses, en plastique. Rien à vivre avec du plastique.
Il n’aurait pas été indispensable, car je ne suis pas exigeant, que ma lectrice connût les astuces des comédiennes, les roueries des filles galantes, les méandres des esprits simples, ni qu’elle eût été vêtue d’un aimable short blanc brodé d’une croix pattée rouge, encore que cette dernière vision, une chevalière du Temple qui apporte le vrai-savoir en petite tenue ne fût pas du genre (et je le confesserai) à dégrader ma lecture. Encore une image-pensée qu’on va me reprocher.
Mais non, j’étais seul dans le jardin, abandonné, solitaire-solitaire, à mes propres forces que la marche et le soleil réduisaient à une pure volonté.

Je pouvais circuler sans honte, sans peine et sans crainte, immobile dans le labyrinthe de ma propre image :

trajet banal et familier du romancier.
Pendant une heure joyeuse et studieuse (les préférées des septuagénaires), je me suis distrait à chercher des films autour de « La nuit au musée », la nuit des oppressions. Mais je ne recopie pas mes notes, cette fois, l’Agence ne travaille pas sur le cinéma, et puis chacun peut en faire autant, à coup de 4G : NUIT/ MUSEE. Allez voir, si vous avez deux heures : étonnant !

Et tout cela presqu’en parallèles simultanées, pour même pas trois francs six sous, comme disaient nos aïeux, quand le Franc Germinal valait encore référence, à Guéret, Calais, Lorient, Toulon-et pas Strasbourg. Qui payait en Allemand, Strasbourg.

Mais ça commence à faire loin, Strasbourg, très loin du jardin dans la maison de Giorgio Bassani.

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 64/99, Chapitre 20 – Fin. Des circonférences concentriques dont les centres sont partout.

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