Moi, pour l’étape sur le retour, entre le train depuis Ferrare, quittant le jardin rose de la via Belfiori, et à l’aube l’avion pour Paris.
Le soir, à Bologne, dans la pause entre les orages, en terrasse, près de S.Sébastian, deux serveuses de l’hôtel en gilet noir sur chemise blanche, très droites et très stylées, très ancien monde en somme ( mais on est à Bologne, la vraie ville des élégances), main tenue derrière le dos pour servir l’Orvieto pâle et glacé. 


Aux tables, nappées de frais, trois ou quatre hommes seuls, est-ce ici l’entracte vide et simple d’attente de tous les retours, de mission, d’age, de famille, de correspondance sous les vents contraires de tous les avions?
Le soir, à Bologne, j’attends la nuit pour espérer le retour au réel que fait imprévisible l’aventure de tout voyage.
Plus loin, quatre jeunes femmes élégantes s’amusent beaucoup. Il est très tard, pourtant les téléphones frétillent sur les tables. Avant de retrouver Hotel Paradise, Vicolo Cattani, ombres et pavés du Bologne spectaculaire, je fais un tour des arcades sous la Strada Maggiore. J’envoie à Edith et aux filles des photos des tours vues depuis la piazzale di Porta Ravegnana. Nous sommes venus ici en hiver il y a quatre ou cinq ans, photos à chaque fois avec un recul insuffisant. Mais dans toute cette histoire j’aurai manqué de recul, je me le suis déjà dit. Je rentre par un détour vers San Doménico, hommage lointain aux inventions de NERO à Ferrare.
NERO ! SILVIA !..Comme si je n’avais pas senti les mensonges et perçu les finesses. Comme si nous n’avions pas – lui et moi de concert –trouvé un accord à moitié amusé, à moitié trompeur, chacun sa partie .
Là, peu de cafés sont fermés, je choisis le premier, mélange de faux vieux décor et de vrais jeunes buveurs de bière. Amoureux de rien d’autre que de mon regard porté en traînant sur le temps et les passants, je rédige les dernières notes, un ristreto, deux ristreti.
Ensuite dans l’hôtel (j’y dors toujours encore plus mal!) le cauchemar est ainsi :
J’ai commis une faute, mais je ne sais pas du tout laquelle ( état banal), j’ai honte. Je monte en voiture, agrippe au collet ce pauvre Georges B ( ou Georges P?, prononciations voisines, sourde ou sonore) , et tout le monde estime que je suis un peu trop nerveux, dans l’Agence. A l’arrivée, on me repousse de chaque salle où d’autres sont réunis, travaillant ou mangeant des sandwiches au cochon. Rejeté de partout (il y a de nombreux groupes, surtout des jeunots) je reste dans le couloir, où j’assiste à des entrées ou sorties de salles, très étonnantes : « -Qui frappe ici ainsi ?- C’est un chevalier qui cherche sa lumière ! ». Un homme d’aspect vénérable sort, portant de la main gauche une épée brandie devant lui, bien dressée, et me demande pourquoi je ne cherche pas l’amélioration matérielle et morale de l’humanité, moi aussi ?
Me prenant par sa main droite, il m’introduit dans une pièce sombre, où trois hommes sont assis à une table, tel un tribunal. Ils parlent en chœur et me demandent sans attendre ni ménagements « où en est ce foutu de nom de dieu de rapport, on va quand même pas le faire nous-mêmes, ce rapport ou le déterrer du jardin avec nos griffes de jeunes loups, ce rapport ? Tu es parti là-bas pour écrire, pas pour rêver que tu marchais sur les eaux, le désert, les nuages, c’est-à-dire le balcon de la Silvia »
Au réveil, matinal et en pleine forme, sur la table du petit déjeuner je déplie les mels, mets à la corbeille celui des copains réclamant d’actualiser mes notes pour le rapport ( j’ai déjà bien donné cette nuit, merci les amis ! ), lis à peine un mot de Silvia sur le site Airbnb, habituels « commentaires », on est déjà loin de tout ça.
Son petit manège au fond à peine discret avec NERO? Comme si je n’avais pas senti les mensonges et perçu les finesses : comment soutirer avec sourire et malice le maximum d’ Euros à ce touriste chez les divers copains ou beau-frère, ou restaurants, leur spectacle bien rôdé m’a beaucoup amusé. D’ailleurs- et ça vaut le prix, du reste ( car il en reste ! ) pas si élevé de la prestation – tous deux s’en sont plutôt tirés avec élégance, une certaine insouciante légèreté de l’être, tout à fait ce qui me convient, ce qui me plait, une rieuse souplesse, davantage Marivaux que Pirandello.
Reste à grignoter le récit.
De la vieille FERRARRE présentée par leur impeccable duo, je conserve un immense présent, et des mois de rêve, de promenades, de soucis, d’écriture, surtout d’écriture. De ce passé- comme souvent – proviennent de multiples futurs. Et je n’ai pas eu à regretter la qualité des diverses compensations, même si je m’interroge soudain sur le prix de trois miroirs en tiroir à Ferrare, ou sur la présence cocasse d’un string noir, obsolète et un zeste vulgaire, entraperçu ici ou là : au fond chacun a tiré sa pelote et ce qu’il attendait, au moins -le reste a été banal. On est habitués.
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YDIT-SUIT : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 90/99, Chapitre 30. Qui frappe ici ainsi ?