YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 91/99, Chapitre 31 -Alors je te redonne le départ : Géo Josz revient !

Alors je te redonne le départ : Géo Josz revient

Dans le jardin rose de la via Belfiori, assise près de la petite table ronde, Silvia s’étonne : « Géo Josz? Jamais passé dans mon duplex rose, celui-là… ».

NERO un peu ricaneur dit : «  Tu ne te souviens pas de cette nouvelle de Bassani sur la plaque rue Mazzini ? » Il pourrait ajouter quelque chose du genre : « Tu n’as rien compris à Hiroshima mon amour », mais non, il évite, certainement Silvia ne connaît pas la hauteur de cet auteur, malgré l’indéniable culture dont témoignent (témoignent seulement ?) les nombreux livres dans l’appartement.
Silvia/NERO, on a compris que ces deux-là se connaissent si bien, finalement. Faux-frère et soeur?


Le guide NERO demande si elle veut, maintenant, qu’il raconte Géo JOSZ, et Silvia dit que « oui, mais assez vite alors, parce qu’il n’y a pas que les histoires, dans la vie, et pas que ça à dire des histoires. Il y a aussi les courses, et le boulot, les studios à refaire, les gâteaux- maison à prendre chez le boulanger, il faut que je me change, tu connais mes horaires.« 


NERO : « Pour commencer, je voudrais te rappeler des mots de Pasolini, oui Pasolini ne fais pas l’étonnée, comme si tu ignorais que Giorgio Bassani, c’est tout de même de lui dont on parle le plus ici, à cause de ton insistant et curieux vieux Français, presque davantage que de moi, tu te rends compte, donc ce bon Giorgio avait publié Pasolini dans la revue littéraire qu’il a longtemps dirigée, l’élégante « Botteghe Oscure » que finançait à fonds perdus la princesse Caetani, ça ne s’invente pas.« 


-« Passe, Néro, passe maintenant au récit. Ça te changera d’aller vite.« 

– « Pasolini ( il reprend son souffle, n’est plus certain soudain de sa mémoire)…qui était proche de Giorgio Bassani au point d’assister au lancement du « Jardin des Finzi-Contini », et pas tout seul, dans les premiers rangs il y avait aussi en cette soirée de 1962, Italo Calvino ou Mario Soldati, excusez du peu, et aussi, sauf erreur, je sais que je vieillis, Carlo Lévi, mais tout ce gratin ce sont de vieux copains. Notre Giorgio local, régional, national, international n’a rien de l’écrivain solitaire et glacé qu’on imagine parfois, il préside des prix, fait des scénarii pour Soldati, enseigne le théâtre à Rome, et part en vacances avec Pasolini-encore lui, tu vois, vraiment très proche ou ce réel écrivain rare qu’était Carlo Emilio Gadda, et on le voit même, enfin on pouvait le voir, prendre de tout près le thé en compagnie toute proche de Natalia Guinsburg, on ne croirait pas, hein, notre bénédictin combattant qui bat les estrades et flirte avec tout ce qui est…et fait joli. Tu vois, à cause de ton visiteur, j’ai révisé mon Basani dans le texte, moi aussi. »

Silvia : « Oublie tes préliminaires, on est entre nous, passe au récit.« 
NERO : « Une plaque commémorative via Mazzini », la nouvelle, assez courte, une quarantaine de pages commence par ces mots : 
« Lorsque, en août 1945, Géo Josz fit sa réapparition à Ferrare unique survivant des quatre-vingt-trois membres de la communauté israélite que les allemands avaient déportés dès l’automne 43, et que la plupart des gens croyaient tous exterminés depuis longtemps dans les chambres à gaz, au début, personne en ville ne le reconnut ».

Mais, raconte la nouvelle, son nom a déjà été gravé parmi les autres dans la liste des déportés, sur la plaque de la synagogue, rue Mazzini. Un nom en trop.
NERO : Bien entendu, on pourrait en venir de suite à la fin :« …à ces questions, aurait également pu répondre un hurlement furieux, inhumain, si aigu que la ville tout entière, ou du moins ce que l’on voyait par-delà les coulisses, intactes et trompeuses de la via Mazzini jusqu’aux lointains remparts ébréchés, l’aurait entendu avec horreur »
.(Quarto/Gallimard, 2006, p.96)
Observe,
dit NERO, que la nouvelle se termine sur le mot «  horreur », tandis que pour le « Le Jardin » c’est  se « rappeler « , ou pour «  Une nuit de 43 » : « folle ».

Silvia se tait et guette un rat ou chat qui rampe.


NERO : « Alors, je te redonne le départ : Géo Josz revient, on le croyait aussi mort que les autres de sa communauté depuis les rafles des lois raciales pendant la République de Salo, sous l’œil et la férule des nazis, alors que Bénito règne en fantoche depuis sa libération par un commando nazi. Tout au long du récit, vont apparaître, de plus en plus présents, des anciens fascistes, des « barbes » (barbe et bonnet noir, les marques du squadristi, le fasciste militant), fantômes bien en chair parmi lesquels on verrait presque Italo Balbo, le plus fasciste des fascistes ferrarais, figure du quartier. On voit aussi, très fréquentes à l’époque déjà, de remarquables-et désirables (c’est Bassani qui le sous-entend) jeunes filles à vélo, on suppose qu’elles n’ont pas de shorts, encore que l’après-guerre s’habille soudain court, et que leurs fesses (rondes comme les pavés à Ferrare, mais ici on semble aller à la recherche du reproche ?) ne tendent pas le tissu dans le faux plat de la rue Mazzini, faut voir, l’étoffe de guerre de guère étoffe la touffe.
Silvia proteste. NERO continue : comédie ordinaire.


NERO : « Géo Josz pose le problème majeur de l’existence : il est vivant. Au milieu des Partisans ( tu entends la majuscule ?) à foulard rouge et d’un prêtre en soutane noire, c’est l’Italie 1945, l’un des assistants à la commémoration énonce à nouveau le chiffre terrible : « Cent quatre-vingt-trois sur quatre cents » de Ferrare, qui « ont été livrés de force aux allemands par les fascistes », remarque l’expression lâche « de force », en une époque, affirme le narrateur, où «  moins on en savait sur les Juifs (…) mieux on se portait ».
Le récit de Bassani travaille les temps, sa temporalité plutôt. Par instants, le narrateur s’en fiche, on dirait la fameuse désinvolture stendhalienne, je cite encore de mémoire : « 
L’automne finit. L’hiver survint, le long et froid hiver de nos régions. Le printemps revint. » (ibid p.85). Pif/pof, revers lifté du narratif contre le descriptif, action, 15/image, zéro. Plus bref, plus vif, pas possible. Tu sens le capuccino vite avalé. Et je n’évoque même pas les problèmes de traduction… »

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 91/99, Chapitre 31 -Alors je te redonne le départ : Géo Josz revient, à suivre

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