YDIT-TROIS, comme annoncé, d’abord « PREVIOUSLY » numéro 9 : de nouveau la première saison, celle des « Séquences Publiques d’Oubli », car les deux projets sont emmêlés en échos, Oublis à commencer par deux rencontres de l’étrange, deux plongées ( ou deux ascensions?) dans la très mystérieuse mémoire cachée du monde sensible YDIT-BLOG numéro 66, datée du 1er mai 2018 – belle journée pour le travailleur.

Pour ce qui précède, à la date de parution, 84 Séquences à parcourir : https://yditblog.wordpress.com

On s’y arrange doucement, comme chacun peut, avec les «OUBLIeS».

Parfois, on explique : tout ceci doit être lu comme écrit par un personnage de roman.


Séquence numéro 66 : le chemin du rail passe par la maison du dada.

« – Par ce GR, vous passerez près de la maison au dada », lui avait dit le jeune fille qui diffusait les parcours fléchés pour marcheurs distraits. Elle avait semblé s’ennuyer derrière la fenêtre de l’Office, près du cimetière britannique WW2, pliée comme une brochure pour touristes Allemands venus prendre les eaux dans les grands cimetières des pèlerinages décharnés.

     Ydit était entré. Seule chair vivante et repère du regard dans le repaire des cartes postales  mortes, elle ne quittait la Maison de Pays que pour le lit du boucher, qui lui avait acheté un Fox-Terrier en souvenir des parachutistes américains.

     En marchant, Ydit se souvenait d’Hélène qui avait jadis  été mariée à un Anglais navrant qui donc la battait le soir et lui tirait souvent les cheveux, dans la maison de campagne pas loin de cette promenade-ci. De ces infortunes, Hélène gardait une fille, nommée Justine, et la certitude que les femmes ont toujours tort. Pour dissiper les deux, parfois, chez elle, se jouaient des soirées d’amis qu’elle voulait peu ordinaires.

Ydit devance : Oui, peu ordinaires, les deux. Mais j’ai surpris votre question. J’avoue, il semble qu’à force de me suivre sur les chemins abrupts des oublies, votre langue s’affine et s’aguerrit?

Un spectateur s’interroge, déjà perdu en route : à qui l’hommage s’adresse-t-il ? La Russe rusée surveille mais ne se voit. Toujours présente. On se croirait dans un festival de rues  peint dans un village du sud pour touristes du nord. Les soirées dans la maison d’Hélène y ressemblaient aussi.

 Hélène, en ce mai, demanda qu’on y vînt

Déguisé, en ce court poème, qu’on dirait

Non sans vin, mais en vain

     « C’était, ajoute YDIT, l’époque des langages, et depuis la parole est perdue. »

     Germaine hésite : elle, c’est une fille des lignes métalliques parallèles, des pierres taillées pour les quais, des écrans noir et blanc pour affirmer le 23h59 sur la voie B. Elle insiste cependant pour rester dans le récit, elle sait y tenir la  place majeure de la balise narrative.

     Ydit raconte : « L’époque était un moment de l’existence où l’on avait parfois des mots en tête. On venait, Campari en main, texte en mémoire. Francis, qui n’était ni de Ponge ni chez Carco, arrivait grimé en dormeur, et en Duval. Il se faisait appeler Arthur. Quant à lui, YDIT,  c’était un poème Dada qu’il récitait : « Persienne ». Dans la lumière jaunie par le temps, il en portait le déguisement. Cela commençait ainsi: « Persienne, persienne, persienne, persienne…puis continuait de même et finissait en : persienne, persienne !persienne? persienne… »

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    La perplexité du passant atteint de vertigineux sommets ou plutôt de puissantes profondeurs : la pression dépressive est telle qu’on n’y voit goutte, au fond, de sorte que les poissons dorment à plat dans le creux d’une sobre vase qui, seule, adoucit le poids des mots, ici.

Aux aspérités de la vie répond l’allongé des OubliEs.

les déraillés du dada

     Ydit raconte que, marcheur, en route, ce matin même, après l’aqueduc, il suivait son rail, un ancienne voie  Romaine usée par les charrettes, puis que le chemin de fer avait confirmée en sa ligne, avant de l’abandonner à nouveau.

Km 67, au croisement, l’ancienne bâtisse lourde d’un garde-barrière s’apercevait entre les entrelacs endoloris de fer et de liane. Derrière les barbelés rouillés, un cube ancien paraissait un  fortin inutile pour une guerre toujours perdue, une butte de béton oubliée sur la grève par le recul du temps plutôt que par les défaites.

P1200780     Peu lisible, le sentier peinait à contourner son immobilité de fort féroce, de redoute retranchée sur son propre échec. Dépassant les ronces et les aubépines, c’était un morceau désuet d’histoire privée de sens et grisonnant de béton, surprenant mélange de barrières et de refus.

     Ydit raconte : il avait soif, il s’était approché. Il dit que, sac posé au cœur du sentier, il tentait de lire les griffonnages que des cartons barbouillés de temps et déchirés de vent posaient sous les yeux du passant, comme des hallebardes de la Garde Suisse :

Ne pas entrer. Vous avez déjà cambriolé mon esprit et mes livres.

Partez. Partez, je ne veux pas vous apercevoir.

     Ydit avait avancé pour déchiffrer, c’est le mouvement naturel des hommes. Accroché comme un pendu près d’une porte en métal que le fouillis de ronces et de fer rendait presqu’invisible, ceci :

N’approchez pas, ne venez plus, partez. Voleurs de temps. Je ne veux pas vous parler. Parler avec des gens tels que vous êtes fiers de sembler.

Allez vous vers ailleurs.

Selon Ydit, une faille de grillage aurait sans doute permis d’apercevoir l’intérieur du refuge. Ydit se penchait  :

Immensément proche, tout derrière la porte invisible, une voix d’homme très agé, soudain:

-Qu’est ce que vous me cherchez ? Vous ne savez pas lire les cartons?

Reculant, Ydit s’était excusé : il n’avait rien dérangé, suivait juste son rail, simple randonneur de matinée voulue sereine.

Les randonneurs, ça m’est dangereux. Ils font du bruit, c’est des femmes qui perlent vers mes ronces. Silence. Puis : Et qu’est ce que ça vous a fait ? Ce qui est inscrit sur les cartons ?

Ydit raconte qu’il a longé la clôture, dans les orties et les mûriers, regagnant le sentier. P1200733          De l’autre côté de l’invisible, la voix et son corps le suivaient en parallèle.

-Pourquoi vous vous arrêtez contre moi ?

     Ydit avait dit son goût des voies toutes tracées, balises et rails, et la curiosité pour cette maison témoin des temps, garde-barrière sans train ni barrière, mais comportant un homme.

-Tout est fini, depuis trente ans, ici, ou cinquante. Rien ne vous regarde plus.

-A part vous, caché ? Vous habitez ici depuis le début?

Un arrêt devant chez moi, c’est choc violent, vous ne comprenez pas ? Allez-vous en, je dis, car ici c’est fini.

     Doucement, Ydit avait rappelé que le chemin, protégé de rouge et blanc, est public. S’était éloigné. On apercevait des plâtres cloués sur un paroi. A travers le fond de rouille et d’épines, il avait tenté de tendre la main par les mots : « Je vous laisse, moi, d’accord.

Et vous, vous écrivez, vous peignez, vous sculptez? »

Tout ça aussi. Mais allez vous en. Vous n’avez pas les écrits des cartons

     Ydit, maladroit,  essayait de se glisser par les mots : « Si on écrit, c’est pour échanger, non? » L’autre, invisible, tendait encore sa voix : « Rien à échanger, rien de commun avec des gens comme vous, moi. »

     Dans le silence des oiseaux, Ydit avait cru percevoir un dur  bruit métallique, sans y croire. Il avait cependant pris un écart : sinon, comment parcourir les Oublies quand on vous a tué la mémoire avec le corps? D’un peu plus loin, il regardait.

Vous m’observez encore?!

   Ydit ne l’avait pas vu : entre les lignes de béton et d’arbustes, une forme était là, secrète.

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-« Vous aussi, je crois! » tentait de rire Ydit.

-Vous m’observez, vous m’interdisez de vivre, partez !

-« Vous écrivez? J’aimerais lire ce que vous écrivez. C’est publié ? »

Je ne veux pas de parasites. Partez, je ne veux pas qu’on lise ce que j’écris ou qu’on voie ce que je… Allez vous en.

     Ydit avait fait quelques pas pour apercevoir un profil. Le masque de bois suivait son mouvement comme sur un axe de machine. Il disait : « Chaque personne qui passe est une attaque. Pourquoi m’observer? Je ne parle pas. Je ne sais pas ce que c’est. Allez-vous en ».

     Ydit avait soudain perçu la détresse bien contenue dans sa  violence. Derrière le masque de persienne et de personne, il avait pu ressentir l’enfermement d’un visage, le cri des livres infinis jamais écrits, et l’ondulante douleur  de la déraison.

     Alors, il avait parcouru à l’envers l’inquiétante distance avec ce monde qui aurait, sans réserve, choisi la rude leçon de l’oubli. Sur le bord d’un chemin pourtant dessiné droit, un pas suffit pour approcher ailleurs.

    Ydit se tait. Germaine, émue des similitudes, mais sans excès, s’étonne qu’on n’ait pas entendu parler de filles, ou presque, cette fois. Ydit n’écrirait plus le brouillon de ses      OubliEs sur la peau des femmes, comme fit certain vicomte de mauvaise rencontre?

    Ydit, pour satisfaire aux règles sévères de son propre oubli, raconte que peu après avoir quitté le fortin du dada, dans un trou de verdure où coule une rivière, une promeneuse un peu fée l’attendait, portant le consolamentum dans ses gestes, ou montrant les voies, comme on voudra.

     Bien entendu, Germaine n’en croit rien : « Ah oui, la nymphe en verdure et lumière, la visiteuse de souvenirs et devenirs,  ça aurait manqué. » Elle sait qu’Ydit est capable d’oublier jusqu’à ce qui n’eut jamais lieu que dans les plis de son désir.

    « Mais, au moins, dit-elle au spectateur qui ne l’a pas quittée, « vous voyez, la règle est respectée : on s’en sort, ça marche et se dévoile. »

     Ydit veut terminer le récit du dada : plus loin, hors de vue de ce fortin de ronces, Il avait attendu, posé le sac ? Puis, sans bruit, avait tenté de s’approcher pour photographier les signes et les êtres. Mais, sans bouger, la forme se tenait encore derrière le panneau de bois, douloureusement imprévisible, rigide dans son silence.

Les images la montrent de loin, et seuls les alentours portent la marque du passage.

Ydit, longtemps, avait contemplé le trop-plein de ce paysage que certains hommes se font le devoir d’habiter. La mémoire du bois lui donnait à entendre cette voix de tout-à-l’heure, la voix de ce prochain si proche.-psy005-C’est le genre à moitié poupée russe, votre S.P.O. numéro 66, à moitié Dubuffet,  avec récit à tiroirs.  Vous auriez rêvé de vous balader  dans Jacques -le-Fataliste? demande Germaine.

Ydit ne répond rien, et ne se souvient déjà plus des soirées d’Hélène, ni de leur dérision d’époque.

Il sait en revanche que, à trop attendre auprès de la maison du dada, il avait –km 91-

raté son train du retour.

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Eclatant de rire,
Germaine-des-rails ajoute :
….. »Et pas que ! »


Didier Jouault pour Yditblog Séquence Publique d’OubliEs n°66

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