Rappel ( ou plutôt incipit pour ceux qui rejoignent le récit, comme un esquif rencontre son récit : crevé ou sauvé?) : l’Ydit, voyageur et narrateur, a été saisi d’une décision : s’en débarrasser. L’excellent et volubile docteur Saumonneau l’a éconduit ; pas de solution chez Vidal, Michelin, Dalloz, Chaix…Mais conseil : passez la tête (et donnez la main) chez les A.A.
Ydit y va, écoute, repart. On se sépare sans conclure, c’est la vie : YDIT reviendra-t-il participer aux cercles des AA ? Albertine et Phèdre, deux participantes en mal de manque, se tenant la taille, les saluent en passant, Ydit – et ses lames errantes : Hugo, Fred, toujours prêts spadassiner pour sa défense.
Sinon, dit L’animateur Eclectique, montant sur sa patinette électrique, importée du Mexique, sinon j’ai l’adresse d’un bon centre de détox, des psy solides comme des comptables, pas des verbeux comme ici, est-ce que ça vous intéresse ?« 
Que vouliez vous qu’il fit ?
D’abord, ce fut l’accueil d’usage.
Une femme alerte et bénéfique explora d’un clavier expert les déambulations d’Ydit : « Mon cher et pauvre – encore davantage- patient, espérer quoi que ce fut des AA ( nous les nommons ici Abrutis Aptères), attendre un envol au-delà des boueuses ornières de l’addiction narrationnelle ( elle avait du vocabulaire), autant réciter du Verlaine à une baleine en plongée. » Puis, sous l’œil hard et hagard de Hugo -l’interne compagnon de voyage- l’experte exposa le résultat de ses analyses.
A la question- somme toute légitime- du sens, elle répliqua : « 0n va vous aider à remodeler la conscience de l’être en soi, pour soi, et pour ça notre psychologue Marcel se met à votre écoute, pas dégoutté. Il a tout son temps, ricane-t-elle, assez sotte ment. »
Marcel, lui aussi, était coutumier du récit, qu’il avait beaucoup pratiqué naguère. C’était une sorte de grand escogriffe essoufflé. Après tout, dans les romans, ou les encyclopédies de table, le meilleur thérapeute est toujours l’ancien accro. Comme le meilleur flic est l’ancienne crapule. Il sait comment ça se dé-passe.
Dans les bureaux étroits du Centre International et Polymorphe de Traitement Radical de l’Addict, Ydit se présentait ( mais on ne le présente plus?) chaque samedi à 15h30 ( il restait peu d’horaires à choisir : tout le monde, dans le quartier, tout le monde s’adonnait au récit, sur les évolutions des maladies en cours, sur les élections en débours, sur les guerres à découdre, sur les 234 romans parus ce mois). Marcel demandait de ses nouvelles (qu’YDIT ne lisait plus), questionnait comme pour un rapport de Brodié, notait au crayon de papier sur un bloc Nutella.
« Voyez, dit Marcel à la troisième séquence d’une heure, vous avez depuis longtemps, presque toujours, accompli de gros efforts, sur vous-même et sur les environnements : votre chemin de vie depuis la pauvreté de naissance, c’est joli, comme éclairé par un Saturne en Jupiter : vous pouvez même vous payer des psy à 80 balles la séquence… Vous avez contrôlé l’en-dedans et l’en-dehors de vos apparences, et je n’évoque même pas l’en-dessous de vos ceintures et bretelles. Aussi est-ce désormais simple, à mes yeux : appliquez votre volonté à chasser le récit, à l’exclure du possible, comme vous avez fait pour le reste.
Et, mise en chaine, votre addiction narrative sera vaincue. Allez-y, et quant à moi, ayant terminé mon expertise, en escogriffe ( oui, je sais ce que vous pensez ! ) je vais vous diriger vers la Simone, la fastueuse et célèbre souffleuse, qui prend la suite à ma suite dans la suite pour accompagner votre débarras des chaines intérieures.
Même déguisé en pénitent de la narration, Ydit s’en était trouvé perplexifié.
Mais la méthode à Simone, elle non plus, ne manquait pas de surprendre.
SIMONE :On avait rendez-vous le dimanche à 7h45 ou 20h15, car les patients – parfaitement accrochés- encombraient le carnet de commandes. Elle le faisait s’allonger sur un épais tapis noir de pur caoutchouc nègre, posé sur un sol de ciment dur. On voyait qu’elle avait à peine le temps de passer l’aspirateur ou l’éponge, toute dévouée au curetage interne des accros qu’elle recevait sans accrocs. « Soufflez, respirez, expirez, tendez les jambes et les idées, souffrez vous, voulez-vous? »
Debout derrière Ydit, elle racontait avec passion ce que vous « fait l’oxygène au bout des orteils, quand vous acceptez la respiration ventrale, et pas de doute, rien de tel pour affermir la volonté – puisqu’il n’y a que cette solution pour vous, selon le collègue Marcel. Autrement dit, serrez les dents, videz les poumons, oubliez de penser, puis comptez sur moi ».
Il est vrai que, surtout après la séance très matinale, le fier désir de narrer perdait de son urgence. Simone disait, réglant ses Ipod pour une retransmission de « La Cerisaie » sur France Culture (vendue le jour même de la naissance de YDIT, fin aout ): « Votre conscience va devenir ballon.…
…Ecoutez le vent dedans…
…..Votre corps va retrouver la nudité de vivre sans se narrer.…Votre espérance de liberté va se lire dans vos yeux comme un récit de Joyce étalé par une poétesse sur son corps palimpseste lors d’un défilé de narratrices délurées que débride la fin des mesures et des censures, la fin des masques et des mimiques. »
FRED la soyeuse amie toujours intérieurement présente ne sourit qu’à peine. Ydit , plus perplexe encore , se protège des mots de Simone. Un dimanche, c’était le quatrième, la thérapeute lui décrit par le menu ce qu’elle a écrit sur le nu-nu depuis la promenade au phare, en balade, cette semaine.

Elle ajoute : « Avec l’écoute et les coûts de Marcel, puis avec les souffles et les paroles de moi-même, votre addiction est en train de sortir du bois. Elle vous montre qu’elle vous quitte, elle s’interstice entre les marches de votre réalité. C’est bien, non ? »
Evidemment, répliquait le bon vieil Hugo – pourtant jamais en retard d’une formule vaste mais pas très pleine – évidemment, dit comme ça, Ydit, vous devriez comprendre quels sont les jolis personnages grimés de cette narration en grimoire dite » détox », non?
Et il ajoutait, un peu géné, que tout cela, hélas, lui rappelait un peu certaine attente au milieu du brouillard, à Florence et Pise, et pire en Epire : ça décolle pas beaucoup, heureusement qu’on a de quoi s’occuper par ailleurs
« Vous croyez que vous allez y retourner, au Centre ?«
Ydit savait que non. Pas de progrès. Terminé avec Simone. Fini Marcel.
On devait passer à du sérieux. Il était temps, comme il était temps- aussi- de laisser couler quelques gouttes de mémoire bleue sur les pages grises de ce blog.
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Ydit-blog , Saison 3, Episode 12 (en plus vite : S3/E12)- « L’escroc griffe, pas dégouté ». A suivre , d’ici quelques jours, sans doute ? Mais sait-on ?



























