Note de Madame Frédérique :
Il n’est pas impossible que ce fragment, à vrai dire deux feuilles volantes type cahier d’écolier agrafées, ne figure pas exactement à la place- dans la succession narrative- qu’avait ( aurait ?) prévue mon ex-directeur. Ce n’est pas ( et ce ne sera pas ) le seul cas d’indécision- y compris sur des alternances de « thèmes » dont je me demande si la disparition inattendue de Y.d’I n’a pas empêché qu’elles fassent l’objet d’aménagements, voire de profondes révisions. J’y reviendrai pour les textes sur l’Afrique, mais il est trop tôt.
Et surtout je garde ma distance.
YDIT : « Lettre de A ». Version B

Ydit a rêvé de trouver une entrée dans les livres et c’est toujours une entrée de labyrinthe, une entrée dans son propre récit, en évoquant tous les livres qu’on a peut-être eu le tort de lire, et ils sont nombreux : par exemple des polars plus ou moins noirs, plus ou moins lourds, lus tard le soir, un peu le jour, sous le grand chêne près de la maison Cucuron, sur les trois balcons de Paris 12e.
Au total ce sont des années sans doute de lecture à vide un peu comme si l’on pédalait sur un vélo d’appartement, sans raison. Mais autour de ces livres surgît nécessairement un paysage, plutôt les mémoires colorées des paysages. Reviennent aussi tous les moments brisés par l’ouverture d’un roman ?
Ce fut même le thème d’un entretien avec le rubricard du journal « Le Maine libre ». Nous avions sympathisé.
Il rédigeait volontiers des articles sur mon travail. Il arrivait dans une toute petite voiture rouge, je l’invitais à déjeuner et il acceptait, tous deux sans arrière-pensée. Ensuite on s’allégeait par les paroles comme on enlève un pull rose.
L’un de ces papiers de l’été, sur une pleine page, m’interrogeait sur les conditions de mes lectures. J’avais raconté avoir lu « Les chemins de la liberté » sur un banc, à l’ombre, dans Central Park, en août.
Laurence somnolait à côté. 



Tout cela est une autre histoire. Encore une histoire autre. Une Histoire pour faire marcher. Puisque on marche surtout pour raconter.
Sinon, sans récit, à quoi bon marcher ? YDIT aurait pu commencer ce récit Saison IV- par les environnements des livres les mieux lus, les plus épais peut-être, Roberto BOLANO, Jonathan LITTEL, Russel BANKS, Marguerite YOURCENAR, Danièle SALLENAVE, Léonardo PADOURA, Hariki MURAKAMI, Chris KRAUS, Gunter GRASS, Mathias ENARD, Harry MUSLISCH, Vassili GROSSMAN, même Daniel CORDIER ( ceux de la première étagère en entrant, on a évité Dumas ou Hugo ou Balzac, même Pérec, hors concours) évoquant ainsi l’écrin plutôt que le bijou, les décors davantage que la pièce, l’inamovible du souvenir, au lieu de l’incertain qu’est toujours une lecture. Une autre idée avait été de commencer par le récit de fausses lectures, la description de faux romans immenses et superbes, déclarés inconnus, traduits du Finois tel qu’on le parlait avant que La Finlande fût indépendante, ou de n’importe quel autre langage mal accessible.
Des listes ont été ainsi dressées, de romans imaginaires, mais il avait cessé à la page 11. Elles ont disparu.
L’ordinateur ne conserve pas les manuscrits, sauf ceux de MarKo.
Car l’idée avait paru désuette, soudain, comme un squelette de littérature expérimentale, un fantôme troué de l’Oulipo, un archaïsme insensé digne de ces troupes de jeunes femmes scouts qu’on croise sur les routes de la Puisaye, ou du Pays Fort, en bande suante et fatiguée, en fin d’après-midi, sourires niais, foulards et chaussettes trempées, fesses et poitrine trop serrées par les catholiques élastiques des dessous de la réalité. On les retrouve, presque les mêmes, assises, douchées, lèvres peintes, humeur juvénile, chigons refaits, culottes sèches, à la terrasse de la Brasserie de l’Horloge, un soir de dîner solitaire à Avalon.
A les voir marcher en groupes ou commander une salade César, Ydit se demande toujours à quoi peut bien ressembler le corps de chacune, si dissemblable et cependant le même, stupeur continue des désirs ; les corps sont tellement les mêmes – sous l’uniforme qui défie leur singularité.
Derrière l’apparente similitude de leur corsage kaki renforcé de poches et de badges (comme autant de barrières au regard) leurs seins, sur la route, balancent le mouvement de formes différentes dans le rythme commun. Elles se nouent le foulard comme on prépare une corde de chanvre, mais pour de rire.
Une rêverie un peu trop rêveuse les imagine au repos dans la chaleur des voisinages sages et suaves .
« La patrouille au sauna » : titre imbécile de film années soixante-dix ? Pendant ce temps la salade Caésar refroidit. Et question basique : points communs du sauna et du confessionnal ? La nudité? L’allègement?
Et, pensait Ydit, on peut aussi, on aurait pu aussi, entrer dans le labyrinthe du livre, ce roman-images de maintenant, épisode VING-DEUX, dans les souterrains secrets du récit, pénétrer (encore et jusqu’à ce point de fureur puritaine : le logiciel de l’ordinateur, à la dictée du mot pénétrer donne********), entrer par en quelque sorte les fuites : c’est-à-dire par tous les romans qu’on a lus, ou au moins débutés, au lieu de rester avec les amis, et les femmes, qu’on a aimés. Avec les enfants, aussi, mais les enfants, non, pas dans cette histoire.
Tandis qu’on lisait jadis et naguère, à chaque page qui tournait, à chaque personnage apparu, c’était comme une trahison, comme un lambeau de temps découpé dans la vie de l’autre. Ainsi, les pages du livre nient peu à peu la présence d’un voisin, parce qu’on croyait que les amours se déclinent au cas de la permanence, un nominatif de la présence, alors que non, définitivement non, aucune durée n’est jamais promise par l’aventure de vivre, depuis qu’on a ouvert un livre et corné une page.
Chaque page lue en solitaire est un pari dangereux fait sur la possibilité que le temps soit durable.
Le beau projet, c’était de raconter en parallèle les fuites ou disparitions d’amis ou d’amantes, pendant qu’on s’abandonnait au roman en train d’aboutir, 150 000 mots qui restent, il y a des mois déjà, roman-images écrit en 2022, repris et imagé en 2023, jusqu’au milieu de l’été, puis ça vogue désormais tout seul pour YDIT,
occupé à autre chose ( hormis la relecture de chaque épisode la veille de la parution, sauf manquements, nombreux) roman-images presqu’en voie d’oubli, et dont voici pourtant le commencement longuement commencé, pour vous. Jeux du temps.
Programmer l’avenir avec certitude : l’épisode vingt-trois sera vers mi- février 2024, c’est décidé, en août 2023. Puis de continuer, puis de terminer, en racontant quelques fausses retrouvailles avec les disparus, avec les effacés, un peu comme si le temps pouvait, finalement, sur une terrasse, avec un verre, se faire récompense, croix d’honneur.

Rolin, l’ancien baroudeur clandestin d’une organisation anticapitaliste très virulente, se retrouve bien là. Tigre de papier.
Tous ces commencements sont – ou plutôt auraient été façonnés- sur le même « patron » : une panoplie de l’évitement. Quant à l’éviter, l’effort d’écrire, autant léviter sur la tombe principale d’un cimetière dans la colline éternelle : terrils de souvenirs défectueux.
« C’est sur nos tombes que le désert avance » chante France Gall, remasterisée dans l’émission de minuit que j’écoute en buvant un dernier verre sur la terrasse du Midi (mais ce n’est jamais un dernier verre), en choisissant sur la carte IGN mon trajet de randonnée pour demain. Une carte, la marche, c’est le contraire même du désert, et j’ignore encore comment on peut vivre dans la solitude, marcher sans carte, et sont fréquentes cependant les fulgurances sur la certitude de sa propre finitude.
Finir le plan de marche pour demain, terminer le verre, surveiller la nuit depuis la terrasse, deux filles parlent encore, pas loin, cuisses rondes écrasées sur le haut tabouret, elles étaient dans la patrouille mais pas dans le sauna, hélas, deux filles avec leur voix haute ou basse selon l’instant, dernières girls-scouts dans ma nuit solitaire dAvalon,
, maintenant les écouter c’est un peu voyager dans l’espace vers le point éloigné de tous qu’on nomme Big Bang.
Les voix des filles, la nuit, font voyager vers le passé de l’homme. « C’est sur nos tombes que le désert avance », éveillant , ces voix, les fulgurances sur la certitude de sa propre finitude.
Commencer à se rappeler c’est agacer le monstre, lui verser un peu de citron frais sur les mâchoires, de gingembre sur la langue, de piment au coin des narines : on sait ce qu’on risque.
Par exemple, les deux girl-scout sont Tyne et Jo, nous étions partis à trois en Grèce, et à Piacere en Sicile, à cette heure-ci nous dormions nus enlacés sur la terrasse trop chaude, appartement pas cher, on sait ce qu’on risque, à laisser le souvenir déménager les images. On sait- à présent- ce qu’on risque avec aussi Marcel Malbée, dit MM, Die pate : condamnation à perpétuité.

Tout cela est une autre histoire. Encore une histoire autre. Une Histoire pour faire marcher. Puisque on marche surtout pour raconter.
Sinon, sans récit, à quoi bon marcher ?
On sait que ça peut durer, ensuite, ne jamais finir de remuer, comme une purulente germination des mots. Proust, évidemment : exemple parfait de l’interminable.
Image, cependant, soudain, avant de tenter le toujours dur assaut du sommeil : on se voit en pull vert amande col en V, ridicule et utile ; dans la salle trop mal chauffée du « Comité Paritaire », on peut ainsi enlever la veste sans avoir froid, et faire « commun ». La réunion est à l’agenda, tout un vendredi après-midi. On racontera cela.
Puis dimanche, Foire aux faïences et aux céramiques, à Malicorne, sud- Sarthe, la facture des bols est restée glissée dans l’agenda, l’artisane aux mains roses a peint le prénom des deux filles sur les tasses, pull vieux rose sur les épaules, on craint les froids premiers d’octobre, mais il avait fait beau, à Malicorne, sud-Sarthe, on avait goûté de tartines à la rillette et de jus de pomme, en rigolant, on avait aussi acheté un table ancienne et quatre chaises pour la maison de fonction, mal meublée.
Leur prix avait fait rire la famille des venus de Paris .
Voici tout cela qu’on pourrait aussi tenter de raconter. Les bonheurs. Les jours. La simple évidence des petits moments sereins et joyeux. Mais à quoi bon ? Et comment cela serait-il encore possible depuis que Marcel Malbée, dit M.M., dit Le Parrain, a transformé son absence en fantôme, son oubli en reminiscence, et qu’il s’est assis, dans le silence, sous l’arbre même où le vent fait encore tourner Hanged James ? Avec la question : » Il fait bien chaud, tu n’enlèverais pas ton pyjama ?
Et jamais sa main n’aide à dénouer le cordon, il faut que le gamin n’aie pas dit « non ».
Soudain, tous deux ont taillé ma mémoire au vif. Ne reste à raconter, pour un temps, rien d’autre que ceci : eux. Statuetteb de David sur le buffet de l’entrée sur Dupetit-Thouars. Chez Parrain, Marcel Malbée. Hanged James sous la branche dans la fenêtre. Depuis la cuisine : roman-images. Il faut bien s’y résoudre. S’y contraindre. S’y abandonner.
Marcel Malbée, le Parrain aux doigts trop chauds/ Hanged James, le Pendu aux cou trop étroit. Un archaïsme insensé digne de ces troupes de jeunes femmes scouts qu’on croise sur les routes de la Puisaye, ou du Pays Fort, en bande suante et fatiguée, en fin d’après-midi, sourires niais, foulards et chaussettes trempées, fesses et poitrine trop serrées par les catholiques élastiques des dessous de la réalité.
Sauf que leurs squelettes font du bruit dans la tête.
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Didier JOUAULT, pour YDIT-BLOG, nouvelle saison, saison 4 , Episode VINGT-DEUX : Entrer en quelque sorte par les fuites, une panoplie de l’évitement. A suivre? Oui, si vous désirez savoir comment BOB et MORANE consuisent ( mal) leur enquête…(mais la solde n’est pas mauvaise ). Rendez-vous non pas le 14 février seulement, mais le 14 février pour commencer – oui – pour une succession de trois épisodes que ( sans les relire) on sait cousus de peine et taillés vifs dans l’étoffe de la tristesse. On aura fini avec « ça » le 28 février- une année bissextile, c’est bien qu’il y ait du reste pour souffler.

