RESUME EXPRESS : le personnage YDIT, sa mémoire ayant été « réveillée » par les récits récents, se souvient des jours et nuits avec et chez Marcel Malbée, dit MM, dit Le Parrain, qui lui demandait si- dans le petit appartement rue Dupetit Thouars- le gamin ne voulait pas enlever tout son pyjama, tant il fait chaud. Il n’avait su dire NON à la suite. Il sent revenir en lui cette image et cette injustice : James, lui aussi à sa façon privé de pyjama et corps convoqué, n’a pu rester si longtemps vif et joyeux. Hanged James. Aidé d’un duo bavard d’enquêteurs, BOB et MORANE ; renforcé par TYNE et FRED, deux compagnes de jadis, YDIT se lance à la poursuite de Parrain. Tout ceci est évoqué/imagé au flambeau d’une mémoire menteuse. Tout ceci est raconté/illustré en lambeaux dans un « fatras » de documents expédié à une ex-assistante ( Madame Frédérique, désignée présentatrice), sous l’appellation « Lettre de A. Version B.« , en hommage à l’incipit de « Extérieur Monde » (Olivier Rolin). La chasse au Parrain, où l’image parle aussi, est entrecoupée de diversions diverses. Commencée en août 2023, la publication prendra fin en août 2026.
Note de Madame Frédérique :
C’est rue de la Veille Lanterne on s’attroupe et regarde.
« On dit souvent que la littérature est une thérapie, mais pas du tout. Ce n’est pas ça, absolument pas. Recopier ne soigne rien : on ne supporte pas mieux les choses en les dédoublant par des mots.(…) La littérature ne fait rien passer. Elle fait juste coexister pacifiquement ce qui a eu lieu. Vous pouvez seulement traduire – pas ‘traduire’ au sens de confier à une autre langue – plutôt transporter chaque petit caillou, chaque étincelle, chaque sentiment dans un espace blanc et épais. »
( Olivier Cadiot, ibidem)
SUR HANGED JAMES, aussi, sur cela, aussi :
Sur tout ça, sur ce que ça fait, sur ce qui s’est passé dans la vraie vie, pas celle des poètes …
Mais qu’oserait-on dire sur le Hanged Gérard, le poète ténébreux- et veuf, et inconsolable, et Prince d’Aquitaine à la tour abolie, qui porte le soleil noir de la mélancolie : on – mais qui est « on » : la maréchaussée ? Une fille de joie retour des Halles ? Un ouvrier manufacturier partant au travail ? Un sabotier que met ses deux pieds dans le même rail de la vie ? (mais il n’y a pas de rail, à Paris, en ce XIXème siècle )
On le retrouve donc, lui, verticalement inconsolé, pendu à la grille du numéro 4, même pas pendu à un lampadaire, image de François Villon en l’air, non, ou encore pendu à l’un de ces arbres qui ont été nouvellement plantés à Paris, nouveauté de l’époque-maintenant ils sont si nombreux-, non, pas de branche vivante pour lui, Hanged Gérard, pas de gibet auto-appliqué, rien que la dureté d’une grille, précisément la grille du numéro 4 d’une ruelle sordide, presqu’impasse dans Paris, justement bien nommée impasse, rue de La Vieille Lanterne, on le trouve ici, accroché par le col, lui, le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolable.
Ici, le matin s’étant levé sans lui. Ici, vu peut-être, visible au moins, depuis la fenêtre d’en face, mais les maisons d’ici ont peu de fenêtres, peur des fenêtres. Coeur de La Ville.

Rapidement, car c’est l’aube, la foule s’amasse. En ces temps, tout le monde est dans la rue. Un pendu à Paris depuis longtemps cela ne se voit plus, dans la ville moderne on exécute les condamnés à la guillotine, répandue ici la carcasse, donc c’est du privé, de l’intime, encore de l’intime ( on l’a dit dès le premier jour : ici est l’intime vrai, faussement exposé, qui se drape de nudités).
Mais il n’est pas pendu à la lanterne, les aristocrates à la lanterne, il porte un nom avec une particule, on la lit sue la couverture de ses recueils de poèmes, sur les » Filles du feu » , Gérard de N., mais nous savons que c’est une fausse particule, faussement attribuée, il ne s’appelle que Labrunie, Gérard, c’est tout, c’est peu, et Profession :
mystère, Héritier? Vaguement ! Voyageur d’Orient? Un peu ! Etat : poète, Humeur : détruite, et ce n’est pas que la faute de Jenny.
C’est le matin extrêmement frais du 26 janvier 1855, le pendu s’est noué le col à 47 ans, c’est rue de la Vieille Lanterne qu’on le voit, on s’attroupe, on regarde, et lorsqu’on va chercher un médecin il est déjà trop tard pour Labrunie Gérard, dit Gérard de N., en dépit d’une abondante saignée-d’ailleurs quelle ironie imbécile de saigner un homme qui vient de se pendre.
L’enquête – bâclée : nul ne s’y intéresse – conclut un suicide, mais il y a la presse, ensuite. La presse, un suicide ça ne l’intéresse pas, c’est de l’intime, c’est du privé, c’est du désespoir, ce n’est pas très propre, ni digne, ni bien -élevé, pas très vendeur, pas assez. Surtout qu’un échotier croit connaître ce nom, Gérard de N, vous dites ?
Ensuite, dans certaine presse, les rédacteurs à la ligne prétendent que c’est peut-être la vengeance de tous ces personnages dont il a parlé, tous ces initiés, tous ces JE vivant du Secret, dans le Secret (ici aussi, dans ce roman-images, dès le départ :
Le Secret comme principe et comme volonté d’oubli) , tous les Grands Initiés sur lesquels il a écrit, non pas pour les dénoncer, mais avec une sorte de sale curiosité un peu fascinée, de complicité bravache (mot XIXème), de connivence ébouie, celles du poète devant certains mystères, celles d’André Breton devant un objet venu vers lui aux Puces,celel d’une corde devant la lanterne.
Ou aussi le retour de Filles du feu ?..
La veille, Labrunie, Gérard, expédie à sa famille, à sa tante dit-on, un message tout à fait énigmatique, mais très poétique aussi, un message qui joue avec les thématiques de l’initiation ou le blanc et le noir se confondent dans une série de dépassements de l’opposition, un jeu de saute-tombeau qui conduit à un mode ternaire d’aboutissement, paraît-il de soi vers soi, avant de choisir la corde, de tailler dans le morceau et le vif, on le voit qui écrit dans un troquet familier : » Ne m’attends pas ce soir. La nuit sera blanche et noire« .
A sa tante, il écrit cela, lui l’héritier d’Orient et d’Occident, le pauvre rimailleur des rues. Et autour de lui – à présent très absent de lui-même- un petit peuple travailleur du matin s’est attardé à regarder le pendu. Il faut se dire -ce n’est pas très propre, ni très convenable, même si tel réalisateur polonais l’a montré explicitement dans ses films- un pendu, ça se lâche de partout, ça laisse des traces, tous les sphincters se libèrent, – les racontars médiévaux sur la coulée du sperme qui donne naissance à la plante miraculeuse, la mandragore, sont du fantasmé, du magique. Mais les intestins ou la vessie soudain libérés, c’est vrai : un pendu, c’est assez peu ragoutant à observer si on regarde en dessous, ça pue, et Gérard Labrunie, dit Gérard de, ce que font les commères, c’est de se pincer le nez, même s’il n’a pas écrit n’importe quoi, parait-il ( et les commères le savent-elles? ) par exemple :
« Il était paresseux, à ce que dit l’histoire,
Il laissait trop sécher l’encre dans l’écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n’a rien connu.


Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d’hiver, enfin l’âme lui fut ravie,
Il s’en alla disant : Pourquoi suis-je venu ? » ( Epitaphe)
Mais non, les passantes du petit matin ne le connaissent pas, et ne savent pas lire les mots initiés des « poètes maudits », « poètes maudits« , quelle idée de bourgeois qui se paient la corde des autres,
donc, dans une autre fenêtre, une autre histoire, pas de poète ni de malédiction, Fenêtre de cuisine,
et
il faut se demander ce qui s’est passé quand, au matin, s’étonnant un peu de l’absence de Hanged James dans le lit conjugal , Elle va faire tout de même un café, ouvre la porte de la cuisine, regarde d’abord la cafetière Nespresso, puis sent comme une présence, et lève la tête : Hanged James joue son numéro de fruit mûr, (est-ce finalement une chanson « cryptée » de Billye Holliday ? ces fruits mûrs qui pendent sont des noirs lynchés sacrifiés par le KKK) comme, un peu, Hanged James est sacrifié par l’hypocrite silence de tous ceux qui devinent et ne disent, tous ceux qui bien sûr savaient, ainsi qu’ils savaient, tous, pour le garçon et Marcel Malbée, dit MM , dit Le Parrain, ça se savait. Mamie, Père, Frère, tout le monde savait. On dira cela ensuite, l’année prochaine.
Et se pose donc la question, sur certaine manière essentielle, de savoir comment cela se passe, quand le corps toujours encore un peu tournant sur lui-même de Hanged James s’encadre dans le tableau de la fenêtre, et le voici ici qu’on voit lui, on arrête le geste vers la cafetière, il y a lui là, et qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on dit, est-ce qu’on crie, est-ce-qu’on murmure, est-ce qu’on se cache le visage, est-ce qu’on pleure, est-ce qu’on crie, mais crier quoi ?

Cadré par le souvenir dans le milieu de la fenêtre, le fruit mûr est là qui pend, et ensuite, qui va dépendre Hanged James ? Qui vient découper le nœud de la corde pour le descendre, on le suppose avec beaucoup de respect et de délicatesse ? Le descendre, des pompiers sans doute, cela fait partie de leur métier, dépendre les pendus, et encore d’autres plus tard vont nettoyer les traces des sphincters ouvert sur la pelouse, c’est très secondaire, mais descendre le corps, mais couper la corde, mais allonger Hanged James sur une civière, le conduire en contournant la maison, à travers le petit chemin de terre et de marches, lui faire franchir le portail qui grinçait toujours un peu, et Hanged James s’était promis dix fois de le huiler, mais ça grince un peu quand il passe sur sa civière, et la voiture des pompiers quitte la rue, en silence, il n’y a plus d’urgence, sous le regard attroupé des voisins, il est mort de quoi, le gentil voisin ?
Comme s’il s’agissait de Gérard dépendu de sa lanterne, qui n’était pas une lanterne, mais simplement une grille, cela ne change rien, à présent rien ne change plus rien, et la voiture rouge qui se hâte au milieu de la rue, pourtant il n’y a plus la moindre urgence, une fois encore, et l’on n’insiste même pas pour mettre à sonner la sirène, à quoi bon ? Imaginer cela, et, ici, il y a quelques semaines, déjà, dans ce roman-images même, avoir déjà raconté la scène. Imaginé la scène. Menti la scène.
Nul ne rêve d’avoir été là, surtout pas, mais jusqu’à la fin des temps- de son propre temps- sans jamais oser le demander, on aimerait savoir quels sont les gestes, quelles sont les pensées, quels sont les mots qui suivent, pendant quelques minutes, la découverte de cette chose là, dont plusieurs diront plus tard qu’elle était prévisible, peut être, cette chose là, dans le cadre de la fenêtre, pour Hanged James, ou le long de la grille, pour Hanged Gérard,

cette fenêtre que lui, HANGED JAMES, présent ici dans son absence, avait tenu à rendre totalement hermétique, respect de l’environnement, économie d’énergie, qu’est-ce que ça veut dire maintenant, quel sens cela peut-il avoir, quelle économie, quel respect, alors qu’il y a au milieu, le corps tournant encore un peu sur lui-même, ce matin, à la place du café, à la place de la tartine, ce corps blond et svelte : HANGED JAMES Lui-Même, tout seul, là, dans le matin frais, disparu à lui-même et souillé de lui pourtant de partout, qui tourne comme une légère toupie un peu écervelée, alors que -peut-être- mais on en saura jamais rien, elle crie, ou alors elle pleure, ou alors elle se mure dans un silence stupéfait, rageur, ravagé ?
Car on a évidemment raconté, ici, ce qu’on ignore, puisque c’est un Roman-Images.
Ce matin-là, tout le monde se demande, rue de La Vieille Lanterne, une rue d’ailleurs disparue depuis les aménagements de Paris, chacun se pose la question : qui c’est ce type, qu’est-ce qu’il fait là pendu à une grille, qu’est-ce que c’est encore que cette histoire, des ivrognes, des miséreux, des cheminots, et cependant on regarde, on regarde, avec l’attention crispée, faussement compassionnelle, hypocritement attendrie, de ceux qui regardent en face la mort, mais surtout celle des autres.
« J’aime bien écrire, on échappe au temps, on ne se sent pas menacés par les évènements. »
(J.M.G LeClézio , Interview, Libération, 05/02/23)
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Didier JOUAULT Pour YDIT-BLOG Nouvelle saison, Saison IV, épisode QUARANTE (Quarante ! ) : C’est rue de la Vieille Lanterne que ça brunit. Pas drôle, mais rien de ceci ne vise à l’être. A suivre : où l’on va mieux comprendre le passage sur mamie, père, frère, QUI savait ? Car toujours quelqu’un au moins SAIT que C’ EST. Et rien ne dit .