TEXTE de YDIT, sur des feuillets de carnet, format inusité, suite ( le texte est manuscrit, inhabituellement très lisible)
Sur les murs de la galerie du Haut Marais, les scènes proviennent surtout des USA 50 ans au moins plus tôt, ou de lieux de vacances pour Américains privilégiés.
Elles ont été prises par des gens simples, et sur les images- on doit s’approcher) ceux qu’YDIT observe ce sont aussi des gens dont la simplicité semble parfois ressembler à une forme de narration un peu sotte – ou facile.
Dans la galerie, ce qui est installé est une puissante émotion… Pas seulement visuelle, même si les tableaux de diapos ici présentés masquent les marques de l’espace par leur rare présence plastique. Jaillit une émotion de la profondeur. Comme si chacune de ces pauses devait provoquer par elle-même un récit dérobé ( qui était ce personnage qu’on voit là ?
Et comment répondre sinon par l’imaginaire : quelle histoire, quelle passion, quels oublis, quel renoncement, quel courage, quel mollesse inutile, quelle grandeur discrète…).
YDIT, dressé au milieu des images qui se recomposent et l’entourent, ressent l’urgence de narrations obligeant l’existence à surgir, à rugir, à rougir, de nouveau, à se permettre l’évidence impudique de l’émotion, le jaillissement paradoxal -à travers les milliers d’images- d’un réel puissant, d’un solide quotidien, et d’une immense empathie attendrie.
Tous ces mots pour dire : la puissante nostalgie du souvenir des autres, un souvenir dont RIEN n’est connu, un souvenir que le narrateur impavide et pas vide, enfin, peut inventer de toutes pièces, de tous ektachromes…Bleu/Jaune/Rouge. Marcel M%albée, dit MM, Die Pate, avait-il des souvenirs du gamin comme si c’eussent été des photos ?
Par ces images accolées reconstituant des couleurs, on aime soudain le détail de chaque visage, on se reconnaît dans l’ensemble de la dysharmonie fondamentale de l’humanité. Par elles, c’est à nouveau savoir comme on aime les hommes, non plutôt les femmes, non certainement : l’humanité ; dans sa tendresse même imparfaite. Ici chacun est soi, et soi, ensemble, c’est le monde entier : l’émotion du vivant à présent mort libère l’émotion du présent et rend le futur prospère.
. On oublierait.
Et puis, toujours incapable de rester dans le cœur brûlant de l’émotion plus longtemps qu’un battement de vie (ensuite on pleure, on tremble, on se bat), reprenant le souffle d’un torse redressé, YDIT sort de la galerie, devant la brigade charmeuse (et faussement affairée) de l’accueil : jeunes femmes qui font ce que nul ne sait.
Aucune des filles ne lui demande si « ça a été ? » ainsi que font les serveurs des bistrots, insoucieux de l’aberration de leur formule ( oui « ça a été », mais on espère vraiment surtout que ça va encore bien être un peu). D’un regard où stagne tout de même une légère question, l’une des jeunes femmes l’accompagne jusqu’à la porte. 
Toujours YDIT l’a su : on pourrait parler davantage avec les autres, surtout les femmes, lui, le si longuement timide, le si vraiment silencieux dans les soirées. Mais toujours aussi le monde de pauvres dont il vient l’a préservé de bavarder avec cette catégorie bien élevée de jeunes femmes, langage de vent, tangage devant, et de la déception certaine.
Avec une violence interne contenue, souvent, YDIT s’est dit, dans une galerie, sur un quai de gare, dans un couloir d’attente, que la parole aurait pu se libérer, se retrouver, se partager, sans crainte et non plus d’enjeu.
Mais sa timidité d’origine, creusée dans le bloc de la pauvreté, longtemps l’a retenu à l’écart des femmes de cette classe, ayant cette classe. Des femmes de cette surface ayant cette absence de profondeur.
Aujourd’hui, sur le point de sortir, YDIT s’arrête : à présent Septante et toujours davantage étant venus, il porte sur les cheveux bien gris et le visage griffé, une forme d’impunité qui rassure. Nulle ne peut le soupçonner d’une autre intention que celle de la parole. Dommage. Mais Septante et plus sont venus. Par ailleurs, ça autorise à engager le dialogue, sans précaution ni méfiance. Pas si mal, au fond.
Maintenant, avec l’une des si jeunes femmes bien peignées, cashmeere sur jeans, buste redressé par l’approche du virtuel client (à cet age, depuis tout ce temps, YDIT ressemble à un acheteur potentiel, et s’en amuse, mentalement rétrospectif courbé, fesses froides, sur les toilettes à la turque du palier avenue du Belvédère, numéro 1, immeuble classé vétuste). YDIT parle mémoire, visages, souvenirs, émotion du souvenir, et souvenir de l’émotion, beaucoup de verbiage pour pas grand-chose? 
Autant dire qu’il parle encore de lui-même, en incorrigible narrateur impénitent. Impatient. Incohérent. Impudent. Inhérent ( voila une définition, enfin : YDIT, narrateur inhérent)
YDIT sort enfin, et-déboussolé par l’atemporalité des images superposée au présent magique de la galeriste – il cherche son chemin sur le plan algorithmique de l’iPhone. Il découvre soudain – et donc sursaut imperceptible et inévitable -que la rue Dupetit Thouars s’enracine juste à côté, comme posée là sans avoir l’air de rien, sale rue, courte et faussement modeste, comme si à chaque trou de taupe correspondait l’entrée d’un labyrinthe : hypocrite ! Dupetit-Thouars, for ever ? Dupetit-Thouars Everywhere ? Maintenant, peut-être, oui ?
« Vous qui passez sans me voir » chante la rue sur un air d’époque Marcel Malbée ( sa jeunesse ?). Probablement est-ce mieux ainsi, semble-t-elle affirmer sur l’écran confus de l’iPhone, la rue Dupetit-Thouars. L’antre du Parrain. Die Pate.
Mais Marcel Malbée ( on l’a déjà dit) n’a pas de visage, tout effort pour visualiser un visage est vain, tout effort pour retrouver la forme de sa main serrée autour de ce qu’offre le pyjama éloigné du gamin est vain, et la mémoire n’accepte la résurgence que d’autres parts de lui-là, parts dont Ydit n’a que faire.
Aussi, on s’en doute, à la place de l’impossible visage de Parrain die Pate, superposée à d’autres images parcellaires et focalisées de Marcel Malbée, dont nul ne veut, aussitôt s’impose sur l’écran brillant une figure de tarot, cette figure là que vous connaissez, dont vous avez le souvenir sous des formes très volontairement diverses, le gamin lui aussi décalé durablement par le désir d’un vieux, car les pendus n’ont plus de visage, ce que les pendus quittent le plus vite est leur visage, avant le vie même, et la figure du Hanged James reste une figure défigurée par sa volonté même.
Ce qu’il y a sur l’écran, bien sûr : HANGED JAMES, la carte non pas du tendre ( il le fut) mais du pendu qu’il restera.
Gentiment présent, même pas tournoyant sur lui-même, et qui lorsque le mouvement de la vie lui permet de me faire face m’offre son sourire amical et goguenard, un peu tendre et lassé donc, comme s’il s’apprêtait à dire ( quoi qu’il soit impossible de plus rien dire dans son état) à demander :
« Alors quoi, mec, on fait semblant ? ».
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Didier JOUAULT pour YDIT-BLOG, Nouvelle Saison, Saison IV, Episode QUARANTE NEUF- Famille, ANONYMOUS PROJECT, fin ( trois sur trois ), l’une des jeunes femmes l’accompagne jusqu’à la porte. Après la galerie, la Galeria? Petits tours et passages chez le Père, le rapport de BOB et MORANE, c’est pire vet ce n’est pas le pire, dès la semaine prochaine, mercredi ?