Si Madame Frédérique n’avait pas suspendu son oeil, à défaut du vol et du temps, elle observerait – sous forme de rappel- que plusieurs (deux? trois?) épisodes de « Docteure Meunier » ont été simplement supprimés : leur programmation ( figée depuis l’été 2023 ) correspondait à un temps sérieux de l’Histoire, à l’été 24. On se demandait si les forces de l’extrème passé ( si mal déguisées en puissance de l’extrème à venir) ne parviendraient pas bientôt à décider du destin de tous. Il y avait donc autre chose à faire et dire que de publier de menus fretins de souvenirs éculés, du coup acculés à leur vacuité. On regrettera toutefois les poèmes qui accompagnaient chaque prescriptionnde Meunier. Ainsi que cette fois.
Voici donc ( tel quel, selon l’engagement primordial ), l’épisode six de » Docteure Meunier ». Par commodité on a rectifié l’assaisonnement, c’est-à-dire la numérotation des séquences.
Saison 4, Episode CINQUANTE – CINQ Docteure MEUNIER 6/6- (donc dernier): Dans le cœur froid du superviseur.
Et l’avenir, dans tout ça ? La Prévention de la Diction ? L’empêchement du NUIRE de DIRE ? Bah, Déjà trop tard pour Meunier, raté. Traditionnaliste même dans la conservation de pulls à l’identique, tricotés par son ex-directeur de thèse ( la célèbre thèse sur « Parole tue, Doxa crue/paroles crues, Doxas tues », approche epistémoépidémiologistique à travers douze cas de septentenaires en cure de désinformation »), la Docteure trouble, et de mieux en mieux troublée d’une opération à l’autre, avait pensé que si son Ydit de patient acceptait d’aligner les fragments de souvenirs comme on regarde les tickets de carte bancaire, il parviendrait sans doute à bloquer la dépense verbale. Avant dire. Avant la parole première. Donc, faire en sorte que la parole soit perdue ? Se taire avant c’est gagner ensuite. Mais combien de temps ça gagne?


Pour l’instant, une autre séance avait été de nouveau escamotée avec la Docteure Meunier, dont les chaussures de peau retournée ou le pull verveine-prune tricoté pure main n’attendrissaient plus Ydit, homme pourtant fragile de l’attendrissement.
C’est ainsi, aurait dit FRED ( bien silencieuse en ces temps) : ce qui amuse et vous émeut dans les petitesses de l’autre quand on se met à l’aimer, devient de bonnes fausses raisons de s’en irriter, quand on se met à ne plus aimer. Parfois, FRED semblait d’une effroyable platitude. Quand elle se retournait tout allait mieux?
CFe jour là : encore une dérobade imprévue : la Meunier-Docteure fuyante avait fait envoyer un SMS par le cabinet : sera pas là. Mais trop tard disait-elle pour organiser une consultation en visio. On percevait une forme de réticence dans l’usage de son téléphone par une Meunier, alarmée peut-être de son trouble perçu lors d’une précédente consultation récente depuis le Maroc : dans l’écran, on voyait YDIT nu quoique pudique, sur la terrasse du riad ( ses pudeurs, jusqu’à aujourd’hui, n’étaient pas là, sur la chair, et elles ne sont désormais nulle part).
Ils communiquèrent par mels – en passant par le site du cabinet. C’était d’un effroyable transparence, maintenant, plus d’obstacle. Elle demanda s’il avait fini avec le Lexomil offert par son médecin de famille- remède à la vigilance des mémoires, à l’expression des souvenirs ? « Il y a longtemps que finie, la boite, et je comptais sur vous, sinon à quoi bon une docteure préventive? », ricanait Ydit.
Nâvrée de ce malentendu, elle avait demandé comment s’excuser : d’accord pour expédier une petite ordonnance de rien du tout.

.
Mais en plus de prescriptions étranges, elle avait rempli la feuille. On devinait, par l’écriture, la hâte, et aussi l’étrangeté. Comme si ce fut Ydit qui l’écrivit sur le quai d’un port, et au bord d’un récit, au bord d’un récif ? A Port Soudan, sur la ligne des cargos Extérieur Monde ?
(…)
mon imprécatrice chauve
aux talons gercés dans la boue de l’hiver
ma folle aux dix chats sataniques
aux douze tortues pieuses (…)
ma rouleuse de semoule
ma brodeuse
ma distilleuse
ma sellière
ma marieuse
ma dinandière (…)
ma datte fourrée
au cheveu de la possession
mon herboriste
ma vendeuse d’œufs d’autruche
et de poils de souris orpheline
ma guérisseuse (…)
poussée ainsi qu’une caravane de gitans
vers le large incrédule
échouée sur le roc
sommée d’apprendre le dur métier
des navigateurs
(Abdellatif Laâbi , Migration- Tous les déchirements, MESSIDOR, 1990)
En marchant vers la pharmacie et la médiathèque, YDIT pensait un peu à elle.
Ils se retrouvèrent un samedi à midi, pour déjeuner au « Canon de la Place ». Ce fut un peu comme deux vieux copains qui se croisent dix ans après le service militaire. La Docteure avait semblé comme désarmée, fatiguée. Ydit eut presqu’envie de lui demander ce qui n’allait pas, de lui raconter un rêve de sieste à Essaouira : elle, Meunier-docteur, nue en chaussures de peau retournée, derrière le bureau, écrivant des ordonnances désordonnées. Un coin de soleil sur un rayon de sexe. Vue de loin, ce repas, on aurait pu croire, plutôt, à de paisibles retrouvailles entre amoureux de jadis.
Meunier avait encore maigri, son pull de laine sentait l’affaissé, Ydit se demanda même si elle avait récemment lavé ses cheveux.
Elle lui avoua : Je me demande si ce que vous attendez de moi est authentique, mais je me le demande pour la plupart de mes patients. Si les récits d’ici, votre dit Roman-Images, , James l’éventré, Mamie la voyeuse, Père impair passe et manque, s’ils sont tous des faux, des faux-semblants, des faux-fuyants ? Des charabias ? des Romenteries ? Qu’est ce qui serait vrai, alors, si le récit ne l’est plus ?
Elle demandait un autre verre de Chablis. Cela ferait quatre. On allait commencer à entrer dans le dur du vrai. Meunier-Docteur : « Quand tu racontais la pauvreté de ton enfance, les privations, les toilettes sur la palier, en ajoutant que pauvre on pense que c’est la faim et le froid, mais non, pauvre c’est surtout juste honteux, humiliant ( elle finissait le verre, le montrait à la serveuse Tereza)…Quand tu racontais les premiers jours de Marcel Malbée, dit MM, Le Parrain, la cigarette allemande tourneuse de tête, la cordelette leste, et les voyages immobiles rue Dupetit-Thouars, numéro 12, premier étage droite, les mains à gestes, les mains agrestes, les mains à reste, des mains d’arrête, avec les premiers détours de dénis, les tours de pénis, et ensuite soudain le » Secret » devenu banal dans les radios, puis la violente extraction de ta parole vite installée, c’était vai-disant? C’étaitfaux-sembant ? Faux-fuyants ? Tu ne réponds pas ? Tu as une cigarette, une Camel sans filtre? On a fini toi et moi de ne pas dire ? De dire Rien.Tu ne veux pas un autre verre ? Tu as quelquechose à préciser avant de signer ? Tu sais bien que c’est infinissable ? C’est écrit partout que c’est infini-sable, dune escaladée à l’instant même de son effondrement, ainsi est ta mémoire,Toi, moi, cela qui est l’empêchement du NUIRE de DIRE ? Infini – sable, désert, dunes, amble du chameau, soleil cou coupé, soleil vers la nuit, vases communicants, et pas d’eau pour le Touareg. Ta tête se détourne, un nouvel amour…
Même avec un bon bagage en Lacan, ça l’inquiétait, Ydit.
Docteure Meunier sort un doudou d’un grand Tot-Bag portant une citation d’Antonin Artaud, la dernière phrase de sa conférence au « Vieux Colombier ». Docteure Meunier le pose sur la banquette de faux-cuir Violet. Un doudou volé à un enfant de la crèche, son propre doudou à elle, revenu d’une malle imaginée dans un grenier fantasmé ? Elle se lève, passe derrière Ydit, pose la main sur ses épaules, appuie faiblement : « Je dois te dire, mon chéri, que mon régulateur souhaite que je cesse de te recevoir, il s’inquiète pour la santé de ton silence ». Cette fois encore, elle affabule. Son régulateur n’existe pas, Ydit a vérifié auprès du cabinet. Mais s’inquiéter pour la santé du silence, c’est gentil.
Ydit : si tu fais ça, Docteure, me quitter un samedi matin, avant même qu’on aie commencé un samedi soir d’histoires, tout de suite je programme d’un coup TROIS ANNEES, CENT TRENTE à CENT QUARANTE épisodes d’une nouvelle saison, la SAISON IV, et personne ne peut supporter ça.
On voit bien qu’elle hésite. « Alors, ce qu’il faudrait, pour continuer… »
Je crois, dit-elle dans l’un de ces sourire déséquilibrés, je crois que maintenant, ce qu’il faudrait, ce serait qu’on parle un peu de moi , de moi Meunier-Docteur, et presque plus de toi, Didi dit le YDIT, Didi, dis, YDIT, tu voudras bien ?
Elle se tait, vide le cinquième verre, ( plan de coupe sur le verre) et lui prend les mains- qu’il a froides : « Mon vrai nom est …FRED, tu le savais ? » Un peu comme si » détruire, dit-elle ».
_________________________________________________________________________________________________
Didier Jouault pour YDIT-BLOG, nouvelle saison, saison 4, Episode CINQUANTE CINQ MEUNIER 6/6 Dans le cœur froid du superviseur. Cette fois, c’en est fini avec le surgissement de la docteure Meunier, mission de prévention de la diction, ratée, tatatinée. ET, bientôt, finie aussi la menue et trompeuse saga du FRERE, nécessaire mais peu agréable ( on peut le dire) passage du vent mauvais de la mémoire revenue. Ensuite, on se promène dans les villes, pour respirer. Tournus ? Pas déjà ? Encore trop tôt ?


