Venu habiter- ma dernière demeure – près du parc de Belleville où l’on traverse la rue PIAT ( Piat, élu de Paris, en 1871, et ici, La Commune est partout présente, et j’aime qu’une arrière grand-mère maternelle habita rue Ramponneau, la dernière barricade tombée à la fin de la « Semaine sanglante »), ici – Belleville la Rouge – un artificiel balcon de béton sur la colline domine Paris ( des gens plutôt jeunes y viennent adminer les couchers de soleil, boire des bières, fumer des joints, écouter des sons, polir leur peau)

j’explorai le parc dans sa descente de méandres et d’escaliers couverts de lierres et glycines (mais non, pas en février) j’explorai une brumeuse pluie de fausses lumière printanières, puis j’ai vu et lu ce panneau de petite taille, usé un peu, émail réglementaire dont la fonction n’est pas d’attirer l’oeil du passant, bière en main, piètre information quasiment administrative, accroché sur la partie supérieure d’un grillage vert-rouille :

Pour le déménagement, plus des quatre-vingt pour cent des livres ont été repoussés hors de la future bibliothèque : donnés, beaucoup, un peu de ventes. Quelques Perec même ont subi ce désinvolte geste de l’abandon, tel « Le Condottiere », ennuyeux. Mais, bien entendu, plusieurs volumes ont pu traverser l’espace, et gagner les étagères neuves, dans l’appartement du 20 ème arrondissement, à quelques longues enjambées de la rue VILIN.
Lorsque j’ai visité la très neuve et encore assez vide bibliothèque de la Place des Fêtes ( la Place Dèf quand j’avais douze ans, on la longeait de la périphérie vers le centre, Porte des Lilas et République, c’était de vieux espèces d’espaces miséreux, des boutiques obscures, un bastringue, on n’y allait pas,
Dans la bibliothèque de la Place des Fêtes ( elle remplace un Lycée professionnel métiers de bouche où j’avais déjeuné, dîné- membre du jury ),
dans la bibliothèque de la Place des Fêtes l’épais et lourd volume de « Lieux » ( La Librairie du XXI ème siècle, mai 2022) s’est imposé, presque seul à tenir debout sur un rayon de joli bois encore presque désert.
C’était vers la fin du mois de janvier 2025, YDIT BLOG en était encore entre deux rappels de « Ce que Mamie savait« , bien avant l’épisode SOIXANTE-DIX, cet entretien déambulateur de BOB et MORANE avec les œuvres (et les dire) de Gérard GAROUSTE. Coincidence, mais évidemment pour quiconque a croisé les deux, PEREC et GAROUSTE sont environ un même personnage déguisé en duo de comédie. BOB et MORANE ayant simplement chnagé de scénario.
Longtemps, j’ai lu Perec – y compris tard dans la nuit- avec la passion aveugle des amoureux éblouis. « La vie, mode d’emploi ». Puis, au fur et à mesure des meilleures connaissances de l’oeuvre, j’ai subi cette fréquente désillusion : la fatigue du trop connaître. Et, ici, s’agissant de lui, comme un recul devant la rude mais sêche folie du cadre, ce bi- carré latin d’ordre 12 régissant ( au moins en apparence) la construction progressive du livre devenu » LIEUX » sous forme d’inédits , de notes, de pages blanches), la rédaction d’un « objet » pendant les douze années prévues. DOUZE ? DOUZE !Les amateurs, qu’ils diposent d’un cabinet ou pas, savent que le projet n’a pas vu le jour.
C’est en découvrant, comme tout le monde, les « structures et chiffres » de »La Vie, mode d’emploi » que ma passion pour PEREC avait commencé à s’étioler dans la raideur du cadre. Des nuits à lire en continu ce roman-amazone, dans l’immense salon lambrissé au premier étage de « La Coudreraie », pas loin de L. ( comme écrivait Pérec, en initiale), le bonheur si vrai. Puis la carcasse du livre, sa » construction » génialement diabolique. Admiration d’amateur, fascination de professionnel (j’enseignais alors la littérature), éblouissement devant l’acrobatie réussie.
Puis, peu à peu, les années venant, loin du grenier lambrissé, n’enseignant plus la littérature, surgissait une sorte de déception, à trop savoir quel os et quel tendon régissaient la pliure des reins chez l’acrobate. Comme si – retrouvant un soir un corps aimé, on apercevait la radiographie superposant sa lueur de grisaille sur l’ombre d’un sexe doré.

Pour » Lieux » , dont je découvrais l’intégralité inachevée, éditée depuis peu : douze lieux, douze ans, un fois » souvenirs » (évoqués dans l’une des langues de Pérec, parfois tapuscrits) et une autre fois « réel » (observé : noté, sur place, parfois debout, coin de papier,écriture hâtée, mal déchiffrable), la vision du passage du temps, du vieillissement des lieux et de l’écriture ensemble ( et contradictoirement, bien entendu ) … Rituel et protocole : la mise sous enveloppe cachetée de chacun des fragments écrits ( presque tous inédits), références spatio-temporelles, auto-documentation, et -en théorie-on n’ouvre les enveloppes qu’à la fin : douze ans.
Ainsi, sans équivoque , tout indique la lourde déraison du cadre, du cadre inventé comme garde-fou brûlant (efficace d’autant) : s’obliger à contenir le vide, tenter de convoquer une identité ( on se souvient de la biographie, des disparitions de proches dans les cendres d’un camp, de la judéité), espérer croire en soi comme sujet d’unité. Compliquer à l’infini la règle pour oublier que les souvenirs sont finis- à tous les sens. Projet fou, et doux?
J’ai lu « LIEUX »- édition d’inédits ( presque tous). J’ai retrouvé le Pérec qui note « ce que je cherche à dire » en évoquant la clôture des contraintes et la liberté des formes. J’ai retrouvé, ensuite, le « volume lipogrammatique sur la rue où je suis né », toujours la VILIN.

Comme ici on peut deviner ( attendre? espérer?), je me suis aussitôt, livre terminé, posé la question du « A quoi bon? »
Après CELA , Lieux , et tout ce que Perec fit de Lieux divers – passages , rues, îles, carrés latins d’ordre dix, ( projet sans nul rapport avec YDIT, sauf les apparences de formalisme ), aprsè CELA , qu’oser dire ?
Le premier des EPISODES ouvrant cette SAISON IV ( en août 2023 ! ) envisageait déjà l’inquiétante étrangeté de la question : POURQUOI DONC ? A QUOI BON ? Mais – ainsi est la vie de Yd’I, dit YDIT le Didi, l’urgence l’emportait sur le silence. Etait-ce à tort ?
Les nombreux épisodes à venir de la SAISON IV (close en août 2026…) , écrits, emboités par leurs mises en jeu, condamnés par la programmation implacable ( dix fois modifiée mais désormais inerte), fallait -il et pouvait-on admettre l’idée de les publier, tels quels, encore ? Maintenant que – soudain– au milieu de leur silencieuse programmation, de leur quasi oubli ( tant de tout passé depuis les jours de leur écriture ) – réapparaissait le fantôme rieur de Pérec, ses infernales réussites – comme ses parfaits échecs- tel » Lieux » – maintenant ne fallait il pas, courageusement, humblement, stupidement aussi , appuyer sur la touche : supprimer.
Se débarasser, ainsi, du bruit de fond permanent de « La Chasse au parrain », de cette rumeur insidieuse et continue, essaims de guèpes et de personnages, Bob, Tyne, Morane, Fred, encore trop présents, permanentes piqures dans le rythme régulier de leur implacable publication. Et puis, même assourdis par la volonté d’innocence, les éclats des guerres et des pouvoirs déglingués, les coups de poings toujours plus nombreux sur les pauvres et les solitaires, ces fracas de l’actualité ajoutaient à l’interrogation. Encore du texte sur le coût des morts ? Sur le goût des mots ? Oser, encore?





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Didier jouault pour : YDIT-BLOG, Nouvelle saison, saison IV, Episode QUATRE VINGT DIX SEPT / Comment je n’ai pas commencé à faire du petit vélo, à écrire certains souvenirs d’enfance commencés par Y, à parcourir à genoux la montée de la rue VILIN, à me déprendre d’espèces d’écrits PREMIERE MARCHE RUE VILIN