même après trois cartes, la barrière du souterrain ne s’ouvre pas.

 

 

 

Je suis venu vous dire que je m’oublie.

Contacts : ydit.spo@gmail.com

.

Ydit est ici afin d’épuiser l’encombrante écume de la mémoire.

Une Omission  programmée ad libitum

pour (environ) vingt-ans, non renouvelable

.

 

 

C’est l’atelier public d’oubli

 

 

S.P.O. 9 :

Barcelone ou Montpellier, Parking d’aéroport, 19 minutes

 

L’oublieur, connu sous le pseudo  Ydit a décidé de planter sa graine d’oubli à la sortie d’un parking d’aéroport, bien que moissonné par la mauvaise humeur du vol. Par le malicieux repas digne d’un lecteur de romans .

   Une histoire à s’endormir-pas facilement, dans la maison de famille. Une histoire à s’étirer-durablement, d’un côté ou de l’autre.

                                                                         Chateaudun, Illiers, Chartres, Arville, Montdoubleau aout 2011 075     Chambre de Marcel, à Combray.

 

Parking : là où convergent tous les  moyens modernes  de la mobilité sinon du mouvement. On ajouterait bien l’âne, le boeuf, les agnelles. Mais c’est déjà un peu tard.

Ydit, comme l’année, commence, avec moins de pétards,  intérieurement dépenaillé par l’avion,  qui est un combat avec les anges de pierre du souvenir…

Un combat avec l’ange, peint par Delacroix,  église de Saint Sulpice, Paris, à droite en entrant, ou raconté dans le beau livre de JPK ?

(à gauche sur le rayon du haut).

     En tout cas, dit le type de la sécurité anti-boum,

ça pèse lourd en volumes…

louvre  combats des anges Envols divers au Louvre, Paris, lumière comme pour décoller.

«… les parkings de l’aéroport sont maintenant les souterrains vrais de la mémoire. Les grottes sacrées du rite et des mythes : on y dépose de quoi tout enlever, tout envoler, tout dévoiler d’abord soi-même. »

« On dirait un écrivain posant des mots pour un prix », observe le pilote, qui passe en courant sur un tapis roulant. Pas terrible.

« Tout élever, d’abord soi. Eurydice épouse les méandres du parking dans ses formes altérées par les vapeurs, les virages, les ordres brefs de la peinture.

Florence 12 12 2

Jamais rien ne sort aérien d’ici, jamais ne se retourne l’homme, apaisé par le projet du vol ou le bonheur du retour. Le visage d’Eurydice porte le masque souple des Vénitiens qui n’ont pas lu Jean-Jacques et ses « Confessions». Un masque de paillettes.


 

             Plus tard, le pilote sort de l’avion en dernier.

     Les passants que l’avion rend hagards ne disent mot. Ils consultent leurs livres de bord. Depuis toujours, on n’y comprend que ce que l’on y a posé, souvent rien. 2015-06-24-12-48-58La buée des signes donne le Nord.

Ce jour là, privé d’humour par les trous d’air (agression  pire que les trous de mémoire)( car comment oublier si on ne commence par le souvenir ?), Ydit débute  la séquence peu après avoir entendu ses voisins d’avion raconter les cours de l’action Aviation Taratataire. Ils raclaient le fond de l’imaginaire investif en répétant à tout vent des mots doux qui enlaçaient le cou de chaque hôtesse, même usagées comme elles paraissent sur les vols « basprix ».(bas-prix, pas vues ? aurait dit Marc).

Chacun rêve d’actions nouvelles, pas chères, prises en bourse. On recommencerait pour trois sous les rencontres ratées, on rejouerait pour un plat de lentilles les coups de dés ayant aboli le hasard, mais fait perdre le destin, rater le chemin.

Le contraire du projet «  OubliEs ». Ce projet de ne conserver que les noyaux durs de la mémoire, les armes pures du souvenir.

On observerait de plus près la peau immatérielle que les femmes cachent près de leur cœur, et ne vendent jamais.

L’oublieur Ydit a décidé, moissonné par la mauvaise humeur, de planter sa graine d’oubli à la sortie d’un parking d’aéroport. Là où se confondent tous termes de la mobilité. Là où chaque insipide semble réinventé malgré lui par une saveur d’exotisme. espace de paix, car de passage ?

Mais, glissant depuis le souterrain, une femme en auto passe  la tête par la vitre  et s’inquiète :

« HOMBRE, j’ai mis la carte mienne dans cela,  mais la barrière, il  s’en va  pas?» Puis, fait un geste d’impatiente menace.

Un peu engoncé  des  tournures dans les tissus glacés de la déception, que peut faire l’oublieur qui encore attend son public, bagages repris au tapis ? Que faire, sinon des mots pour chasser le mouvement de l’air ainsi qu’une Licorne ?

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    Le mouvement de l’air, c’est le mouvement des collines populaires.

Meurtri d’aviateurs et nauséeux d’écriture, il s’encanaille :« Je déclare que j’oublie avoir lu– et fait lire- et enseigné (quarante ans plus tôt) la sagesse inerte de ces textes aux mécaniques de pantins, « Petits princes » construits pour l’intelligence des benêts, «  Citadelle » étalées sur des tartines chaudes de pain mou, puis déclamés par des adultes sans horizon.

Je déclare que, sans même nommer l’insipide comtesse franco-russe,  j’oublie tout  de la Sainte Ex, du « Géant égoïste » d’Oscar Wilde, de Jonathan le Goéland, de… ».

Ydit tient à être vu résolument comme un employé de parking occupé par l’oubli. Ce qui est une occupation digne des parkings. L’oubli. Pas aisée mais digne.  Et difficile à interpréter. Ydit  avait investi sur l’espoir de vivre plutôt en personnel de surface, en 2016, effort pour s’alléger des profondeurs, devenir de bonne compagnie.

De telles résolutions  n’apportent que des solutions très provisoires au problème de barrière, il faut l’avouer.

Car une  nouvelle ( mais identique ) question du public  contraint Ydit à se taire.

Une femme penche le buste par la portière de sa Triumph jaune, et dit : « Monsieur, j’ai mis ma carte, la barrière toutefois ne se lève pas. » Puis, avec élégance, citant Vladimir : «  Que faire ? »

Que faire ? Bouger, à défaut de réponse.

Ydit change d’issue. Avise une orée nouvelle de souterrain. Enfin ici passeur d’oubliEs ? Guetteur de l’improbable Eurydice ?

Arrivant, pourtant badgé d’oublies, encarté d’omissions, doté d’affichettes, il connaît…

MI3E10~1

                                      pour la première fois un refus.

Jamais, songeant au projet d’expérimenter l’oubli volontaire, Ydit n’a imaginé qu’on lui dise non. Il avait commencé à prendre place dans le discours et le narratif, et voici qu’un gardien arrive, espèce de clochard maquillé en surhomme, muni de talkie-walkie, de brassard orange, de forte conviction –voire de sourde rancœur, ce qui n’interdit pas l’haleine de réacteur.

A l’idée qu’on parle, ici, et qu’on parle d’ici, du garde l’œil s’inquiète.

A voir l’enregistreur, du gardien la mine se tend. Quand l’appareil photo apparaît, une panique couvre la scène et le visage : « Il faut demander l’autorisation à la responsable de parking ».

Un peu souillon, un peu Cosette à juger par son univers ?IMAG0853-1.jpg

 

 

Ydit passe la main dans les cheveux, vérifie le bouton de col de chemise (on pourra observer  qu’il ne vérifie pas tous les boutons), gagne le bureau tapi derrière une vitre opaque. La jeune femme, très sûre d’elle, pas du tout usagée, pas du tout négligée, pas du tout contente, conduit l’interrogatoire comme au Bon Temps des Pouvoirs Forts.

     Rien ne prouve que les mots projet, performance, culture, texte lui soient inconnus, puisqu’elle a fait l’école supérieure des parkings d’aéroport…

…mais Monsieur restons dans le sujet : «  C’est un terrain privé, ici, et moi en tant que responsable, je ne pense pas du tout que la Société Euridyce trouve ça bien qu’on photographie en public  l’entrée d’un parking privé, cela se comprend, non ?»

Un silence. « Puis, mettez l’Y comme vous voulez, ce n’est pas le sujet ».

Non : on rêverait,  pour privée qu’elle soit, que l’image figurât au sein d’un projet qui la glorifierait dans son immaculée mais accueillante…PARKING sans personne

beauté d’entrée de parking privé

de la société ‘EURIDYCE’

Plus tard,  encore une fois  déplacé volontaire- posé à la sortie d’un parking cette fois public, Ydit doit bloquer  le flux du souvenir, ce qui est toujours assez douloureux, même si l’âge, enfin, apprend la maîtrise des flux. Il se souviendrait volontiers des mythes ou romans de l’inaccessibilité, mais non, pas de paix avec la mémoire : voici que, pour la troisième fois, près de la barrière une femme penche la tête par la portière et proclame :

« Monsieur, vous le savez, car votre mémoire est sans tâche bien que sans attache, j’ai mis ma carte, ma carte de sortie, la bonne carte, cependant la barrière ne se lève pas. Quelle solution ? Selon vous ? « 

On n’en sort pas. Vraiment pas.

gardien parking rappel

                            Accès impétueux de vérification de la carte !

     Ydit pourrait de nouveau crier l’oubli de ses heures avec Le Petit Prince. D’autres heures de ses cours, il y a si longtemps, tentent de s’imposer, pour se mêler à l’oubli. Pour attendrir son public, qui s’intéresse aux barrières, Ydit, raconte les jours tendres des enseignements de «Détruire dit-elle » ou « Hiroshima mon amour » à des lycéennes d’Orléans qui se mettaient à pleurer (en 1975, Duras, pour les classes moyennes, n’avait pas ses vêtures d’icône). Les étonnements d’étudiantes de deuxième année en Sorbonne que ne lassait ni «La route des Flandres » ni «Le voyage au bout de la nuit »(thème : la guerre du roman). Ou encore ces jeunes professeurs en apprentissage que Frédérique (l’amante) et lui provoquaient grâce à d’émouvantes séances d’écriture poétique, en attendant le repas romain que préparait avec malice Marie-France, l’amie.

On ne devrait jamais.

« Je déclare que j’oublie d’avoir été un professeur un peu stupide, pas très solide, menteur professionnel, répétiteur futile», répond-il, du tac au tac, espérant ainsi s’en tirer, montrant à la cliente sa plaque officielle d’oublieur public ( ce qui ne l’apaise pas).

On entend le flop de l’effet, malgré les râles ambiants des réacteurs : qui s’intéresse encore aux oublieurs publics?

Ydit, las : « Madame, enfin, accepteriez-vous au moins de photographier ce dialogue de lourds ? ».

     La conductrice voudrait savoir si c’est pour la télé, Ydit nie, Ydit no, il dit niet.

     Elle ne le croit pas. Si c’est incongru, c’est pour la télé, toujours. Elle le regarde. Elle regarde aussi la télé. Elle regarde beaucoup de choses.

     Elle ferait des clins d’œil, la dame à la carte. Elle vient d’accompagner son mari à l’avion. Elle  sourit, étale un peu de décolleté rose sur la portière, «Je viens d’accompagner mon mari à l’avion. C’est pour quelle émission ?».

« Omission reprend Ydit, Omission, comme vous diriez « Aux Missions » et j’ajoute que c’est vous qui devez me photographier, puisque je suis l’indigène. »

gardien de parking( mais elle se montre malhabile avec l’appareil depuis son siège).

Et la séquence finit ainsi : même après trois cartes, la barrière du souterrain ne s’ouvre pas.

On se demande bien à quoi servent les oublieurs publics, non?


Protocole, Article 9 : présent à l’appel

S’il le souhaite, le public –et de préférence les jeunes femmes ou les chômeurs macédoniens allant vers Sparte – pourra récupérer  à la pelle le souvenir mort, et le faire sien, surtout en automne. Ainsi, le projet crée une forme de transmission automatique et spontanée, sans propriétaire ni acquéreur, depuis une mémoire qui s’allège sans rémission, vers un auditeur fugace qui va

disparaître sans retour.

     On admet dès lors, avec regret et  faute de moyens de s’y opposer, que les souvenirs partagés par Ydit pourront persévérer dans d’autres mémoires, où ils seraient traduits et

trahis comme il convient.

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6 réflexions sur “même après trois cartes, la barrière du souterrain ne s’ouvre pas.

  1. Avatar de Serge Gottheff Serge Gottheff dit :

    il y a des tournures que j’aurais bien aimé trouver:
    – « haleine de réacteur »
    – … »étale un peu de décolleté rose sur la portière, »
    est ce que je peux replacer dans un texte, en citant, bien sûr?

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  2. Avatar de cécile wajsbrot cécile wajsbrot dit :

    très bon… et tous mes voeux d’omission pour la nouvelle année… je t’embrasse, cécile et puis, cher Ydit, si vous n’oubliez pas entre-temps, pouvez-vous transmettre tous mes voeux de belle année 2016 (on ne sait jamais) à Didier et Edith et à leurs deux charmantes filles, de la part de Jean et de la mienne?

    >

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  3. Avatar de Diallo Diallo dit :

    Des vœux d’oubli( s) sereins, et une belle augmentation du taux de satisfaction pour les performances à venir. Je me demande si le tout venant ne devrait pas cultiver cette faculté à l’oubli dans ces temps moroses….bien que le mémoriel batte son plein.
    Dans le 12 e, un jour ? Lieux où je n’ai pas encore le loisir de cultiver l’oubli.

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