Comme de belles endormies dans un manga sans héros

 

S.P.O. DIX

SEQUENCE en TROIS PARTIES

 

PREMIERE PARTIE

     Par moins deux, quelles que soient les volontés de dire, avouons une difficulté mal prévue : personne n’a envie de s’arrêter.  On sent que ça va pas être encore de la séquence plénière, de la séquence solaire, de la séquence à trois mille.

Faut s’y faire, vocifère  en sourdine la voix de l’intérieur.

Alors, plutôt que de regarder le froid tomber sur ses mains muettes,

Ydit a pris le train de l’hiver.

      Il brûle des oubliEs mélangées de vapeurs ( mais n’est-ce pas l’unique minerai   de la mémoire ?) il rappelle en image  d’autres départs,

                           comme ce jour d’été où une belle pointeuse

exposait les couleurstrois couleurs en gare primaires, prête ainsi à tous les  nuanciers de la

palette sensuelle.

     Banalité  : quand bien même serait-on à moitié nu ( ah non, pas encore ! ) dans un jacuzzi planté au milieu de la Beauce (à moitié nue, une y serait,  qu’ il y aurait toujours un brave type pour lui proposer la couverture, injustice de mauvais genre, mais pour Ydit  n’apparaît nulle promeneuse rêveuse et solitaire-qu’on aimerait solidaire)  quand bien même, donc : pas de curiosité pour l’oublieur public.

Hiver, 8 heures : un wagon transrégional  folâtre vers le sud avec  étape dans le centre,  et la neige jette un froid comme une Paris-Limoges, l'hiver est DANS le train 08 02 12mauvaise traduction du  grec.

C’est l’époque d’exhumer des fragments de poterie, de chauffer la colle, de reconstruire la forme impérieuse d’une oeuvre. Aussi, le moment de flamber l’intérieur comme on flambe un dessert.

L’hiver venant, les livres qu’on n’a pas écrit se penchent sur vous comme des sapins au lendemain des Rois : secs et vidés de leur lumière.

 

De tout près, dans la radicale absence de torpeur et de bien-être, surgissent en même temps la voix du vendeur ambulant et celle du contrôleur. Enfin de l’humanité porteuse d’oreilles. « Vous allez à un congrès ! » s’exclame l’un, avisant la poitrine barrée du badge officiel de l’expédition OUBLIeS ?« Vous voulez un café !» intime l’autre, lui-même tiré de sa réserve naturelle par les tressautements du froid.

Aucun des deux  n’interroge, et donc Ydit répond que, oui, il voudrait aller à un café (chaleurs, papiers au sol, serveuse accorte,expresso brûlant), et que, oui, sans doute, avoir un congrès rien que pour lui (froideurs, controverses, hôtesse plissée, dîner au « petit pressoir ») serait une belle fin d’histoire.

On pourrait se faire son cinéma,cinema encore une fois, vous vous souvenez?

  • Histoire ? Laquelle, demande l’homme du contrôle, à part que vous en faites, vous, des histoires avec vos machins sur l’oubli, je vous ai reconnu, allez, hop, vous êtes ce type qui fait ces pseudo-publis que peu de gens comprennent, soit-dit en passant, ne m’en veuillez pas, hein, je vous dois ça en toute sympathie, ça ne peut vous faire que du bien d’entendre du mal, moi c’est pas ma tasse de thé, vos petits morceaux.
  • Tasse  de thé, ni de café, s’ébroue l’autre, même si Msieur Ydit…
  • P1140263ne m’en a pas commandé. Forcément, on est dans les transports, on n’est pas dans le confort serein des auteurs d’OUBLIes. Vous savez comment j’imagine votre petit dej., Msieur Ydit ?

Et puis, ce que vous dites, c’est pas faux, reprend l’homme au café, c’est plutôt bien vu, que tout ça, au fond ça fait et refait des histoires pour pas beaucoup de gens et même pas du tout beaucoup d’effets sur la marche des transrégionaux comme nous. Ya qu’à voir.

Dépecé comme un Garenne saisi par les oreilles dans le soleil de la chasse, Ydit commence à expliquer : Voilà, au fond, tout l’enjeu des OUBLIeS, on  arrive au moment de l’avouer.

Disons-le, c’est l’hiver sans printemps.

    Il est venu le temps d’oublier qu’on a commencé à vouloir être écrivain, à espérer devenir écrivain, à tenter de rêver l’écriture comme un possible, pour la trouver vite comme impossible.

C’est ça l’oubli dur de l’année commençante.

    Pas d’oeuvre, pas de livre, rien, juste des conversations de couloir avec des hommes de train, demain. Alors, on parle, à la place, on parle et on oublie ça.

Un peu comme d’autres boivent ? Tout ce qui leur tombe sous la main ?

– Un peu comme d’autres draguent ? Tout ce qui leur tombe sous les yeux ?

Les deux hommes se poussent du coude, c’est la franche rigolade du transrégional du jeudi matin. On n’imagine pas.

Ecoutez, dit l’un, je vais vous dire quelque chose, moi, parce que je m’y connais sans doute au moins autant que vous, j’ai beaucoup fait de lignes. Eh bien, cette histoire de parole à l’air comme un derrière de bonne sœur exposé dans le vent de l’oubli, ça me rappelle un machin que j’ai lu entre Montauban de Périgueux, enfin je crois que c’était entre Montauban et Périgueux, mais vous savez ce que c’est, hein, la mémoire…. Je vous le cite, même si ça vous la coupe ?

Qu’on y passe, et qu’on achève la séquence, murmure ydit,

affaibli par le chaos et les cahots du train, la culture du trainiste, et la violente certitude de s’être posé tout seul dans le piège au cœur du courant.

                                                                                            Il faut juste P1140650 (2) attendre la décrue de la présence ?

Ok, et faites pas cette tête d’un type parti pour « La Pléiade » et juste arrivé dans le feuilleton de « L’Echo du Cambrésis », c’est pas grave, tout ça, tandis qu’on a la santé, non ?..

Alors, donc, je cite : « L’idée de performance repose ici sur la revendication d’une spontanéité, d’une indépendance et d’une liberté irréductible (liberté de jouer, d’être soi-même, de ne rien faire, d’aller à la rencontre…) qui accordent au corps une nouvelle présence au monde. Cette présence aléatoire sert la représentation d’une identité mobile, changeante et joyeuse.»

Exactement ça, dit l’autre, qui pose la casquette, s’assied dans le sens de la marche, Exactement ça, et puis ajoute : « La mémoire n’a pas de poubelle. », en conséquence de quoi rien ne sert d’y jeter ses OUBLIeS froissées comme on jette des mouchoirs en dentelle tissés de pleurs de jeunes filles. Non ? Vous trouvez pas que j’ai raison, M sieur Ydit ?

Pas mal, pas mal du tout, votre coup de la poubelle, ça je dois dire, très astucieux, très astucieux, super bien placé en contre, vous l’avez piqué où ?

Fred VARGAS, « Un lieu incertain », J’ai Lu, 2013, p.46

Ah, je vois que monsieur ne se refuse rien du tout, bien qu’étant de la SNCF. Un petit café ?

Bof, on a ces petits plaisirs de train de nuit, de madone des sleepings, on ne peut pas se priver de tout.
-Et vous l’avez connue comment ?

-Qui ? l’Ydit, lui, là ? L’ombre de l’oubli ? La trace de l’omble ?

-Mais non, faites pas l’insouciant, je vous parle de la Fred, la Vargas du peuple.

-Dans les bois éternels ou Sous les vents de Neptune, je ne sais plus trop. Tout ça se ressemble un peu quand même.

-Votre réplique, on dirait une réponse dans un rituel d’initiation, vous trouvez pas ? Très IMAG2820                                                                                                                                curieux.

Le côté à la fois hermétique et véridique…  vous voyez ?

Pas trop, mais je ne suis pas baptisé…sauf à la petite goutte, tu vois le genre…

-Et, remarque « Pars vite et arrive tard », c’est un peu notre devise de trainistes, non ?

Ils rient tous deux, l’un renverse un peu de café sur la machine à pincer de l’autre, mais ils s’en esclaffent davantage.

ça va la réveiller, la Suzanne, une fois sur deux elle se connecte avec la Bourse plutôt que la base SNCF, ça aide pas pour les contrôles ! 

Il se retourne vers Ydit, réfugié contre le coin-vitre où il écrit en silence un manuel de survie. Où il se représente un bureau d’écriveur. Où il s’abstrait de sa propre contemporanéité (mais n’ose prononcer le mot inaudible au train où nous sommes )

 

FIN de la PREMIERE PARTIE, si on veut.


 

DEUXIEME PARTIE, si on peut.

Il s’est retourné vers Ydit, déplacé dans  le coin-vitre où il invente pour lui seul un manuel de survie. Où il se représente assis à un bureau d’écriveur.

Ydit, réfugié contre le  dehors proche ,

P1140717et il  se répète en silence de règles de survie. Où il s’abstrait de sa propre contemporanéité (mais n’ose prononcer le mot inaudible au train où nous sommes ).

Dans le bureau, là, ensuite, à l’aise, au chaud, fantasme qu’il écrit qu’il voyage.

Il voyage, il se lève.

Il parcourt le couloir du train, il récite des passages en Butor dans le texte, portes coulissantes, décisions improbables, imprécision de toute langue, tout ça, tout ça, le tout venant, quoi.

Contre le duo des trainistes , Ydit lève le mur du songe.

Il entre dans un compartiment vert

et bleu.

Et jaune et jeune.  Elle y est comme une belle train vers Limoges mars 2012 dormeuse                                      endormie dans un roman de Kawabata (ou presque?)

 

Il recommence son cinéma, il débite avec enthousiasme le dialogue  de Hiroshima mon mamour.

On peut écrire plus mal, on peut dire pire. Rien en se passe, on s’en doutait.

Dans le compartiment voisin,

la voyageuse endormie, 3sans effraction, il pénètre. Le sommeil est encore plus lourd. A quoi bon une confession impudique ? Personne à qui faire écouter le songe d’un récit.  Ou d’une bataille.

 

 

Mais rien.

Il faut oublier cela aussi : que  l’age d’Ydit n’est plus celui où les jeunes femme lèvent la tête et baissent les yeux, dans les paquebots, les transsibériens, les sleepings, les wagons de chemin de fer transrégionaux, les calèches. S’il leur parle, au retour elles racontent à de jeunes hommes qu’elles ont usé un bon moment à bavarder littérature gentiment avec un vieux type, ça fait passer le temps.

Oublier que cela n’aura plus lieu.

Mais, tant pis. Sans nostalgie et sans douleur, oublier que la séduction est une illusion vite dépassée. Que l’écriture de romans est un partage vite dépensé.

Serein, Ydit  réintègre le brouillard mental du voyage réel.


 

TROISEME PARTIE : les trainistes existent encore, et c’est même  pour cela que le monde tourne

Au fait, et toi, ton truc de tout à l’heure, cette parade, non, « la performance« , le texte qui a plus ou moins cloué le bec de notre Monsieur de Paris qui se dit  l’ydit de ces drames ?

Mon truc, remarque, je ne le sors pas à n’importe qui mon truc, tu l’as vu, c’est du rare et du solide (ils s’esclaffent, la tiède chaleur de la profonde vérité humaine emplit le wagon d’une douce fraternité virile, patati patata )

Bon, allez ?

– « LIGEIA », XXV ème année, n°117-118-119-120, p.186 , Edition Association LIGEIA, 2012, Article « Performances artistiques en milieu urbain : urbanités et dissonances », Alice Laguarda.

Je reconnais que ça en jette. Sinon, à part ça, Msieur Ydit, c’est toujours agréable de vous rencontrer sur nos lignes, y a pas à dire, vous faites très bien l’oublieur, mais si, ça fait un peu de vie dans nos trains, ça fait chic, même si ça sert à rien, mais faut qu’on se quitte, là,  on arrive à Moulins.

A une prochaine ?


 

EVALUATION :

T.S.O. Taux de Satisfaction Oubli : écrans dépassés par la hauteur du taux. Si – réellement- l’oublieur oublie, oublie sincèrement, qu’il n’a pas été l’écrivain, pas même su être l’écrivain de sa rue au moins. En ce cas, taux de 1000 pour 100. Mais qui le croirait : quand ydit ne dit mot ydit ment.

 

 

 

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6 réflexions sur “Comme de belles endormies dans un manga sans héros

    • D’accord, nous dînerons en puisant de la même cuiller dans des vasques de légumes baignés de crème, ou des risottos à l’asperge, mets rares de la ville toujours improbable où ne passent que des jambes (mais que faites vous dans l’entresol ?)

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  1. Avatar de Diallo Diallo dit :

    Beau projet l’oubli à NYC. Y aller vite, avant janvier prochain. The Town est en train de s’oublier dans l’assourdissante pesanteur de la neige. Moi, je vous dis ça, sans curiosité aucune.

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  2. Avatar de tartuf_rit tartuf_rit dit :

    C’est une bien jolie mise en formes et les voyages propices aux rêveries surtout celles inspirées par les visions rêvassantes permettent de ne séjourner ni chez Aragon ni chez Prévert. Même si Ydit a la main qui le dimanche parfois avant d’appuyer sur quel bouton, il nous montre qu’être barbon (c’est lui qu’Ydit) a toujours du charme dont un habile affabulateur peut se parer. Alors qu’Ydit y dit continue jusqu’à ce que Jacques arrête de dire pour dire que dire n’est ni le dit ni l’histoire. Et à bientôt le Prix de la vacuité du, des Désir(s).
    Tartuf_rit

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    • S il y a un prix que je ne viendrai jamais retirer ( oubliant le prix des deux ragots ) c est celui de la vacuité des désirs. Tartuf rit à raison : quel que soit le moment, le dur désir de durer sert de coeur,et aussi de rythme, et aussi probablement d illusion – ??

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