SPO 18 / Les voisins : des ouvriers. La table : du Formica. Les serviettes : du papier.
Temps premier, jeudi, 8.07-8.18
Aussi c’est ainsi que le récit se dit, selon Ydit.
Le cafetier (servant un grand noir) : « Alors comme ça, vous marchez dans notre région ? Vous garderez votre chambre ?»
Ydit répond que c’est une belle région pour ça.
Une jeune femme habillée d’un pauvre ventre, arrive, accroche le cafetier, l’embrasse quatre fois sur les joues , accepte un petit noisette, s’accoude au comptoir de zinc ancien, ils baissent la voix. Elle dit que de marcher c’est comme d’oublier, c’est comme d’avancer loin des souvenirs de tout le monde. Elle aimerait avoir le temps de ça, être assez riche pour. Elle comprend le double dur devoir d’oublier, déambuler. Ydit, bon prince pour une fois, renonce à lui refiler un souvenir comme un zeste de peste en pièce.
On ne peut quand même pas être nuisible avec tout le monde. Il paie les cafés.
Deuxième épisode, jeudi, 10.17- 17.43
C’est juste le plaisir de la démarche, souple et de plus en plus fatiguée avec l’heure, le chemin de l’Omission. Peu à peu : soleil, bonheur de la marche, dénivelés, sueur , endorphines, comme un nouveau printemps du premier désir : pas envie de revenir.
On dépouille le vieil homme, on le confine à la perte des couleurs.
On en pose la défroque sur le bord du sentier. Ne plus s’occuper que de rien, que de s’alléger, devenir bouffée de vent sur la nuque sale d’un Percheron, caresse en sable pour un brin d’écume.

Tiers Etat : soirée (après 22h, vous avez le code, faut passer par le parking)
Ils sont quatre à table, à côté : « 10 euros 50 avec le café, ce qui est marqué en bleu, c’est fait maison »
Les voisins : des ouvriers. La table : du Formica. Les serviettes : du papier.
C’est l’hôtel -restaurant de la place.
« Merci ». Il tend la salière. Alors, vous, c’est vous qui faites la grande balade, qu’ a dit le patron ? On sent l’air d’un soupçon.
Toute occasion est bonne, cependant, pour l’oublieur cheminant : on y va d’une petite Omission pour la route ?
Le plus jeune – il boit du coca zéro : « bon, bah, voilà, c’est que nous on travaille très tôt demain sur le chantier… »
« Remarque, dit le chauve ( il boit un quart de rouge) : ça dépend, c’est long comme histoire ? »
Ydit demande : « Quel chantier ? »
Le Turc ( il s’est dit Turc en demandant le menu à 10.50), « On peut avoir un truc sans de la viande ? »
Le quatrième, posant l’atout du menu : « Alors, c’est quoi, au fait ? »
Pendant ce temps, à une autre table,un plutôt jeune en habit de compagnon charpentier finit son verre d’eau, paie au comptoir, se fait donner la fiche
( l’affiche ? A l’affiche : Ydit !!!) puis s’installe à côté pour écouter sans écourter.
Ydit sent le frisson de la gloire lui griffer les mots dans la mémoire et des gouttes de bonheur parcourir ses chevilles : quoi, cinq d’un coup, on fait bar comble ce soir, à défaut de table rase. Bientôt il faudra un Agent ?
Des gardes-champêtres pour contenir la foule ?

Il entrera dans une légende ?
Réf : « Grand ménage de Printemps », Festival de CUCURON-VAUGINES 2016, » Générik Vapeur »
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Des billets, des hot-dogs ? De la famille pour les vendre ? |
Pendant qu’on y est ? 
| -C’est une micro-histoire, pour vous, les gars, ce soir |
| -Oui, parce qu’on travaille, demain, nous autres. |
Ydit raconte que, sortant la carte I.G.N. vérifiant un croisement, » Il a fait une photo pour l’une, envoyé un SMS vers l’autre. Plus tard, un moment de lumière dans les nuages, image à garder, il ne trouve plus le téléphone. Il y a tant de poches, manteau, pantalon, sac à dos,kangourou. Alors, il s’appelle lui-même. »
L’expression passe aussi mal qu’un texto soir d’orage. Les cinq du 10 euros 50 font la moue. Le patron quitte le zinc, s’approche : il va y avoir des trucs à raconter au marché.
-« Tu t’appelles, euh , tu te cries dessus ? »
-« Non, j’ai un second téléphone, pour le travail. Mais rien. »
– « T’entends même pas que tu t’appelles, toi, et tu ne te réponds pas ? »
Ydit laisse passer un temps, service d’île flottante, garantie origine Métro, que le patron apporte en vitesse. Il voudrait savoir comment on peut s’appeler sans se répondre. La question vient :« Et alors ?», c’est la pire.
Alors, rien.
YDIT : « Je me suis assis et je me suis raconté que j’avais atteint le but : tout oublié dans la mémoire du téléphone, plus rien, plus de famille, plus d’amis, plus de photos de route, plus de contacts sauf avec l’absence, le silence, l’oubli parfait des messages sans destinataires. La grande cassure. Une réussite d’oublieur comme les concurrents même n’en rêvent pas. Pour une seconde, on savoure l’étrange double désir de l’objet : ne pas le chercher/le chercher. Ne plus apparaître sur aucune carte.
– C’est cher , un téléphone, dit le charpentier, ça coûte pas rien.
Les six observent, l’Ydit l’oublieur qui se dit comblé. Pour un peu, ils se mureraient en tribunal. Bernard présiderait : « Accusé, tout ce gâchis, pour si peu ? »
Ydit parle, vite, vite : « Non, il n’est pas resté assis au bord du chemin, comme soudain jouissant d’avoir accompli d’un coup unique le projet d’oubli, par ce geste manqué tant réussi. Oui, certes, puissante, savoureuse, sucrée, la tentation du retirement. Allez, assez joué, on en reste là ?On ne touche plus aux plis des cartes et des mains ? L’attrait du retrait, oui, bien sûr, et cette perte aurait été un signe (le destin ?) : le moment de tout arrêter était venu. 
Mais, continue l’oublieur, avec de grands gestes, mais cela ressemblait à une crise cardiaque de la mémoire. Moi, ce que je veux, c’est lentement savourer les glissements délicats de l’oubli, l’un après l’autre, grâce à des amis comme vous. »
Amis ? Faut le dire vite, expriment les regards. Pas clair tout ça. Puis, ce mec, il charrie, tu parles d’une histoire, tout ça pour un téléphone perdu, c’est des sous, d’accord, mais …
–Donc, j’ai rebroussé chemin pour retrouver la mémoire, enfin, je veux dire le téléphone. Je m’appelais de temps en temps, mais je ne m’entendais pas . Finalement, après plus d’une heure de retour sur mes pas : l’éclat de l’écran sur le chemin de boue .
L’ombre qui restait de moi a repris contact avec les ondes du monde.
– Et, je comprends toujours pas, excuse, on n’est pas de la ville, mais t’étais content de le retrouver, ou pas, au final ?
Ydit hésite sur la formule, le patron commence à desservir ( les tables et l’histoire) , il ouvre à 6h45, les jours de marché, sur la place : « Ydit ? Alors ? Content de revenir?»
« Alors, OUI, content de retrouver,mais vous savez, c’est banal, je préfère m’en occuper moi-tout-seul, et, prenez-le comme vous voulez…
je n’aime pas qu’on m’oublie à ma place.
Un grand noir au bar, une carte mémoire perdue pour la retrouver. Merci de sauvegarder tes oublis sur le dur de la mémoire vive.
La bise en couleurs
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Un manteau rouge sur fond vert et Un téléphone dans la boue serait-ce une version moderne ( pas moins scandaleuse) du » Déjeuner sur l’herbe » ?
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Cher Ydit, à ce tribunal populaire et international (y a un turc dans le jury comme il pourrait y avoir un cheveu dans le potage), il manque un avocat. Un avocat omis naturellement, c’est à dire qui a mis entre parenthèses momentanément sa carrière, une sorte d’épochè. Il ne manque pas de ces cabotins trop sensibles aux rappels du public et donc incompatibles avec ta démarche.
J’attends de toi Ydit que tu nous livres ta recette des glissements délicats de l’oubli, et les sensations savoureuses qu’ils te procurent.
Vite la suite…Amitiés.
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J’aime beaucoup cette idée de l’avocat omis d’office, je ne jure pas de ne pas la reprendre, sans droits…merci surtout de ces patientes lectures !
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s’appeler et ne pas répondre, c’est tout simplement royal!
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Dans nos amitiés, c’est plutôt : épeler et ne pas s
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Bon : épeler et ne pas s’épandre.
Mais c’est une toute autre histoire : évidemment, il;y aura ici des échos – lorsque je serai « honoraire » !
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Oui, je fais souvent cela, ça me fait des vacances …
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