Séquence Publique d’Oubli, la 27.
L’été, t’es de la police ?
(Petite visite à la Brigade des faits mineurs, en attendant qu’ils grandissent, ce qui ne saurait tarder ?)

« Allez-y »dit simplement la voyageuse de métro. Ydit tient le portillon qui découpe l’espace entre ceux qui passent et ceux qui restent. « C’était pas la peine» , ajoute YDIT , comme souvent. Souvent, ce n’est pas la peine .
« Parfois, cependant la peine rôde », commence à tue-tête Ydit pour appâter un auditoire toujours fuyant comme une truite le jour de l’ouverture.
YDIT raconte : c’est la 27ème Séquence publique d’oubli, la dernière de cette légère succession de légèretés qu’on nomme l’été, comme il convient lorsque le soleil encore n’est pas éteint : « Légères en août » / « Lumières en août » ?
Il dit que « le patron Blaise Hortus était entré ce jour-là dans son bureau avec l’air grave et une lettre dans la main gauche (dans la droite, la cigarette dont il se déprend tous les deux mois )
Le patron s’était assis dans le fauteuil visiteur, l’avait fait tourner sur lui-même. Le patron était joueur. A l’ordinaire, il flattait d’un doigt aigu les dessus d’un bouquet. Aujourd’hui, il avait tendu un courrier vers YDIT.
Réflexe banal : quel niveau de puissance martelé par l’entête ?
Ydit raconte qu’ilprenait les mots à toute vitesse : Ministère/Intérieur/Préfecture/Brigade/Convocation : « Les consonnes sonores du pouvoir savent propager leurs frissons jusqu’aux innocents lorsque la démocratie n’est pas si sûre d’elle-même. »
Le patron avait haussé les épaules à cette remarque inutile : « Moi aussi, on me convoque ». Ydit et lui avaient alors essayé l’impossible : trouver parmi leurs méfaits « l’affaire vous concernant ». Tant de possibles dans ces fonctions qui étaient de décider pour tous, malgré la pression de certains.
Dans le métro, la passagère de couloir s’étonne, regarde la silhouette droite d’YDIT, son visage encore bruni par l’été des montagnes : il ne sort pas de prison.
Les portillons du métro s’ouvrent plus facilement que les dossiers secrets de la mémoire.
« Et,dit-elle, vous ne saviez pas du tout ce que vous aviez fait ? ».
Comme Blaise Hortus à l’époque, YDIT lève les épaules :
– « Sait-on jamais ce qu’on a vraiment fait ? »
-« Tout de même, réplique-t-elle en laissant retomber le portillon, vous n’espérez pas nous rejouer un coup de Kafka ? »
YDIT sourit : « ‘Le Château’, il dit, Le château, c’est celui des rentiers » interloquant ainsi la passante amène qui s’écarte : on n’est pas sur la quai pour faire de la politique , sinon où va-t-on ?
L’ORATEUR : « Donc, j’ai répondu à la convocation »: 27 rue des rentiers, Paris 13ème. A midi. il avait frappé avec douceur et sens de la patrie ( de la loi, de la nation, du code pénal…).
La Brigade : Ydit ne sait plus très bien comment on l’intitulait :
« Brigade des petits délits mais ça peut-être grave si on insiste un peu » ? ...
« Brigade de la Citoyenneté des personnes incertaines de leur droit et alors faut voir » ?.. « Brigade des faits mineurs, mais on ne va pas les regarder prendre de l’âge sans rien faire » ?
A l’intérieur la femme de l’Intérieur lui avait commandé : d’entrer, s’asseoir, montrer sa convocation, poser sa pièce d’identité sur la table, ici : examen, pas de doute !
Par précaution préservative, YDIT s’était agrémenté de sa bijouterie républicaine : distinction colorée au revers gauche de son veston droit. Cravate assortie. Quitte à plonger, autant avoir le costume ad hoc et les palmes. Dans les camps de fantasme, les papillons d’OubliEs se prennent aux rets des barbelés. On n’en fait jamais assez pour assurer leur vol en liberté.
Elle le regardait . Ydit raconte qu’il cherchait son grade, mais elle ne portait pas d’uniforme.
La kapitaine lui expliquait, indifférente parfaitement, pourquoi il était délictueux.
Rien qu’à ce mot il se sentait mafioso de Palerme exilé dans le vingtième parisien
.
Dans sa fonction, Ydit avait été averti qu’une association estimée dangereuse par le ministère des polices tentait d’augmenter son emprise en établissement. Elle proposait des conférences gratuites , diaporisées de frais, parlées en couleurs, baignées des Lumières de la Pure Vérité autant que de véritable jus de fruits, assorties de citations

Entrer une légende
et de petits fours- en général de très bon traiteur. Elle faisait comme si l’été restait à venir.
Exposition Martial Raysse, Beaubourg 2015
Rieuse et pas frileuse, simple et bien diseuse, la dame prêtresse savait toucher l’essence, sinon l’esprit. Après, quelque rétif qu’on fût, ou futé qu’on se crût, c’était paraît-il foutu.

La solitude de l’alone au moment de la traite
La Kapitaine s’était levée, elle avait demandé : « Donc, vous avez écrit aux établissements ? »
Ydit répond que oui, selon précisément les informations du ministère des polices, le même qui justement l’avait ce jour convoqué, que donc….
« Pas la même Brigade », dit -elle. Elle lui avait remis un document, pointant du doigt un passage en corps 8 ; tout en bas.
Puis elle s’était levée, lui tournant le dos, le temps qu’Ydit réfléchisse sérieusement à tout ça, pendant qu’elle jouait un peu avec les accessoires juste pour rigoler.

Du mobile dans les pinces ?
« Il fait toujours réfléchir à ce qu’on a fait, surtout si on ignore l’avoir fait » dit-elle « L’inverse est également vrai, au fond » avait-elle ajouté, prise par une rêverie poétique de bon aloi dans le bureau de la Brigade…
(« Brigade des Libertés Publiques , pas menacées, mais on ne sait jamais, mieux vaut se méfier »)?
En corps 8, en bas de la page , sous la signature d’YDIT, deux mots : « classement : sectes ».
Ydit avait levé les yeux. « Vous l’avez eue comment ? » Elle haussait les épaules. Ydit, on le connaît un peu mieux désormais ( et on le regrette), arrivés qu’on est à la 27ème Séquence d’Oubli. Il s’était dit que, dans le transparence de la fenêtre, bureau du 13 ème étage Brigade rue des rentiers, Kapitaine aurait aussi bien pu se mettre dos nu : opportun et sans doute agréable rappel de l’été.

le dos nu de Kaptain, pour une autre fois ?
Mais s’il lui avait demandé, la réponse aurait été d’un mot : « Non».
Pour une autre fois ?
Ydit continue : Elle s’était retournée. Elle devinait sans doute ce qu’il avait pensé, car elle avait auparavant été lieutenant dans la « Brigade des faits intérieurs à ne pas laisser sortir n’importe où ».
« La question n’est pas de savoir si on se montre ou pas dos nu sur des photos quand on est Kaptain ! Vous connaissez mon métier ! Vous avez vu mon brassard ! ». Mais on sentait qu’elle se retenait un peu de rire.
« Alors- avait-t-elle poursuivi ( c’était son métier) : le corps 8 ? »
Désormais détendu par l’image du dos nu, YDIT s’était dit qu’un corps 8 avait toutes les chances d’échapper à un bracelet de 15. Il pouvait s’en sortir. Bien sûr le mot « sectes » n’aurait jamais dû figurer sur le courrier, il avait expliqué : simple indication de classement/archives, hélas non effacé avant l’expédition.
« Avec votre job, vous relisez pas ? C’est bien écrit ‘sectes’, et l’association a porté plainte pour dénonciation calomnieuse. Voila. Coincé.»
L’Orateur dit qu’il avait souri : « Ça allait chercher dans les combien ? Et puis, au fait, c’était bien le ministère des polices qui… »
Kaptain l’avait coupé d’un geste vif, du genre « Cherchez pas », mais non-violent ( elle avait fait l’Ecole des officiers après sa licence) : « Ok, ok, mais il y a écrit ’sectes’. J’y peux rien. Faut pas écrire des choses comme ça, avec des gens comme ça. Faut s’en méfier . Vous devriez savoir».
Elle avait ouvert les bras, résignée. « Des gens comme ceux-là » : il était sauf. La bonne carte, la bonne fille, le bon droit.
Son fameux bon destin.
YDIT ( et l’orateur le raconte avant même que l’auditrice le pense) , lui, n’aurait pas répugné à se faire consoler dans les bras généreusement ouverts de la kaptain, tel un réfugié afghan sorti de ses montagnes, un saint-bernard échappé de la SPA, un pré-délinquant repenti. Ou même un trader ayant perdu des milliards par inadvertance.
« Bon », avait-elle dit, en se forçant à ne pas exprimer sa bonne humeur. Puis : « Bien ». Ydit avait pensé : on progresse. Puis s’adressant à lui, comme depuis le début, sur le ton de la maikresse de CM2 le jour de la Morale : « Sur le PV, on met que c’est une étourderie ? Pas d’intention de nuire ? ».
Ydit se demande s’il faut lever la main quand on veut aller aux toilettes, mais il se redresse sur son siège, vérifie que ses culottes courtes sont bien propres et ses doigts dépourvus d’encre bleue ( celle qui ne s’en va pas au lavabo du préau)(même que ça fit des taches sur le mot ‘sectes’). « Oui, Madame, c’est une étourderie je le ferai plus, promis, croix de bois… ».
Il échappe à la mise au coin.
Kaptain, qui a bien fait son travail, le réconforte et fait de gros yeux, mais pleins de compréhension. Elle passe le P.V. Il signe. Encore un innocent attaqué par des sournois , mais préservé par la «Brigade de la Répression de la Délinquance Astucieuse », (qui existe et dépend de la PJ.)
On arrive presque à 13 heures.
Avec toutes ces bêtises on s’est mis en appétit.
Ydit rend le papier, se lève, tend la main :
« Kaptain, qu’est-ce-que vous faites pour déjeuner ? »
Didier JOUAULT
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Même aventure, mais c’était un homme…et de plus, j’étais convoqué avec mon épouse. Coincé!
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Toi, convoqué par la police autre que celle de Vichy ???Je n ‘ose imaginer pourquoi …
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