Yditblog. S.P.O. 37-3 / La nuit est rose quand le cauchemar se meurt.

Yditblog  S.P.O.  37-3  /  La nuit est rose quand le cauchemar se meurt.


Désir et terreur, parfois (aujourd’hui encore) l’amour et la mort m’éveillent à leur lumière.

« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face », écrivait le Duc.

 YDIT  :           ydit-oublies-badge-tendu

‘L’amour ni la peur ne se peuvent éprouver de front. C’est bien pour ça qu’on est forcés de glisser des jeunes filles vues de dos dans toutes les oubliEs, on ne peut pas échapper à ça :

le désir, la fuite, la peur et l’amour dans l’ennui des bruits de la nuit.’

Ydit est au Bar des Amis. A voix basse parle dans le smartphone. Le patron l’examine.

C’est quoi votre nom, déjà ?

Ydit.

Didi ?

Non, Ydit, déjà dit, pas Didi, personne ne s’en souvient jamais, Ydit comme « Il dit ». C’est pas Lulu de lupin, pas Fanfan de Souvestre, c’est Idi.

Ouais, ça va, ça va , j’ai compris. (Il réfléchit, essuie un verre). Ah ouais, c’est le mec de Facebook ?

Mais pas seulement !

D’accord, mais c’est pareil vous êtes le mec du blog.

                                                           yditblog.wordpress.com

Yes, le mec qui dé-blogue, c’est moi

ahahah, vous vous  croyez un petit rigolo ?

Un consommateur, noeud papillon noir, gants blancs :      Vous frappez pas, ils sont tous comme ça, dans cette boite.

aux-trois-maillets-resto-a-belfort

D’ailleurs, c’est pas réellement un blog. Plutôt une boite d’oublies pour  vendeuse d’historiettes ou d’allumettes

Avec vous, on comprend rien à tout, marmonne le patron, et puis c’est jamais  ce qu’on croirait que c’est mais c’est quand même comment c’est, un peu , non ?

En gros, oui.

Le patron grogne, lève le verre dans la lumière.

Ouais, en tout cas, eh bien, des mecs de blog comme vous on n’en veut pas trop dans l’hôtel, si vous voyez ce que je veux dire…Non ?…Vous voyez pas ?…Allez, va, les filles en short qui tortillent l’arrière et les autres habillées en très légères devant la fenêtre, bah non, je veux pas m’attitrer des ennuis avec les consommatrices, vous comprenez ?

Pas bien.

Moi non plus, je comprends rien à votre truc, pour avouer, et c’est même pas des histoires que vous racontez…et on n’est pas sûr que ce soit vous. Tiens, faites donc un peu le Ydit, pour voir, de fois, si c’est bien vrai ?


Alors, Ydit fait le Ydit. Ydit oublie.

N’oublions pas en effet que dans les faits l’oubli est le jeu d’YDIT .


Ydit : lupin-devanture-grevin-salueLe mercredi soir, j’allais chez la grand mère  TOFFIN. C’était à Pierrefitte,  banlieue déjà pauvre, mais animée par les passages fantômatiques des petits travailleurs  blancs dissous depuis dans la fusion brûlante du progrès social.

Elle habitait deux pièces en rez-de chaussée d’un ancien corps de ferme, ou de bâtiments de rapport pour les ouvriers. Une cour en rectangle, pavés disjoints, cagibi toilettes dans un coin, s’ouvrait – avec trois marches- sur un jardin de curé devenu jardin ouvrier.

Mais tout cela est une autre histoire, celle de la grand-mère TOFFIN. J’arrivais à pied ou en bus, selon la saison, après l’école. La grand-mère m’achetait parfois des « livraisons »,  m’autorisait à lire ses Zola, à écouter les « Maîtres du mystère » à la radio. arsene-lupin-gentleman-cambrioleur-la-main-menacante

Elle s’amusait à me faire gentiment peur.

Pour que je grandisse, si possible, dans la même terreur qu’elle entretenait soigneusement devant la vie.

Je veux oublier cela : les couvertures et les images des premiers « Lupin », qu’elle avait conservées malgré le naufrage conjugal, sans doute. J’ai appris la vérité de la littérature dans le creux de ces images simples et dures, des illustrations sans fioritures, toutes d’effet direct et de cible nette : l’émotion trouble des inquiétudes que la lumière jamais ne dissipe.

Je lisais un peu dans l’unique chambre, glaciale.et-fantomas Il n’y avait pas de chauffage, la municipalité ensuite distribua des couvertures chauffantes avec – sans doute- l’espoir de se débarrasser de quelques vieilles par carbonisation sociale, raté, la grand-mère TOFFIN résistait, et je n’avais chaud qu’au moment – tard venu-où elle se couchait à son tour dans le seul grand lit, celui que je partageais avec les délices du réchauffé.

Les délices du réchauffé : toute l’aventure des « OUBLIeS »

Salut les contes, mais cette grand-mère n’était pas un loup déguisé. Une louve défrisée, plutôt, tueuse moderne à sa façon.Copie de Photo 074 Je lisais un peu et surtout, avant qu’elle arrive, je me perdais au fond des images de l’horreur en papier. C’est ainsi que la littérature m’est venue, pour se protéger du froid de vivre.

omissions-femme-debout-mptDes rideaux sombres s’ouvraient sur des poignards menaçant de translucides jeunes femmes. Du dessous de lit, surgissaient soudain, bondis au milieu d’un graphisme naïf et redoutable, des ombres en frac, des meurtres en vrac, des tués en sac. 2-couvertures-fantomas-terreur Lupin et Fantômas, les rois du mal en jaquette, les dieux du stade élégant de l’extermination. Ce qui me roulait dans l’horreur, c’était l’impréparation définitive des victimes sur le point de se faire assassiner avant même d’avoir le temps de tourner la page : au mieux un geste charmant pour se protéger de l’assassin, le plus souvent, rien que le perpétration brutale de l’acte final. Voila comment j’ai découvert ce qu’est un lecteur à la merci du moindre coup de texte.

Des ombres souples quittaient les draps pour se balader sur les murs dans la pâle lumière de l’unique lampe. Un cabinet troué dans le mur (plus tard source de découvertes) ne fermait que par une tenture légère, usée, qu’il me semblait voir s’entrouvrir dans le surgissement d’un bras doublement orné d’une manchette en celluloïd et d’un Laguiole voué à d’autres découpages que le steak- d’ailleurs rare chez Grand-mère TOFFIN.

« Il eut l’impression qu’il entendait le respiration de cet être et même qu’il devinait ses yeux, des yeux étincelants, aigus, qui perçaient les ténèbres comme des traits de feu, et qui voyaient, eux, à travers ces ténèbres »( Maurice Leblanc, 813, Livre de poche, 1996, p.123)

Depuis la fenêtre entrouverte sur le néant du dehors (et maintenant je place toujours devant l’ouverture une jeune fille en vigie, si possible désirable, pour détourner la pointe !) le poignard du rêve

passe dans la chair du texte. Lupin, Fantômas, un vivier vivace d’impitoyables cauchemars. Ces deux-là, et leurs avatars, n’ont jamais fini de traverser mes ombres…

Dans la nuit, je crie, la Grand-mère TOFFIN rouspète, à dix-douze ans faut dormir, faut pas rêver de voyages

et de pause en terre sainte, faut dormir,  je gigote comme un asticot ( elle ignore que c’est l’asticot nourri du cadavre de texte), je me lève en sueur pour vérifier la fermeture de tout partout et tout le temps–elle grogne ‘mais tu vas pas te coucher? ’ et la glaciation en cours dans la chambre me ramène au lit. J’y retrouve les images et les mots de la peur, ceux qui savent ne jamais quitter les terres incultes de la nuit.

Plus tard (mais ce ne sera pas une «  oubliE ») une revue littéraire m’enverra suivre une journée de travail des «  Amis d’Arsène Lupin », à Etretat. Un chèque en plus. Quand je lis ou entends, maintenant, certains de ceux qu’on y voyait exposer leur talent et leur savoir, je pourrais me dire (et ce serait une belle « OUBLIe») que j’ai raté parfaitement mes diverses carrières d’écriture (et maintenant je place toujours dans l’écriture  une jeune fille en vigie, si possible désirable,lupin-galerie-gros-plan-rectif-moustache pour détourner le regret !) : ni chroniqueur, ni dramaturge, ni poète, pas d’essai ni rien : toutes les portes – finalement nombreuses- que le vie m’a ouvertes sur les chemins de la carrière d’écrire, je les ai traversées comme on passe le couteau dans la fenêtre,

avec le jeu des images auxquelles on ne croit pas, mais qui vous noient dans la sueur de la terreur, ou avec l’insouciance rigolarde ( une attitude « farce »comme on dit chez Lupin) d’un qui n’a aucune raison de croire que cela serait pour de vrai possible. Une silhouette de vendeur en bonbons dans la boite à Joujou.dj-trentenaire-stage-ps-1-rectifiee

La leçon d’Arsène, sur le tard ( car il apprit à devenir gentilhomme ), c’est que la vérité reste à jamais secrète : dans une aiguille creuse, derrière les masques, sous la cape du cambrioleur cruel où le gentleman cache un cœur de midinette, rien ne se dévoile, finalement, sauf l’effort inutile du dévoilement.

Fantômas, pure incarnation répétée du mal permanent (coup de génie !), m’apprit que en tout art—et encore plus que nul autre en la littérature- la béance oblongue de l’œuvre n’ouvre que sur l’espace noir de la pure terreur : après mes lectures, des cauchemars identiques m’ont éveillé. Poursuivi dans mes nuits par des redingotes et des hauts de forme, j’étais violemment attiré par l’ouverture ovale et sombre que les bouches d’égout, alors, découpaient à l’horizontale dans les trottoirs de pierre. Ligne de fuite, creux de refuge mais dégoût radical de ce que l’égout révèle contient.

« Ah, et quel joli souvenir…un peu triste, mais si joli ! «  ( Leblanc, 813)

Impatient, le patron (qui est aussi psychanalyste) :

-C’est pas toujours un peu comme ça dans la vie ?

Dans les SPO, oui. D’abord, la terreur de la nuit, le cauchemar, puis le charme du souvenir, les fenêtres protégées du blizzard par les cœurs peints des femmes, les puissants roulés dans la farine du récit…Le Jules au chapeauphoto du silence

-Non, la vraie vie, je veux dire

La vraie vie ? Même Maurice LEBLANC y croyait trop. Ecoutez :

Ydit fait parler le smartphone:

« Souvenons nous de cet aveu, qui n’avait rien d’une coquetterie d’écrivain : ‘ c’est dur, il me suit partout’. A son ami le docteur Maurice Delort, qui lui dit, lors de leur première rencontre : ‘ Vous êtes donc le père de cet Arsène Lupin qui m’empêcha si souvent de dormir ?’, Maurice répondit bien sincèrement : ‘Croyez bien qu’il m’a souvent empêché de dormir moi-même ‘ »(*)

Devant les fenêtres, c’est comme les attrapeurs de rêve de Indiens d’Amérique,

c’est pour barrer les mauvais esprits.spo-fille-a-la-fenetre-nue-debout-de-dos-par-jesus-garcia-puertas-avec-amalia-ferrer-sillero-graphe-oublies

-Vous l’aviez pas déjà dit, ça ? Sinon, je vous sers quoi, en conclusion, m’sieur Ydit ? Un canon de rouge ?youre-never-too-much

-YDIT : En conclusion, vous savez bien, mais si, vous savez bien : la nuit est rose quand le cauchemar se meurt. Désir et terreur, par eux la littérature vient aux enfants, et parfois, aujourd’hui encore, l’amour et la mort m’éveillent à leur lumière.


(*) Jacques DEROURARD , « Maurice Leblanc, Arsène Lupin malgré lui », Librairie Séguier, 1989, p.-550-551


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Yditblog

                                                          Didier JOUAULT

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4 réflexions sur “Yditblog. S.P.O. 37-3 / La nuit est rose quand le cauchemar se meurt.

  1. Avatar de Jo DelmaS Jo DelmaS dit :

    J’ai aimé me perdre dans les méandres des OUBLIS où le noir des nuits devient parfois couleur espoir. Je me suis souvent perdue sur le chemin initiatique tracé par Ydit ; j’ai voulu croire qu’au bout de la spirale sorte de tunnel aveugle qui dégringole de ma vie je pourrais être juste un peu éclairée. Mais au soir de ma vie je ne lutte plus dans mes lectures qui parfois me transportent tel un bagage vite rempli dans une nouvelle aventure : demain. On ne peut pas OUBLIer demain qui n’existera peut-être jamais.

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  2. Oublier demain, c’est comme de rêver d’écrire un e histoire de l’avenir. Heureusement, l’Arsène reste le roi des passe-passe, capable de toutes les illusions, y compris la principale ( clé majeure de son oeuvre ) : croire qu’on va trouver, si on déchiffre bien…

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