Didier Jouault pour Ydit blog Séquence Publique d’Omission n°43 : Et ta civile, on l’appelle La Poste ?

 

 Et ta civile, on l’appelle La Poste  ?

Sur le quai ,

germaine-et-billets-v2.jpgla rouge constance de Germaine, et sa civile.

«Bah mon Ydit ! vous avez l’air tout penaud, c’est pas drôle! Paraît que vous avez perdu quelque chose ? Pas votre mémoire, j’espère? Avant, vous ne perdiez jamais rien hormis votre temps. »

Ydit : « Avec les jours, s’estompe la vigilance du détenir. Les objets oublient eux aussi de peser. »

Germaine s’amuse, « Oh lala , c’est encore des grands mots des petits jours, mais qu’est ce qu’il a notre Ydit à faire cette mine ? L’histoire des OubliEs, c’est justement le projet de ce bonhomme Ydit, si elle a bien compris, non ? »

Ydit : « Une amie m’avait prêté la maison de famille, grands-parents fermiers. J’aime marcher sur les plateaux de terre forte entre les hameaux à caractère de brique. »

Il n’y a pas que ce coquin d’Ydit le coquet à caqueter sur les quais : Germaine continue à renseigner des voyageuses :« Vous prendrez bien un 14h12 ? »

« Dans le hameau vivait la tante, elle décrivait les lieux où croiser l’Histoire dans les chemins et les temples, et les coins de foret où se mettre au désert, car  ici Dieu était protestant. 

parfondeval

Parfondval église fortifiée

Parmi la maison émouvante par ses vides, les objets patientaient sous la peau de peintures vieillies, comme un muscle frais endormi de fatigue. oubliEs grand écranVous voulez ma photo ? »

Germaine demande si ce n’est pas troublant, habiter l’intimité des absents?

Ydit :« C’est comme ouvrir un livre déjà lu par un autre inconnu, et d’y trouver les pages cornées, un passage souligné au crayon bleu, une tâche de sueur ou de larme, une image d’enfance laissée en marque-page. »

Germaine : « Pas de l’oubli en paquet ficelé, aujourd’hui? M’étonne! D’habitude, quand je vous croise inquiet sur un quai, vous terrifiez le narratif … »

Ydit, caressant  justement le narratif : « Le deuxième jour,  sur les cartes de la Tante, il trouvait une large promenade, entre des hameaux à histoire de fer. Au soir, fatigué, il avait voulu gagner un bourg pour  du pain et des fruits. »

Germaine, mutine : «Et même peut-être bien des filles aux fenêtres?  Sans elles on dirait vos OubliEs bancales, des tableaux de Dali sans apparition de Lénine sur le piano. » 

Ydit raconte que tout était clos. »C’est à cause de cela, à cause des boutiques et fenêtres closes le soir, qu’il ne s’est aperçu de rien, même pas du passage d’un chat dans les roses ».  deux chats dans les roses

« Aperçu de quoi ? »  demande un  jeune homme. Désormais, comme parfois, un ou deux voyageurs se sont approchés. Que faire dans une gare, sinon écouter les récits d’oubliEs ?

Ydit : « Le lendemain suivant, il devait rejoindre l’aimable Tante pour visiter un temple-musée. Soudain : le porte-carte, passeport, paiements, billets, tous ces fragments d’identité ou d’échange, absent. Perdu ? Pourtant  pas sorti la veille dans le bourg éteint. »

Ydit raconte qu’ »il a dépouillé les bagages, traversé le lit par en-dessous, presque démonté la voiture. Rien, hormis 3,47 euros dans la poche du pantalon. Démuni. Seul. Innommable. »

Le public, en chœur, attentif : « Quand tu n’as plus rien, tu n’es plus rien. Mis au chômage de l’existence. C’est ainsi chez nous. »

Ydit : « La si longue randonnée d’hier passait  par des layons  larges. Il avait pris la voiture, lentement roulé en sens inverse. Au pied d’une pente, un chemin herbu, mouillé des pluies nocturnes. Ydit conduisait d’un regard, et d’un autre creusait l’ombre des arbustes pointus, cherchant l’objet. La terre glissait, les pneus glaisaient, le temps patinait, l’avenir s’annonçait embourbé.

Plein désert et « zone blanche » du téléphone. Perdu, bloqué. Pas de papiers, pas de chemin, et personne pour parler.P1180831

Une patiente passante  de gare estime que « C’est un peu la leçon de la vie en vrai : souvent, insister, c’est s’embourber, non ?». germaine et voyageuse sur le quaiGermaine dément : « Insister, c’est tracer le rail. » La controverse s’éteint avec le 14h32.

« N’empêche, reprend Ydit, pour  repartir,  cueillir des pierres et des branchages, les glisser sous les roues,  les mains dans la boue, entendre du moteur qui ronfle, de la peur crissant au coin des yeux, ça patine. »

Germaine : « Vous avez failli y rester, hein, Ydit ? Ca vous apprendra!»

« Sur la pente, à reculons désormais, deux mètres en avant, trois en arrière, les pneus cherchaient le sol plus stable du bord, la sueur aux tempes, et les flancs gris de la voiture portent encore les griffes des arbres, qui ne sont pas que des rêves de pointes.

Ensuite, il avait remis la voiture devant la maison, dépassé l’atelier où ne veillait qu’une peigneuse de temps « …

la jeune peintre dans la vieille maison A MAYNET

l’inépuisable temps de André Maynet

et repris à pied les chemins d’hier, courant presque.

C’était trop long. Là, une butte portait une église et un cimetière la longeait comme jadis, épargné par l’Etat-Civil, histoire encore de Protestants.

Ydit avait visité l’une et l’autre, la veille, parce qu’une plaque du village indiquait la maison de naissance d’un voyageur de ciel. mémoire d'aviateur

Il faisait chaud, il avait posé la veste près de la tombe.

Mais, aujourd’hui, dans la recherche des cartes et de l’existence, il avait écouté la paresse qu’est toute précipitation, et choisi de ne pas monter à nouveau vers l’église sur la butte.

Le public s’est éclairci, on dirait lui aussi saisi par l’urgence.

«En somme, dit Germaine, boucle bouclée, rien retrouvé, 3,47 euros en poche, et beaucoup de ridicule. »

Ydit continue en disant que, « au retour, bienveillante, la Tante d’amie  l’avait regardé comme une institutrice un sale gamin ayant perdu les bons points. Il fallait quitter la maison, faute de vivres, et pour les fastidieuses démarches. Elle avait un peu d’argent, qu’elle lui avait prêté, pour au moins l’essence. Il ne restait rien pour un cadeau. »

Les trains, sur le quai, eux aussi sont partis. Ydit est seul. Germaine s’impatiente un peu : « C’est tout ? »

Ydit que non, bien sûr. Deux jours après, au téléphone, une voix portée par un accent de terre et de brume. « Est-ce bien lui ? » C’est bien moi !

Une adjointe au maire, là-bas, fleurissant une tombe, a trouvé ceci, qui devait y être depuis trois jours. Heureusement qu’il a pas encore plu. Avec, bien sûr, dans le porte-carte, l’adresse. La suite est facile.renaissance postale

Le paquet arrive. Evidemment tout y est, le moindre billet. Surtout, les identités.

La Poste livre l’existence, et la Mairie de Roquigny refonde  l’Etat-Civil. Re-né. Dizy , Ydit, Dizy doncComme aurait dit le cher défunt, auprès de la tombe de qui on a retrouvé l’objet perdu.

Dizi : c’est ici, Ydit pour parler du dire!

Germaine : « Avec vous, Ydit, ce qui est casse-pied, c’est qu’on ne sait pas si vous inventez les trucs, ou si c’est le hasard qui vous les offre. »

               Ydit répond que oui, et depuis toujours,

le hasard aux yeux bleus  étonne, donne, détone.

Mais, ici tout est symbole, puis-comme on sait- avec ce bazar  des histoires de hasard, difficile d’être objectif,  à l’indicible nul n’est tenu.

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12 réflexions sur “Didier Jouault pour Ydit blog Séquence Publique d’Omission n°43 : Et ta civile, on l’appelle La Poste ?

    • Ouh la, Serge, voila que je n’ai pas lu les commentaires depuis tant de jours…Depuis, on a déjeuné ensemble, et tu constates que l’hypothèse du fusil est définitivement écartée ( et ne s’est jamais posée !), juste le goût des images .Quant à la ferme -sauf erreur- ce n’est pas un de tes bons souvenirs, non?

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  1. Avatar de François BICHARD François BICHARD dit :

    Ydit :« C’est comme ouvrir un livre déjà lu par un autre inconnu, et d’y trouver les pages cornées, un passage souligné au crayon bleu, une tâche de sueur ou de larme, une image d’enfance laissée en marque-page. »
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    François B.

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  2. Avatar de Michel Michel dit :

    Manque de chance ! J’ai commencé à lire le livre par la fin et, ne suis pas encore arrivé aux pages cornées… Mais, comme j’ai oublié la fin, je ne désespère pas de connaître le début…

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