
Vifs remerciements pour Alain LABOILE, Album « La Tribu »
Ydit : « Le chat se fait les griffes sur tes bouts de pied ? »
La jeune voisine ne répond rien, elle pend le chat par le col.
Ydit : »Tu n’aimes pas les chats? » L ‘enfant s’arrête de jouer : « Elle aime pas tellement les voisins, non plus, remarque, surtout que tes photos sont moins belles que papa ».
–Ton père est beau ? Le mien est mort ! Et alors quoi ?
La voisine lève les yeux au ciel : « Tu sais que tu nous comprimes l’air avec tes alexandrins boiteux ? ça ressemble à un pingouin envoyé sur la dune. » Elle demande s’il a trouvé le gros sel ?
– de la vie ?
– de la terre, tu m’atterres, Ydit, c’est pas pour le sel que tu es venu ?
Ydit :
« Ton pied, le chat, soudain ça rappelle ma grand-mère. Sauf que c’est un chien ».
La jeune femme dit qu’elle a du travail, enfin tout comme ! L’enfant ferait bien une partie de GO, Ydit veut bien ?
Ou alors des photos ? »
Ydit que « la grand-mère maternelle avait mal aux pieds et du vague à l’âme.
Quand je venais, Ydit raconte : le jeudi, à pied depuis le bus, c’était encore presque la campagne.
Elle habitait un rez-de-chaussée ombreux derrière une large porte fermière sur la rue de Paris. »
L’enfant regarde les photos et va dire qu’elles sont moins belles que son père fait. La voisine répète qu’elle va pas mettre ses pieds dans le même tableau, le chat saute sur la table, Ydit est sorti sans son badge « OubliEs » : c’est un peu gravement fouillis.
Ydit : « C’était pas un manoir, c’était comme des corps de ferme le long d’une cour à pavés disjoints où le pied butait. »
La voisine, d’une pièce non moins telle, aimerait qu’il ne fît pas son Marcel ?
Ydit : « Deux pièces jadis rurales, au fond de cour, des marches donnaient sur le verger d’un propriétaire, interdit aux manants, aux passants, et je tremblais de froid-peur dans le lit où elle m’accueillait faute de place. Le jeudi, Ydit dit, le jeudi je lisais Fantômas et Arsène Lupin »
La voisine, de plain pied- demande s’il, enfin, le sel, il l’a ? L’enfant s’il va jouer aux échecs ? le chat tortille sa mutité, un regret dans le regard, et on peut estimer certaine l’augmentation tendancielle du taux de bazar sans hasard.
Ydit : Elle se prénommait LOUISE,
Son mari commis d’inspection la déclare dans le village du grand père, histoires compliquées.
Elle est belle. Il devient petit notable de chef-lieu…
…et il s’en va.
L’enfant : « Mari parti, dix-neuf-cent-vingt, destin foutu« . Il ajoute un pied de nez.
La voisine soupire que, non, elle n’autorise pas son fils à copier les mauvais pieds ternaires d’Ydit. D’ailleurs, Ydit, avec la mamie, il est un peu casse-pieds, où en est-on ?
Ydit : « Avec la fuite du mari, LOUISE a connu la déchéance. Etre riche, ça s’hérite, Etre pauvre ça ne s’apprend pas, elle découvre la vérité du monde.
Rognée, la dentelle d’Amiens, taillée soirée chez la conservatrice du musée, coupé à la pince l’envol des bals de préfecture. La voici arrivée à Pierrefitte, démunie comme déshabillée de la vie. »

photo Jock Struges
L’enfant : « T’as vu aussi les photos que fait mon père ?«
La voisine souhaiterait qu’on n’interrompit pas l’Ydit déjà que c’est long s’il dit. Ydit : « Baignée de misère, plongée dans l’ombre, elle découvre qu’on se revanche par la malveillance.

« Carmen Cru », LELONG, Fluide Glacial 1984
Humiliée sans doute, sans le sou, avec des ongles de pied poussés longs qui menaçaient l’ incarnation »
– Menacer l’Incarnation ? Pas d’Indulgence ! La voisine rit.
Ydit : « Elle et moi, accrochés bec et ongles à l’hiver, on restait beaucoup dans la cuisine, près du gros poêle à charbon ergoté sur ses pieds de fonte ».
Ydit raconte qu’il conserve le souvenir étrange de ces temps où, parfois, jeudi soir, vers la fin du séjour, elle lui demandait de couper les ongles épais et noirs de ses pieds trop crispés pour être au net. Elle avait la mémoire sur le bout des ongles et, regardant ses pieds, du coup, lui faisait réciter ce qu’il savait de Saül, le Paul de Tarse.

« Carmen Cru », LELONG, Fluide Glacial 1985
LOUISE s’excusait un peu : « c’est l’âge, c’est misérable, c’est l’âge, je ne peux plus me courber, quelle misère, personne pour m’aider, sauf toi quand tu viens, pour les ongles ».
L’enfant se dit que, une aide – ménagère–? mais il ne dit rien, parce qu’il n’ose pas et parce que sa sœur appelle.
Ta sœur a appelé ? demande leur mère partagée
Elle est, dit-il, sortie, encor, poser, dehors.
La voisine rappelle l’interdit, sur les vers claudiquant
La voisine ajoute vers Ydit : « Carolina pose pour son père, et aussi dans les jardins de Paris pour faire des souvenirs à la famille, il faut y veiller avec soin : à force, les souvenirs, ça va manquer si tu refais pas le plein de la mémoire. »
Ydit : « Courbée, rompue de la tête aux pieds, LOUISE TOFFIN m’offrait ses ongles à couper comme un dur devoir d’école, comme une leçon d’humiliation, et je rognais à petits coups de pince, comme un chat lèche une plaie, sans savoir si la douleur provenait de l’accroupi ou de la honte, et certain que l’odeur émanait de la misère. »
« Carolina, murmure l’enfant, elle se documente sur la mémoire afin de ne pas esquiver la probabilité de l’oubli. »
Toi, tu nous documentes sur les ongles de LOUISE. Chacun son dû.
La voisine dit que c’est toujours pareil avec Ydit, des histoires en petits bouts, de rognures de mémoire, de le pince à souvenirs, et ça tombe où ça peut, dans la cuisine, au fond c’est pas très propre.
Il vit de pied en cap dans sa mémoire de péninsule battue par le vague de l’oubli.
Ydit : on en reste là ?
La voisine :
« Tu me laisses ? Mon mari va rentrer ».
Et mon père, dit l’enfant, par la fenêtre, il fait des photos,

Remerciements pour Alain LABOILE, Album « La Tribu »
elles sont plus belles que toi, rubis sur l’ongle.
Chez nous, Mémé Yéyé était gaie,fumeuse délicieuse, sortie des sentiers boueux de son Oise natale, poinçonneuse à Sèvres Babylone mais nous partagions le jeudi un même lit étroit de veuve que le regard des campagnes voulait inconsolable. Ydit touche une fois encore, tellement juste, la corde des souvenirs oubliés inoubliables..
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CBH, cet après midi, j’ai écouté deux concerts de » Paris Jazz Festival », dont l’un n’était compose que de deux longs et hallucinogènes compositions de » MAGMA »…Cela aussi ( MAGMA : début année 7O) fait crier les cordes des. guitares et souffler les batteries . Mais, CBH, milieu année 7O, avec quelles cordes sautiez vous ?
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les souvenirs oubliés ne le sont pas pour tout le monde…ils remontent à lire notre Ydit. par contre, j’aurais bien voulu connaître Marilyn , moi aussi. Cela dit, je ne connaissais pas cette photo extraordinaire…
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Hélas ( ou non?) Serge, je n’étais pas ce gamin photographiant l’immortelle vedette. Si mes quelques lignes maladroites ( j’hésite chaque fois avant d’écraser la touche » publier » ) permettent à de jolies bulles remontantes de flatter l’envers du nénuphar , quelle amicale joie !
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Beaux moments de poésie mémorielle. . . ou de mémoire poétique.
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Merci, surtout, d’avoir accepté de comprendre que comprendre n’est pas l’objectif de ces petits morceaux de mémoire !
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