Didier Jouault pour YDITBLOG, Séquence Publique d’OubliEs n° 52
La fessée de la ministre est froide comme un vent de sable ( 1 sur 3)
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Une fois encore, la mémoire d’Ydit s’interrogeait sur la possibilité du réel. Sur l’impalpable vérité des passés de passants dépassés.
Le poète, jadis, suivait des femmes dans les rues et les nommait Nadja. D’Ydit on disait qu’il arrêtait les silhouettes pour les nommer OUBLIeS. Au retour des étés à M. (voir SPO 45 à 51) devant la porte, se tenait une Russe blanche pâlotte, mais déguisée en image vintage, et qui attendait Ydit.
-«Y a longtemps qu’on vous a pas vu en OubliEur», dit-elle, sans accent, pointant l’absence de badge ou de lunettes. « Je peux entrer ? »
Ydit s’assure : est-elle une vraie slave ?
Elle dit que:
« Oui et, d’accord, rien n’est plus comme jadis, les Russes – enfin les ex du bloc de l’est. Dans votre jeunesse, Ydit, on n’en voyait pas. On désignait « Russe » tout voyageur – peu de voyageuses – Hongrois, Polonais, Russe, et on distinguait mal leurs idiomes ».
Elle s’adosse à la fenêtre, se met à l’aise pour parler.
Ydit se souvient, mais ceci n’est pas une oubliE :
Ils venaient pour des colloques à la Maison des Sciences de l’Homme, ou des conférences à la Sorbonne. A leur côté on cherchait l’officier traitant du FSB. Les Allemands, pas de risque de les confondre avec ceux de l’Ouest, ils étaient habillés mode STASI, et les autres vêtus de peace and love.
Ydit :«Confortez moi, c’est bien vous qu’on appelle Vassiliki ? Je n’avais plus de vos nouvelles».
–A présent, ajoute la Russe, on entend ces langues à chaque détour, dans le métro, les musées, les sous-préfectures.
– Et donc ? s’étonne Ydit
– Et donc, me voici, nous allons partout.
Faisons vite…
Ydit répond qu’il peut affronter les lenteurs du temps comme un qui jette ses oublies depuis deux ans déjà.
La visiteuse : Voici : je suis chargée de faire des recherches complémentaires sur votre père. Sur son rôle dans l’histoire, ses relations. Ce qu’il a réellement fait.
Ydit s’étonne qu’on écrive une thèse sur son père. La Russe (supposée Vassiliki, mais elle n’a pas répondu) l’apaise, ce ne sera qu’un rapport des tapes (elle sourit de sa propre maîtrise du langage). ET il en aura connaissance avant tous. Ydit souhaite-t-il « être informé tout de suite de ce qu’elle-même n’ignore déjà plus? »
Ydit ne souhaite pas, non, non merci pas. Il est en retard sur ses OublieS. Il dit qu’il a pris rendez-vous pour une « Séquence Publique d’Omission ».
Impossible de renoncer à oubier, vous avez tout de même compris cela?..
Ydit court, Ydit va. Ydit y est. Et retrouve le rouge univers des dames des rails.
-Eh ben, dit Germaine, sa comparse en locomotives étreignant les courbes, en voilà un revenant ? L’Ydit en soi, même. Vous étiez en vacances ? En pénitence d’Omission ?
Ydit rassure Germaine : il a juste échappé à la tentation.
Germaine demande qu’on en vienne à l’OubliE, « C’est toujours bien la raison d’être ici, sur le quai du départ ? Allez-y, m’sieur Ydit, sans préliminaire, et il faut excuser mon écoute distraite, mon oreille passive, mais ce jour j’ai du travail avec les travaux. »
Ydit ( forçant un peu la voix près de la voie 15)
Séquence du jour : La sous préfète préfère Auchan
Ydit : « Derrière la voiture, ce jour là, il y a la sous-préfète qui tête des cacahuètes. Un peu replète, la sous-préfète a pris perpète : inauguration, ruban, exposition, turbin, allocution, turban.
L’été des festivals, l’hiver des expos, entre temps les voiles sur la tête et les sans-papiers sous le balcon,
c‘est l’enfer des sous-préfètes, la Bérézina du parapheur paresseux, le Nagasaki du BlackBerry en sourdine pour la chasse au sardines (oui, Sardines rime avec Sourdine et Sardine avec préfet-si on connait l’Histoire et ses tiroirs). »
– Germaine, dans le haut-parleur de la gare s’égare : « Eh ben, ça commence fort ! On se calme, mon Ydit »
– Ydit : » Le principal est que la sous-préfète a été promue suite à son succès comme tête de l’Office Français de la Chasse aux Sourdines, où elle a fait preuve de ses talents et d’un sens aigu du silence dans la lutte anti-rumeurs. »
– « C’est quoi, au fait, une sous-préfète ? »
demande un gamin des quais, malheureusement passant tout près .
– C’est comme ta tante Germaine-des-rails, mais en bleu, répond Ydit, pas trop fort ( il ne faut pas ébahir les enfants)
Il reprend :« On n’échappe plus à l’intelligence intermittente des départs. C’est harassant. Même pas le temps de boire un cafelatte au bar avec d’intéressantes archivistes venues de Russie pour parler du père».
– « Ouais, peut-être, on peut voir avec les Russes, plus tard, mais c’est quoi, en fête, la sous-préfète ? »
Dans l’œil du garçon, s’il avait été à l’école, et non pas hagard à la gare, on lirait : « Ydit, Ydit, tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire ». Le gamin blond s’approche avec son espèce de ridicule renard autour du cou, tous les mêmes, Renard et Gallimard en sautoir, et aussi son saintex in the Pockett, il n’a pas l’air frais – dans cette ville sale.
Il devrait se méfier, blond ici, svelte du dos et cambré du cou, y a de quoi se ramasser un Socrate, se débloquer le Pasolini, effeuilleter le Criton sans savoir lire, si on fait y prêt le flanc. C’est vite venu. Pas vu bien pris. C’est l’hymne des rails. Et voilà. Donc: passez.
Mais Le petit insiste : « Tu me fais la photo ? » Et « Une sous-préfète ça lance des pétards ? « Bon, si on lui mettait un peu d’oubliEs au cœur, pour s’en débarrasser ?
Ydit : « Non, ça voit des bagnards, des taulards, ça boit des pinards avec des zonards, ça croise des renards (dans les bars à chasseurs) des ringards de hasard, des grognards en retard, des dare-dare, des professeurs d’art, des hommes de quart, des tombés dans le coletar. »
–« Je comprends rien à ce que tu dis »
Pour Ydit, pas de problème, il va sur son rail, habitué à ce genre de remarques sur le fond des OubliEs. Mais, juste, il voudrait qu’on le laisse faire ses omissions, tranquille. Exemple : « Hop, 15h16 j’arrive quai ouest, 15h18 / 15h33 : j’omissionne dans le voisinage,salle des pas perdus, 15h44 je range quai largo. » C’est seulement important de sérieusement faire les OUBLIeS. Ensuite on essuie. On efface.
Certes, trois ou quatre ( et même fugitivement six, en comptant un SDF et son chien, ce qui frôle les records d’audience !) se sont arrêtés, en observant le panneau prometteur d’omissions gratuites.
En plein milieu de jour, habitués aux cadeaux de pas-de-prix supposés fidéliser l’étique public, ils attendent une distribution d’exonérés, de pain blanc, d’eau pétillante, de carte du magasin, d’échantillons de culture, de capsules Nespresso recyclées au cacao, et peut-être même de gracieuses images plus ou moins bénies.
Ou encore, ajouterait Germaine, « les fameuses photos d’Ydit, lui-même symboliquement dévêtu de vraiment pas grand-chose, à part l’étiquette OubliEs cachant juste l’essentiel? »(Germaine sourit au souvenir de ces images, inaccessibles au grand public, circulant sous le manteau dans les salles d’attente de la gare de l’est ou les offices de tourisme en montagne).
Pas de chance, aujourd’hui l’orateur Ydit n’a pas prévu de distribuer ses «OubliEs» de pain médiéval sucré : « On n’est pas bienveillant tous les matins. Sinon, c’est tuant. La bienveillance. Déjà, oublier c’est tuer, si en plus il faut bienveiller. S’il faut afficher. Salle des pas perdus. S’afficher. On s’use. C’est trop à force. »
Ydit confirme sa pédophobie passagère : « Et puis, toi, l’ami des ridicules renards, le déhanché trop poli, sors toi de mon Omission ! Une sous-préfète, voilà, une sous-préfète, c’est comme une préfète, tout pareil, mais en plus petit, et même les talons hauts sont plus bas, tu vois? Une sous-préfète ça porte des Tongs, ça joue au majong, sinon c’est la même chose, juste le bureau est plus petit et le discours plus long. »
Germaine exprime une peu d’impatience et un semblant de déstabilisation ( ou dé stabulation ? ) :« On s’égare, Mon vieil Ydit, on s’égare, on va rater le départ ? »
-« Et ça donne des fessées, comme les sorcières, les mi- préfètes ? »s’interroge l’inutile enfant.
Ydit : Il était venu ici ce matin pratiquer une certaine omission, parlant de police qui abandonne les abbesses du XVIIIème, avec la sous-préfète qui n’arrive pas, tenue en otage par le vernissage…voila pourquoi, la sous-préfète. D’ailleurs, ça commence à être lassant, la sous-préfète. Et l’impertinent garçon l’incite à toute autre chose, en parlant de fessée. Alors, à présent, l’auditoire infléchit le détour et les cours de la mémoire? On aura tout vu. La fessée ? Au fait !
Soudain, près de la gare, Ydit se souvient en effet d’une fessée en public.
D’autres, ailleurs, auraient aimé cela. Ydit non.
Cependant : bonne suggestion d’ OubliE.
Du coup, moins agacé par le bavard enfant, Ydit applique sur lui les OubliEs à la bonne hauteur du regard, celle qui préserve les pudeurs des pré-pubères(si jamais ils en ont ).
Cinq centimètres d’étiquette, ou un demi-tour, ça préserve de l’exhibition. La bonne »OubliEs« , descendue au bon endroit, évite l’excommunication (ou la circoncision, ça dépend des temps du récit)
Ydit , donc ( mais n’est-il pas là pour ça ? dirait Germaine du rail ) :
« Je veux oublier que…
…la fessée de la ministre est noire comme un manchot sur la banquise… »
A suivre par la Séquence Publique d’OubliEs n° 53
(Non seulement la Russe blanche ne peut raconter ce qu’elle sait du père,
mais Ydit change de récit en pleine Omission : acrobatiques projets, de quoi perdre l’auditeur.)
Didier Jouault pour Yditblog.wordpress.com
Je n’ai pas regardé les photos. Suis-je passé à côté? je ne savais pas Ydit pasolinien, mais maintenant, je comprends bien des choses….
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Ça fait un peu désordre car la photo de la russe, on est pas prêt à l’oublier…
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Dois-je penser ( avec frayeur) que tu ne regardes que les photos, Michel ???
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