Yditblog S. P. O. n° 82/ 106 La présidente s’invente, me hante, s’évente et se vante.( 1/3)

 


TABLEAU UN : Vous ici, je vous croyais sans vieux os ?


Ydit raconte : Le Réseau-à-clavier est une vitrine de mémoires un peu sale, un grenier de passé plus ou moins mis en retrait sur les étagères boulimiques où s’échangent d’obèses messages.
Pourtant, certaines nuits, comme une vapeur dans le col d’une chemise entrouverte par les flatteries de l’été, surgit un nom, ce nom, sur l’écran des absences : ainsi je voyageais parfois- dans l’espace virtuel, ici-même.

 


Et je vis son nom – vite fantômisé par la succession des apparences et l’urgence des effacements.

TONPRE.

     Ses parents – peut-être en la concevant un soir de déprime post-scriptum, avaient choisi le rude prénom de République. Elle se faisait appeler Josette, ou parfois Mutine.        C’était plus simple : pour Josette les hommes s’effaçaient en ascètes dans les ascenseurs, et Mutine ressemblait davantage à l’image qu’elle pensait devoir donner d’elle en montant l’escalier. Ou en se préparant pour un débat.

 

     Josette, donc, figurait ( et faisait très bonne figure ) en nouvelle Présidente de la Caisse Centrale, pour la Partie Remarquable de Population, juste cause publique portée depuis dix ou quinze ans. Opulente administration à méandres subtils, ramifications sauvages, budget grossi à la loupe par l’actualité : ici on disperse de la subvention, certes, mais pour le bien des autres.

 

Sur le clavier bousculé , Ydit fit un message : « Ah, République Tonpré, amusant de vous repérer ici, et quelle étourdissante fonction. Ydit » ( assez stupidement, Ydit signait les messages partis sous son adresse numérique.)
Très peu de jours plus tard : « Cher Monsieur Ydit, satisfaite de vous retrouver ici, la mission est passionnante, j’ai besoin de tous, passez me voir, prenez rendez-vous. » Suivait une adresse.

 

     YDIT raconte : Il n’ouvrait le clavier que peu souvent, curieux des rythmes avec lesquels une urgence à venir devenait vite plaque de marbre rivée au mur d’un cimetière.
En d’autres cas, il aurait souri avant de passer au message suivant.

     Rencontrer quelqu’un dans le réel, peut-être masqué par le rideau de scène du clavier, n’avait jamais semblé plus attirant que de traverser la page d’un roman pour serrer la main de Bardamu ou glisser un regard dans la chambre d’Albertine (un regard dans son bain, peut-être, pourvu qu’il s’agît bien d’une jeune fille en fleurs).

     Il avait pris contact, quand même, avec la Présidente. Plutôt avec une adresse qui dirigeait vers un chef de cabinet. Une constante chez Ydit : la curiosité est une force qui l’a conduit à de sévères inepties.

 

      Le chef de cabinet : « J’ai bien reçu votre demande d’entretien, pourriez-vous me faire savoir quel en est l’objet? »
Il avait fallu quatre messages ( séparés des jours d’absence d’Ydit hors de la merveille du réseau ) dans le réseau fragile de cette opulente  administration, pour convenir qu’il ne demandait rien sinon de venir ainsi que la Présidente le demandait.

     Tôt le matin ( « Elle est là de très bonne heure, elle travaille tout le temps », avait précisé le chef des rendez-vous), après des couloirs taillés sur la mesure de l’importance, il avait pu s’offrir assez longuement le bonheur de feuilleter les revues spécialisées, moments toujours offerts avec générosité par ceux qu’on attend.

     Elle arriva plus tard, guillerette et sautillante, sac de chouquettes à la main, sentant bon, elle et les chouquettes.

 

« Ah, que plaisir de vous voir , Ydit, nous allons faire un excellent travail ». puis, expliquant d’un geste mutin ( car elle s’autoproclamait Mutine), elle se dirigea vers deux ou trois bureaux ouverts : Assistante et capuccino, « Alors, ce Week-end à la mer? Et le petit, il a nagé? Chouquette? » Secrétaire et allongé sans sucre : « Votre maman qui a été opérée hier, ça s’est passé comment? Chouquette? ». Chef de cabinet, enfin : là pas de chouquettes, il semblait du genre à jouer le chaperon noir, et  à se faire un rail d’aubergine ( sans pulpe) à l’heure du thé, ou jusqu’à des shoots de poudre d’épinard pour se valoriser avant les réunions.

 

     « Mais ( elle passa la tête vers Ydit assis dans le couloir), pardonnez moi , je dois voir deux ou trois rendez-vous, tout le monde veut me rencontrer, et puis il y a une urgence, pour le ministre, c’est d’ailleurs pour ça que je suis en retard, excusez moi « !
Elle avait ensuite fermé la porte.

     Ydit aimait s’étirer, mains entrelacées, corps en ligne droite, sur des fauteuils instables, au risque des coutures fragiles. Mais enfin, quel que soit le plaisir, après trois tensions, le désir s’élastique et l’envie surgit plutôt de passer à la suite.

     La Présidente sortait du bureau des agendas quand Ydit tentait de fuir. Elle – prévenante et chouquettée – coquine et se méprenant : « C’est la porte au fond à droite, je vais vous attendre, c’est bien mon tour ». Elle arrondissait les mots comme une starlette pousse le décolleté en avant dans une série télévisée destinée aux malentendants.

 

     Ensuite, dans le vaste bureau – « Café, thé, encore un peu tôt pour un apéro ! », elle avait beaucoup parlé. Chacun le savait, et Ydit mieux que d’autres en raison de son métier, la maison ici ressemblait à une bâtisse hantée par les sept petits nains, à une construction vide et pourtant effrayante, comme un train fantôme dans une foire pour comiques comices agricoles de bas-Limousin.
Mais, dès son arrivée,- et elle en remerciait le Grand Patron qui lui avait même envoyé un SMS à deux heures du matin :  » Voulez-vous présider Caisse Centrale pour Partie Remarquable Population? », depuis la première heure, donc, la Présidente avait commencé la Grande Marche vers le Radieux. Elle préparait un plan de cinq ans, la durée de son mandat.

     Elle concertait, en petite formation ou grand orchestre, elle rénovait, elle irradiait, elle institutionnalisait. Ydit, comme on l’a deviné bien élevé, peignait son regard aux lueurs satinées de l’attention, sans tout comprendre.
Elle griffa un organigramme sur un bloc à en-tête de Marianne : « Ici le Conseil, vous voyez? Là un comité, par ailleurs la Commission, on la met ici, au bout de cette flèche forcément ( elle rit un peu, seule ) et la réfection des bureaux, pas des locaux, elle rit encore, mais des organisations du travail, labor improbus omnias vincit et de viris illustribus, qu’il en soit ainsi, vous voulez un café, que j’envoie chercher des chouquettes ? »

 

     Ydit, le sujet des métamorphoses du vide, ça l’intéresse : il suivait d’un doigt, questionnait. Il avait le temps.

     « Et alors, ceci posé, pont d’Arcole continuait-elle, vous devez vous demander pourquoi je vous ai fait venir, non ? » Elle souriait, reprenait souffle, ressemblait dans l’obscure clarté de la fenêtre à une qui aurait su repasser à son voisin le flambeau de Marathon dès le kilomètre 10, pas si sotte, non mais.
Ydit se le demandait. Un ongle verni, aigrette piquant le bloc, répondit : « Là, je vous mets là. Juste à côté de la case Présidence. J’ai besoin de deux hommes d’absolue confiance, de grands professionnels enrichis de leur expertise, privés d’enjeux. Et comme vous venez de prendre votre retraite…Ah, oui, la Caisse ne peut pas vous verser quoi que ce soit, en dédommagement, d’un point de vue réglementaire… »

 

     Ydit raconte qu’il rassurait : apporter aide et conseil, s’agissant de Partie Remarquable de la Population, c’était bien. Elle donnait des précisons : » Vous suivez les dossiers d’urgence, avec les chefs de service, bien sûr, et une rencontre tête-à-tête par semaine, on déjeunera ensemble ensuite, bien sûr, mais si, mais si , c’est avec plaisir, et c’est la seule chose que je puisse vous offrir, à part ma confiance absolue, bien sûr, elle rit un peu. Vous voulez un café? »

     L’opération à cœur ouvert avait duré plus d’une heure. Quand il partait, la Présidente lui tendit quelques feuillets de prose grise : « Tenez, si vous aviez le temps de lire ça? Et de me donner votre avis? Demain, par mel, ça irait ? Et prenez tout de suite rendez-vous avec le chef de l’agenda… »
On verrait, ça irait, il prendrait. Mais pas du café.

 

 

 


A suivre sur cet écran : SPO 83 (107) :  EPISODE DEUX : le tarte et le méritoire.


Par défaut

4 réflexions sur “Yditblog S. P. O. n° 82/ 106 La présidente s’invente, me hante, s’évente et se vante.( 1/3)

  1. D’abord, je voudrais dire que je n’arrive pas à agrandir les photos! Et certaines méritent…Ensuite, je volerai, comme à l’accoutumée, certaines expressions que je ferai miennes. Enfin, faudrait changer de montre: franchement, la Swatch, quoi?

    J’aime

Répondre à Serge Gottheff Annuler la réponse.