Yditblog SPO 91/118 Lorsque cinq ans c’est oublié : Orage au Déversoir (scène 2/3)

Rappel Séquence Publique 90 :  Ydit parle, mais sans récit : trahison des attentes.

Vassiliki proteste : Elle doit un rapport pour les Organes, la Russe, aucun autre motif à sa présence ici. Et depuis le temps qu’elle parcourt à grandes enjambées la broussailleuse mémoire d’Ydit, comme un Mongol galope sa steppe, elle avoue que ça fatigue, le doigt du souvenir sur la gâchette du devenir, non mais.

On dirait un maître de danse préparant ses cours à la « galerie de sculpture », la ligne s’aligne?

 

C’est vrai, des fois, le bredouillement narratif, récits et paroles autour des filles, comme si leur nudité pouvait dépasser le reflet de l’absence ou du silence, bons à rien.

Germaine-des-rails : « Ydit, quand vous parlez des filles qui passent, comme tout à l’heure, on dirait Dante mis en viager par Béatrice, ou de l’Eluard réduit aux caquets, c’est léger comme le foie de Verlaine après l’absinthe. »

 


Lorsque cinq ans c’est oublié,  Orage au Déversoir, suite : scène 2 sur 3.


Ydit raconte : Il dit  qu’il avait vingt-cinq ans ( ou davantage ou peut-être moins ?).

Par hasard , il avait rencontré Sergio, aléatoire mais puissant patron d’une troupe mêlant vrais amateurs et plus ou moins faux comédiens nourris par leurs voix dans les doublages de publicités pour les pâtées pour chien et les slips DIM.

 

Cela se nommait « Le carré du Pré« . Tout le monde ignorait pourquoi.

« Toi, mon petit mignon », avait dit Sergio, tu vas nous faire « l’Ami » : tes yeux de singe et ta silhouette de lièvre, c’est parfait, pour faire un Ami ».

Initié de cette sorte, le jeu semblait une fable. D’ailleurs, continue Ydit, on pourrait, « Le singe et le lièvre« , vous ne croyez pas ? Les auditeurs  : non, ça ne se peut pas. On attend une OUBLIe. Notre dessert d’un repas nommé fidélité.

Ydit raconte que Serge avait continué à tenter de la convaincre : « Quand tu feras l’Ami, tu verras, c’est un rôle souple et rigolo,  et dans la troupe nous avons des filles qui jouent, des auteurs qui cancanent, deux ou trois jeunes premiers dépassés par les mèches grises…c’est notre théâtre du Pré ».

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Ensuite, dans une salle municipale froide et traversée de pénombres, on répétait, à six ou huit, de 20 heures à minuit, et seule une poursuite un peu essoufflée donnait une profondeur à ce  champ.

 

On lisait assis sur le bord de l’estrade, on bougeait avec le sobre vitesse des soirs d’hiver, on pénétrait dans le geste d’un autre comme l’accident touche son platane. Puis on sortait de la lumière ronde, chacun estompait sa peur de paraître sous les forces du geste appris, et tous s’imaginaient connaître la réplique.IMG_8533parrain-eglise

« Tu crois que tu apprends un rôle, mais ton rôle tu ne fais que le réciter, tu le connais déjà, il est écrit par le monde pour toi, ton rôle, » grognait souvent Sergio, dont c’était la philosophie assez bègue.

 » Je t’avais dit, soulignait Sergio, c’est la vie, sauf que t’es tout nu dans le loges. «  Souvent, Ydit ne comprenait pas.

« Il devrait nous demander », murmure Germaine, « nous on est … »Le haussement d’épaules de V3 maquille l’adjectif en silence.

Pour finir (car répéter c’est se préparer à finir, criait souvent Sergio) , « Le carré du Pré » avait donné quelques dizaines de représentations, dans deux théâtres.

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Après le jeu, c’était difficile de baisser le ton, la voix, le corps, raconte Ydit : ils allaient boire des bières et mâcher des croque-monsieur.

 

Ydit avait connu Anne, dont le mur crépi de pointes, près du lit, donnait aux jeux de l’amour et du bazar une perspective de mercurochrome et de sparadrap.

 

 

Germaine demande si cette Anne était bien  celle dont le  derrière étroit se scarifiait du sacrifice dans son lit réduit, dos, d'anneon l’inverse, pour le lit et le derrière, mais peut-on parler d’un derrière quand on est sur le devant de la scène? Et, au fait,  Anne paraissait-t-elle nue hors de sa fenêtre, vrai modèle qui expose les traces de l’amour ? tatouage-fleur-3

 

 

 

 

Non? Alors, peu importe le sparadrap, pourvu que la griffure soit tenue secrète, selon Germaine. Vassiliki ne saurait qu’approuver : dans la blessure, le meilleur, c’est le secret et l’essentiel est le silence.

Ragaillardi des sentences slavo-ferroviaires, Ydit reprend le récit que ces inutiles paroles ne parviennent à dérythmer. Il précise : Anne ou Françoise, ou Martine, toutes les filles de cet âge portaient les mêmes usages de s’inventer un prénom.

Germaine s’interroge : Martine comme Tyne ?

Ydit s’agacerait un peu. Mais  la décision de modeler ses OUBLIeS (une lettre de plus et on lirait: des PUBLIS…) inclut la dérision, comme l’attention des auditeurs inclut la défection.

V3 de demande, soliloquant à son usage, si tout cela vaut donc la peine? Le public proteste. On veut une suite.

 

Ydit raconte : « Tous les souvenirs mentis par la mémoire parviennent à s’unir dans une chaine faite de purs anneaux, une chaine de temps qui vient du passé et tend vers l’avenir. Les souvenirs sont des trains poussés entre deux gares par une locomotive dont le chauffeur est fatigué, mais le charbon ne manque pas. »

Et le théâtre du « Carré du Pré » ?  interroge la Russe, peu sensible aux digressions ou aux images  sauf celles des rapport en bonne forme.
Ydit qu’au printemps, ce fut la brève tournée à L. Sergio avait le maire pour ami d’enfance. En chemin dans le combi Volkswagen, on moquait la rudesse louvoyante des paysages, terres plates bousculées de terrils, un acné d’adolescent.
Ou comme la peau d’Anne contre son mur après vos efforts ?

Ydit : Samedi, ce fut nocturne dans le théâtre municipal, à guichets fermés : les comédiens provenus de Paris et l’auteur engagé formaient la promesse du soir.

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Ydit n’a pas le souvenir du texte.

Il a pu le répéter longuement, le jouer quarante fois, puis les mots se sont estompés sous les nouveaux venus, palimpseste jamais gratté, comme si, dans le scriptorium gelé par l’histoire qui passe, les doigts gourds du moine avaient refusé toute lame. IMG_8510Pour parler de soi le récit s’allonge sur un lit de feuilles mortes, ce sont les souvenirs froissés, les brouillons refusés.

Cependant, restent l’immense chaleur du plateau dans la salle comble, le dos trempé  de sueur ou d’acier, les durs bonheurs de l’eau glacée pendant le démaquillage,

 

…puis le vin trop frais du dîner en l’honneur des artistes dans la Brasserie du Marché, c’est la Municipalité qui invite.

 

« Ce soir  tous ont bien joué », dit Sergio  » Même l’ami, même Anne ». Le maire approuve, c’était mieux que le Paris-L., dernier match de foot, 4 à 1, une vraie dégélée.

Il se lève, clique son verre, dit merci, merci, trois fois merci. A la revoyure.

La troupe est pauvre : il faut partager la chambre, lits jumeaux à l’Hôtel du Cheval Rouge. Sergio veille à « éviter tout mélange, pas d’Anne près d’Ydit : demain on joue, sans mercurochrome ni sparadrap? »

« Dimanche, c’est matinée, et alors en matinée on joue en forme, c’est tout.
En route, une voiture se perd…


(*) voir Tyne  https://wordpress.com/post/yditblog.wordpress.com/10193


A suivre : Yditblog SPO 92/119, Lorsque cinq ans auront passé, tu sais parler mais c’est tout seul (scène 3/3)


Didier Jouault,   pour   Yditblog   91/118    Lorsque cinq ans c’est oublié : Orage au Déversoir (scène 2/3)


 

 

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