Ydit raconte qu’il était, en ce temps si dépassé, inscrit dans le costume de ‘Le Président National’
Et, fait mine de se demander V3, « ça vous fatiguait les idées, ennuyait la nervure, distrayait la raison, agaçait, menait à somnolencer, ça vous galopait de galopineries ? »
Alors, présider, il raconte, posait Ydit en face de ses propres intérieurs, et c’était pas toujours bien plié sur les étagères de l’émotion, malgré les injonctions décennales diverses.
Passer de la tribune au pupitre, regarder les regards des quatre cents délégués pas légers, ça délivrait par avance-dans la nuit- d’un rêve rageur, les insuffisances de l’être. 
Au milieu des heures sombres de l’insomnie habillée de doute, il s’éveillait alors et notait au crayon gris d’étranges formules, sur un petit carnet blanc posé sur la table de nuit noire.
Germaine demande « s’il se souvient desquelles ? Les formules pour déguster les balises de la nuit ? Il y a tout de même trente ans et plus de cela. »
Vassiliki se gausse et se hausse, elle bosse et brosse ses rapports, elle, c’est beau et confus comme du Géricault. Par exemple, dit-elle, j’ai retrouvé dans votre mémoire :
« La mangouste songeuse ne rêve pas au serpent rageur, mais elle le grignote en lisant Gaxotte ».
Ou encore : « La langouste vaseuse ne corrompt pas le cresson verbeux, mais elle le traverse en disant Saint John Perse ».
Au nom des sacro-saintes » Lumières »- vocabulaire dont il n’use que dans le dictionnaire, la littérature ne devant tout de même pas contaminer la vie, surtout avec de stupides formules incomprises, et ensuite devenues de vraies taches sur sa culotte de soie, des sottises de jardin et pourquoi pas de poireaux vinaigrette, ou des machins avec le meilleur des mondes…- donc V3 lève la main : Il n’a pas tout compris. Sans doute est-il encore trop apprenti ??
Pour avancer tout de même, Ydit raconte :
A lui, tout jeune adjoint, par malice plus que par ennui, le directeur du département avait dit : « Demain matin, samedi, il y a réunion de tous les partenaires dans l’amphi de Creux-la-Ville. Moi, je suis pris à Paris. Toi, tu y vas, tu écoutes, réponds, expliques. Et raconte moi lundi à…disons 8 heures. »

Il en fut fait ainsi.
Sur l’estrade mal cirée, devant des belles dames et d’obscurs messieurs (samedi matin, tous les autres avaient choisi les options Golf ou Esthétique),
Ydit, avait dit, répondu, débattu. A la fin, quand on le raccompagnait après les petits carrés de Suisse à l’herbe tendre sur craquotte avec fibres et le Vittel-fraise sans glace, un couple était venu sa rencontre.
D’ici le bout du couloir, c’était dit, sinon fini : » l’ACOP du département cherchait son président, le vieux directeur s’était dérobé, Ydit accepterait-il la formalité de se faire élire? On lui promettait peu de sœurs, peu de sueur, peu de larmes, peu d’alarme. »

Ainsi que trop souvent, la curiosité avait mené son train d’enfer en direction d’un OUI.
Ydit avait alors présidé, davantage qu’attendu. Cela, dans le département, reposait les autres, un sentiment de vague satisfaction gagnait donc l’ACOP nationale. Le Président tenait à déjeuner avec lui, à Montauban, près d’un garage, lors d’une Assemblée Générale annuelle. « Alors, si c’est pour une œuvre », répondait Ydit.
– « Toujours êtes vous un élève bon », feint d’admirer Vassiliki, au point d’en perdre à nouveau des brins récemment noués de sa grammaire élémentaire du Français de prolixité.
Ydit raconte : Selon les sages usages de l’ACOP, il avait présenté sa candidature à l’Assemblée Générale, ainsi que sa belle mine, un costume propre et un langage bien repassés mais sans cravate, et on l’avait élu sans barguiner au Conseil d’Administration. Dans le département le vieux directeur s’amusait de son Adjoint, Ydit travaillait, parcourait le samedi les « Régionales »,
lisait dimanche les budgets et projets, avec ce sérieux distant et amusé qui laissait un peu mal à l’aise des interlocuteurs familiers du Premier Degré.
Ensuite, la Secrétaire Générale et le Trésorier Principal de l’ACOP voulurent eux aussi déjeuner avec lui, comme s’il eut été une midinette en chaussettes ou un tablier sans bavette. Ils construisaient l’Assemblée Générale de l’année suivante, cachés dans une discrète brasserie de Cherbourg : On adorait Albert, le président, mais il se fatiguait, buvait sans doute un peu trop dans les cocktails, et pas seulement, bref, Ydit devait accepter une charge de vice-président, et se préparer. Il y avait bien RADOC en starting bloc, mais on verrait. Et puis, RADOC…
Germaine : « On le connaît, à présent, notre Ydit, je parie qu’il a dû répondre qu’il manquait de temps, qu’il avait déjà une famille, et aussi du travail, je suis sûre qu’il a dû aller chez le coiffeur rue des Beaux-Arts, relire Proust sans retard, s’acheter des Churros maquillés à la crème de noisette, revoir Godard, froisser d’un geste pictural son paquet de Camel sans filtre, et hop le voila vice-président, un petit quart d’heure plus tard. »
Ydit reprend le récit : L’année d’après, à Laval, car l’ACOP visitait les terroirs comme une cour, l’Assemblée générale devait sagement prolonger son ‘bureau’, pas de surprise.
La veille, dans l’hôtel où chacun songeait sur son propre avenir et celui plus vaste de l’ACOP, Albert-le-Président était venu frapper à la porte d’YDIT. L’accompagnait le Conseiller du Ministre invité habituel. Secrétaire Générale et Trésorier Principal approuvaient la démarche, c’est tout dire. On avait bu du jus de tomate (Ydit) de l’eau de rose (le Conseiller), un triple Talisker (Albert). « Conclu ? Il valait mieux rester entre amis ». On se retirait dans la chambre comme on va saluer le soldat inconnu d’un briquet Bic un jour de brouillard. A suivre.
Une lourde nuit plus tard ( Germaine craint le surgissement récurrent de la langouste vêtue en mangouste, hôtes patauds des songes à pinces, mais non), ils étaient à nouveau tous les trois dans un couloir sombre menant à la tribune.
Car dans les sous-sols la pénombre peint les portraits de la lumière sur le canevas du désir, et jamais de repentir possible.
Albert-le-Président s’arrêtait, disait qu’il avait réfléchi à la suite de leur échange. Il s’arrêtait, donc. Il n’en pouvait plus. Il n’en voulait plus. Il refusait que RADOC, non RADOC, c’était le passé, il fallait qu’Ydit fût le futur. Albert passerait la main à l’issue de l’assemblée, Ydit devait prendre la suite, pas à discuter. Il valait mieux rester entre amis, bâtis de l’égalité, la fraternité. Le conseiller non plus ne discutait. Ni personne, ce n’était pas les usages de l’Assemblée.
Ydit répondait aux interrogatrices de la presse régionale, dans la journée – Oui, oui, le Président serait là pour le rapport moral, et il se préparait.
Vassiliki se demande « si, mais on le suppose, on le craint, on le regrette, Ydit avait remarqué les longues jambes couronnées, quand marchait l’interrogatrice, de petites fesses dans l’offertoire du jean’s trop serré ? » « Propos d’un autre temps!« proteste Germaine, et Vassiliki se replie et se renie.
Ydit revient à l’essentiel : le marrant du narré.

Pour se remplacer soi-même, devoir unilatéral, et compléter l’équipe, un nouveau Vice-président s’imposait. Lors des années ou des tournées, on avait observé le bon Gérard : c’étaient eux deux mêmes, lui et sa femme, d’ailleurs, qui avaient attendu Ydit en bas de la tribune, craquotte ail et fines herbes vert-pré en main, lors du tout premier samedi à Creux-la-Ville. Depuis, en train, on avait bavardé vacances, bains nus dans un lac de montagne,- « Gérard adore ça ! », liberté/fraternité, puis pensé aux avenirs.
Ce soir, après le dîner, trop de mots et trop de mets, Ydit prenait la route de leur chambre. Gérard serait l’affaire et ferait bien. Ydit raconte qu’il pensait en marchant à comment dire, « Chance » ou « Travail », il avançait lentement, silencieux.
Il arrivait derrière la porte, posait le geste sur son visage.
De l’autre côté on disait : « Gérard, mon gros, tu sais bien, élever le papillon c’est promouvoir la chenille, et je peux avoir plusieurs orgasmes d’un coup ! »
D’un peu plus loin, Gérard ne commentait. Silence.
Il posait ensuite la question majeure : « Au fait , chérie, quel costume je mets demain pour l’assemblée ? Le noir ou le bleu? Je sais pas bien. »
On l’entendait se rapprocher de la cloison. Il continuait : « Et la cravate, tu penses quoi? La rayée ou la rouge avec des points ? Remarque, tu vas me dire que ça dépend de la chemise ? Silence. C’est vrai que ça doit aller ensemble, hein, Chérie?.. »
Il était à présent, Ydit le sentait, juste devant la penderie, derrière la porte.« D’ailleurs quelle chemise je mets, tu crois, pour demain, Chérie?? C’est vrai, faut que ça aille avec le costume, en fait, c’est mieux ? Lequel je mets, alors, tu crois, le bleu ou le noir? Chérie? »
Ydit raconte : Gérard,
je le voyais en jarretelles noires sur peau blanche,
je le voyais debout en God Save the Queen,
je le voyais en fumeur caché dans les toilettes du lycée,
je le voyais, ribaud raté piquant les carottes râpées de son grand frère de pointes d’ail fébrile,
je le voyais remontant le boxer-short à fleurs mauves et braguette en sourdine,
je le voyais cachant d’une main commode des revues indicibles mais pas invisibles,
je le voyais en Schubert qui cherche les arrêtes,
je le voyais lisant Proust en commençant par la fin ou Céline en oubliant Pétain,
je le voyais en médiathèque ravagée par les tornades sèches de l’absence.
Germaine conclut : « Et donc, naturellement, vous avez rebroussé chemin, sans même frapper ? »
YDIT RACONTE QUE » Vous et moi nous allons
Comme s’en vont les écrevisses
A reculons, à reculons »
( Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou cortège d’Orphée, 1911)
didier jouault pour Yditblog n°93 Chérie quel costume j’y me mets ?
ACOP? c’est quand même pas l’Aéroclub de l’Ouest Parisien?
EHé! Se baigner nus, c quoi cette histoire ? Ydit, quoi!
Enfin, je préfère les corps féminins …
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ACOP : Association Canaille des Officiers de Police, certainement !
J’espère que le Gérard en question ne me ressemble pas. C’est bien entendu une pure coïncidence fortuite et involontaire. Je n’apprécie guère le Talisker trop toubé à mon goût et lui préfère un Oban.
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Acop amicale cérébrale des oublis pasteurisés ,🤪😜😳
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En effet, c.est si loin qu’il y a prescription ( y compris de breuvages moins rudes, même si l’eau claire des Glenn – où l’on admettrait que des baigneuses – finalement façonne le goût du scotch )🤨🧐🤩🤪
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