YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 11/99, En route vers Ferrare Chapitre 3 – fin.

Chapitre 3 : L’orage éclate sur le quai 3.

Donc, en premier, Modène. C’est une drôle de ville où l’on vend partout des petites bouteilles-souvenir de vinaigre balsamique, comme ailleurs de l’eau bénite, , des flacons de concentré de saveur balsamique en guise d’huile solaire pour excursion polaire, des T Shirts à couleur balsamique, des chaussettes balsamiques, des burgers au balsamique.
Burgers, encore, ça va et je me demande soudain si la saveur si particulière du Ferrara burger au Gourmet Burger– Silvia me le conseillera ?


La géographie intime d’une ville, son centre, ses entrelacs, ses prières solitaires de moines sur les pavés ronds durs aux marches des visiteurs, ses fenêtres de façades XVIIIème cachant mal des encorbellements ou des meneaux comblés, la topographie d’une ville c’est comme ce qu’on perçoit du corps d’une femme connue seulement du bout des lèvres.

A Modène, puis Ferrare, ma recherche sur la Renaissance se dédouble d’une mission d‘enquête sur les oublis et les Résistances. Renaissances et Résistance, avec un goût malin pour le déplacement du S. Un rapport sur Elseneur ? Alzheimer ? Eisenhower ? Elzévir ? Algésiras ? Le rivage des Syrtes ?

(photo Silvia B.)
Dans le train, je me dis qu’on pourrait confier le rapport à Silvia, ma logeuse du 33B rue Belfiori, au fond elle tiendrait sans doute très bien le rôle. On en sait encore peu sur elle, sauf que c’est une hôtesse rapide, volubile en détails et silencieuse sur ses profondeurs. Elle raconterait l’arrivée d’un voyageur, comme par une nuit d’hiver…Dans la petite cour –jardin de la rue Belfiori, 33B – un bref dialogue suffit, avec les conseils de visite, les suggestions de rencontres amies, des indications sur les jardins et leurs musées, l’adresse d’un guide sûr mais pas banal, un certain NERO. Elle parlerait de ma chemise aux larges rayures colorées, dont elle croirait d’abord qu’elle référait à l’arc-en-ciel des gays. Puis elle comprendrait, aux couleurs mais aussi aux regards du voyageur, que c’est seulement une chemise un peu sottement vintage, comme en portent des presque septuagénaires racolés par une trentenaire amusée, sur un éventaire de brocante parisienne un jour de printemps. Huit, dix euros ?
Entre mes deux voyages à Ferrare, par l’intermédiaire du site de location, Silvia commença une série de récits sur Ferrare, sur Bassani. Tout cela paraissait un peu confus, superficiel. Je me promettais alors de creuser avec, au moins, Gallica. Peut-être le Mourre ? Silvia complétait ses propos décousus et peu sourcés par des paragraphes consacrés à Mussolini, à la république sociale de Salo. Dans l’un de ses messages, qui donnait des indications sur un grand père fasciste, « comme tout le monde à Ferrare ou presque avant 42« , elle racontait la lente déperdition due à la violence sournoise d’Alzheimer, bien qu’il fût mort d’un cancer de la langue avant de céder à son cancer dans la langue.

Dans un autre post, plus tard, trois jours avant que j’arrive ( il aurait fallu : j’arrivasse) pour la deuxième fois dans son petit jardin, et probablement la dernière dans sa vie (mais c’était une erreur d’appréciation ) Silvia communiquait l’état consternant de ses interrogations du site Gallica :« Comment intéresser l’enfant à l’école : la notion de centres d’intérêt chez Decroly », par Valdi José BASSANI, 1976. Ou encore, toujours avec l’entée BASSANI : «  Ce jadis –là valait bien ces joursd’hui »/ Dominique Antoine Paoletti, Jean Ambrogi, pref. de Felix Ciccolini, trad. di Lissandru BASSANI, 2001, Cozzano (Corse-du-Sud).


A force de lambiner dans le narratif, à Modène, on arrive, on est déposé par le taxi goguenard, Donatello? On lève les yeux, personne au balcon, des sonnettes à sornettes, mais on trouve la Sérafina.

Ou la Zéfira ? Ou Stéfania ? Les trois ? S/Z ?
L’appartement, choisi trop mal, trop vite, je répète pas, est situé à l’autre bout de la ville. Je devrai beaucoup marcher, ou réussir à trouver l’improbable arrêt du bus 342- chiffre surprenant pour une cité si petite. Marcher, rien de plus banal : tâter la chair de la ville sous les rides, traverser la mémoire des rues, c’est le rythme adapté au récit.

A Ferrare, dans trois ou quatre jours, je connaîtrai tout l’espace, et Silvia, dans ses messages et ses mensonges de loueuse, continue à chercher pour moi des traces pour chaque lieu.
Car il ne peut exister de lieu, et encore moins de récit, sans qu’une femme au moins y habite, plus ou moins déguisée en personnage. (photo Silvia B.)

( Se déguiser afin de barbouiller le réel ?)

A Ferrare, par la suite, la ville sera le personnage central. Mais on n’en n’est pas déjà là.
Pour tout dire, je me demande encore pour quelle raison, j’avais cliqué « retenir » sur l’AirBnb de Stéfania. Tant d’autres étaient envisageables, des duplex ou des logeuses. Un coup de doigt jamais n’abolira le bazar ? Salut Stéfania. Choisir mal, passe encore, mais payer à cet âge.


Une personne telle que Stéfania, Modène pas moderne, offre peu de prise au récit. Disons qu’elle est « totalement désolée » de mon retard, une heure et demie, elle s’excuse comme si elle avait elle-même conduit le train, poussé l’orage et sa violence sur le quai.

Une étonnante apparition de nuit dans l’appartement loué par S: elle guettait pour photographier le visiteur naïf ?

Elle est parfaite, je pose mes bagages, j’observe sans rien dire que le robinet de cuisine goutte, que le faux-marbre entourant le lavabo est fendu sur toute sa largeur, et que la voisine de palier dispose d’un chien expressif. Deux ou trois objets me semblent curieusement trop brillants, lavés, comme si on les déplaçait souvent malgré leur évidente inutilité. J’ai trop lu Le Carré, trop vu  » Le bureau des légendes », ces objets contiennent -ils des « mouchards »? Pour qui travaille Stéfania, une Agence concurrente, qui volerait mes données ?
« Il se fait tard » ( j’avais remarqué !) elle préfère m’aider au lieu de décrire le trajet, et m’accompagner en voiture, celle de son père dit-elle, elle ne sait pas très bien comment s’allument les phares pour la nuit et brouillard, ni comment on éteint le plafonnier, il y a du burlesque dans ce pathétique, on gagne un quartier plus animé, qu’elle vante au passage, elle a perçu ma déception : chez elle, c’est loin, c’est isolé, c’est moche. Le solaire et ses petites terrasses, c’est pas maintenant. Roulez, jeunesse, on parlera plus tard. L’orage nous rattrape à nouveau. Sale bête.
Stéfania me débarque devant une trattoria.

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 11/99, En route vers Ferrare Chapitre 3 – fin. A suivre.

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