YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 23/99, Chapitre 7 – fin. Histoires de Stéfania.

C’est au début des années troubles, années de plomb, quand le général de Lorenzo, chef des Carabinieri projette un coup d’état, été 64. Et c’est aussi environ lorsque le purulent Edgardo Sogno avoue (dans son livre  posthume paru en 2000, « Le testament d’un anti-communiste ») qu’il a lui aussi travaillé, et très activement, à une prise du pouvoir sur des modalités antirépublicaines, encore un écho de «Vingt années des chemises noires », des périodes furieuses dont le pays se défait, ici comme d’autres, avec tant de misères et de difficulté. Tant de lenteurs, comme ce récit.

Voici le cœur même des récits de Bassani sur la Ferrare complice, toujours, bourgeois et communauté juive ensemble convaincus des bienfaits du fascisme, jusqu’en 42 pour presque tous, et encore ensuite pour pas mal d’autres, désormais plus discrets. Comme si, un peu, dans cette terre de l’Antique, les murmures nuisibles des empires cassés parvenaient encore, trop nets dans l’aigu, aux oreilles des contemporains déçus de n’avoir pas appris à temps la surdité.

( Ma fragilité : je sais que je vais regretter cette phrase )

J’ai marqué une pause. Parce qu’on n’a pas encore assez fait connaissance pour qu’elle  m’invite dans sa cuisine, Silvia m’aura conduit chez Gourmet Burger, tout près, rue Saraceno, la sauce verte maison qui accompagne la version poulet/aubergine aurait fini par réduire à rien mes ambitions de bien-manger.

Ensuite, j’ai regardé la tasse vide, le verre à demi plein de vin rouge épais et poivré, qui dessinent à deux une sorte de continent obscur, bousculé par l’éclat que pose un fin crayon du sucre en poudre. « Je ne me poudre qu’au sucre », aurait dit le grand Louis XIV , maintenant la Maintenon main tendue vers le maintenant de son chéri mamour. Mais son confesseur, père-propriétaire enrichi en lotissant son terrain du Père Lachaise, laisse filtrer des données un peu contradictoires, le Grand Louis ayant fait importer du Royaume du Bénin une de ces petites merveilles de poudre de corne dont les effets, selon le confesseur, sans conduire à un perpétuel de l’exploit, garantissent à coup sûr, sans coup dur, même bien mûr, de respecter la devise d’un lointain cousin : «  Je maintiendrai ».
(Parfois je m’absente résolument de mon propre sérieux. Détours des tours de langage)

Lorsque la parole dérape, je regrette que nos langages lacunaires et frustes, à Silvia et moi, empêchent les rebonds et les retours de volée.

J’ai envie de lui demander si elle connaît le club de tennis qu’on entend si on lit « Le jardin des Finzi-Contini »? Mais, allez savoir pourquoi (une impatience structurelle sans doute) je perçois chez elle comme une espèce d’agacement.
Je reprends la biographie : je prétends que Stéfania aussitôt travaille dans une conserverie de poissons, des petits anchois au sel et des sardines à l’ail dans l’huile, ce sont les usages de la Sardaigne natale, sardines à l’ail, filles au travail, il n’y a que la Famille qui aille.

Soudain, en ce moment du récit, je prends conscience des lacunes de vocabulaire. La Mafia oui, je vois, La Camora napolitaine, aussi. En Calabre, N’Drangheta, c’est bon. Mais en Sardaigne ? Aucune liste n’est jamais suffisante pour épuiser la diversité malicieuse des inventions désastreuses, et particulièrement s’agissant de sociétés secrètes.
En Sardaigne, près de son village de Calasetta, sur l’île de Sant’Antioco, Stéfania échappe à ce que tout auditeur attendait : pas de prostitution après l’anchois. C’est son choix, ça déçoit si ne déchoit ? Elle habite la petite maison au bout du quai, je l’ai retrouvée.une petite maison 1.JPG

Déjà, une route, beaucoup moins bitumée qu’aujourd’hui, permet de rejoindre Iglésias (au passage, c’est un peu mon métier, je conseille l’étape, les sept places et les remparts). file5-10IMG_0854.JPG

Stéfania rencontre d’autres femmes, plus savantes en huile et sardines, c’est bien, on partage les mains. Sur les murs du café bordant une place entourée de lauriers roses que les touristes brunis éparpillent sans les voir, des photos anciennes de la vie de ces femmes usagées, en grand format Noir et Blanc, témoignent toujours longtemps après, en ce siècle encore, de ce passé sans joie ni douleur.

Quelquefois certains résistent. Ce sont des femmes, aussi. Comme sur cet autre mur aux photos, à  Modène. Echos de pauvreté, résistances au temps.

Sa jeunesse croît, belle, préservée ou prolongée par l’ombre du père veuf, mais connaît pour toile de fond la couleur amère des années de plomb. Sur l’écran de la télévision familiale, elle observe sans y prêter la moindre attention, comme on verrait une publicité pour les produits à laver la vaisselle, elle entend les succès du PCI devenu inopinément « force d’appoint de partis institutionnels« , formule incompréhensible pour elle. Des mois passent. L’appontement est modifié pour accueillir les bateaux d’américaines impudiques dont les pères- ou les oncles- veulent acheter la petite maison, tout se mélange, qu’est ce que ça vient faire au milieu de la  » force d’appoint des partis institutionnels?« .

Dans les commentaires surpris en mettant le couvert, on dit que la résistance commune aux terrorismes, désormais, produit cette entrée massive, même pas rageuse, dans les conseils municipaux, régionaux, et même au parlement, oui, le Parlement majuscule. Parfois, les Américaines impudiques viennent acheter des anchois à l’ail, c’est leur choix
 Est-ce que ça a changé ? « Oui, bien sûr, des craintes encore davantage, et de l’espoir en beaucoup moins, sinon ça va les gars ? « , dirait la Stéfania d’aujourd’hui.
A l’époque, elle ne sait plus à quoi se fier en matière de déraison, à part le bruit sanglant des bombes, et les tiraillements de conscience ressemblent de plus en plus à des crises d’eczéma. On a ce qu’il faut pour ça, à la pharmacie, mais Stéfania ne fréquente pas les pharmacies, elle est en pleine santé. Et puis c’est trop cher.

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Didier Jouault pour  YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 22/99, Chapitre 7- Fin.  Exactement mille mots, quel petit boulot d’été, on n’imagine pas. La suite (car c’est pas fini Stéfania! ) la suite :  chapitre 8, épisodes 24 et 25- les 6 et 9 septembre). Sinon rien de spécial.C’est reparti. En route.

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2 réflexions sur “YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 23/99, Chapitre 7 – fin. Histoires de Stéfania.

  1. Avatar de mullerandr mullerandr dit :

    Bonjour Mon BAF,

    Un bon moment que ce texte, les formats courts sont des exercices difficiles, que tu maitrises très bien.

    Pourquoi ne pas aller plus loin, cela serait sans doute plus facile pour toi, et tellement agréable pour tes lecteurs de laisse glisser ta plume

    sur des textes plus délayés, tu en es vraiment capable, je n’attends que cela.

    Avec l’âge évidemment je radote : j’aime ton style.

    André Muller.

    >

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